23/10/07 (B418-B) LE FIGARO : Affaire Borrel : un document accuse le Quai d’Orsay

ANGÉLIQUE NÉGRONI.

En 2004, le ministère des Affaires étrangères aurait tenté de faire pression sur la justice pour exonérer les autorités de Djibouti.

L’OMBRE du pouvoir politique ressurgit à nouveau dans l’affaire Borrel, ce juge français retrouvé mort en 1995 à Djibouti. Alors que des notes publiées en juin dernier mettaient en cause la Chancellerie, soupçonnée de céder à des intérêts diplomatiques, un autre document que s’est procuré Le Figaro est non moins embarrassant.

Cette fois, il fait état du rôle qu’aurait joué en 2004 le ministère des Affaires étrangères pour faire pression sur la justice. Le Quai d’Orsay aurait demandé au parquet de faire une déclaration mettant hors de cause les autorités de Djibouti. Alors que la thèse du suicide avait longtemps prévalu, celle de l’assassinat commençait, à l’époque, à s’imposer. Avec comme commanditaire supposé l’actuel président Ismaël Omar Guelleh.

Saisi en avril dernier lors de perquisitions au Quai d’Orsay, ce document est désormais entre les mains des juges Pous et Ganascia en charge du volet « pressions sur la justice » de l’affaire Borrel. Rédigée le 21 avril 2004 par Pierre Vimont, à l’époque directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, cette note était destinée à préparer un entretien entre Michel Barnier et le président de la République, Jacques Chirac. Nommé depuis ambassadeur de France aux États-Unis, Pierre Vimont y suggère à son ministre d’évoquer différents sujets.

Au paragraphe « Djibouti », il écrit : « Faute d’avoir obtenu un accord de la part du parquet pour que ce dernier fasse une déclaration exonérant les autorités de Djibouti de toute implication dans l’assassinat du juge Borrel, le Quai d’Orsay s’est associé à la Défense pour rédiger un communiqué très ferme. » Le 20 avril 2004, un communiqué avait en effet été publié pour mettre hors de cause le pouvoir djiboutien. Et Pierre Vimont d’ajouter dans sa note: «Vous pourriez indiquer au Président que la situation a donc été rétablie, conformément à son souhait.»

« Cette note révèle l’intrusion du pouvoir exécutif dans un dossier judiciaire », dénonce Me Laurent de Caunes, conseil d’Élisabeth Borrel, la veuve du magistrat, en poursuivant : « On a tenté de faire pression sur le fond de l’affaire. » Quant à Me Olivier Morice, également conseil d’Élisabeth Borrel, il se souvient d’avoir été informé de ces pressions par Yves Bot, alors procureur de la République à Paris.

« Il m’a contacté le 19 avril pour m’en avertir et le jour suivant il nous a reçus avec Me de Caunes », raconte-t-il en rappelant : « Yves Bot a refusé de faire ce communiqué. » Joint hier, l’ancien responsable du parquet de Paris, désormais avocat général à la Cour de justice des communautés européennes, a déclaré hier au Figaro : « Je n’ai gardé aucun souvenir de tout cela. »

Plusieurs notes

D’autres notes, déjà rendues publiques, montraient l’embarras suscité par ce dossier entre Paris et Djibouti. Parmi elles, celles de juillet 2004, signées de l’actuel procureur général de Paris, Laurent Le Mesle, qui était alors directeur de cabinet du garde des Sceaux. Elles décrivent comment la France s’était décidée à fournir à Djibouti une copie du dossier d’instruction malgré le refus de la juge qui en était en charge. D’autres documents laissent penser que Jacques Chirac aurait suggéré au pouvoir djiboutien de saisir la Cour internationale de justice pour obtenir le dossier.

Une procédure d’instruction qui n’a finalement jamais été transmise.

Pour la première fois, la veuve Borrel a été reçue à l’Élysée en juin dernier et s’est entretenue avec Nicolas Sarkozy. Des engagements auraient été pris. En sortant de l’entretien, Élisabeth Borrel s’est dite « réconciliée » avec son pays. De son côté, Me Francis Szpiner, qui défend Djibouti, s’indigne. « Des pressions sur quoi ? », se demande-t-il en poursuivant : « Il n’y a rien dans ce dossier contre Djibouti. »