20/12/07 (B426) LIBERATION : Naufrages en série au large du Yémen (Info lectrice)

Envoyée spéciale à Mogadiscio STÉPHANIE BRAQUEHAIS

Nouvelle hécatombe dans le golfe d’Aden.

En deux jours, samedi et dimanche, près de 200 personnes sont mortes ou portées disparues au large des côtes yéménites, a annoncé hier le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). Ils se seraient noyés après le naufrage de deux bateaux transportant 418 migrants, en provenance du nord de la Somalie. Selon les Nations unies, 1 400 migrants sont morts noyés cette année au large du Yémen, plus de 700 sont toujours portés disparus.

Trafic.

Ces dernières années, Bosaso, une ville portuaire du Puntland, région semi-autonome du nord de la Somalie, est devenue une plaque tournante pour le trafic des migrants. Parmi eux, des Somaliens fuyant la guerre à Mogadiscio ou dans d’autres régions troublées du sud du pays, mais aussi de l’Ogaden (Ethiopie).

Les réseaux de passeurs sont organisés par communautés. Plusieurs sites d’embarcations, à une vingtaine de kilomètres de Bosaso, sont sévèrement gardés par des milices privées travaillant pour des propriétaires de bateaux.

Dans chaque boutre, long d’une quinzaine de mètres, plus d’une centaine de migrants sont entassés les uns sur les autres, dissimulés sous des bâches en plastique. La plupart sont conscients des risques mais sont prêts à jouer leur vie pour atteindre l’eldorado, tel Samira, une jeune femme de 20 ans qui a décidé de partir de Mogadiscio pour trouver un métier en Arabie Saoudite et rejoindre des membres de sa famille.

«C’est 50-50 : je sais que je peux mourir, mais rester à Mogadiscio, c’est pire. Des maisons sont détruites chaque jour par des obus ou des grenades.»

La traversée est d’autant plus dangereuse que les passeurs n’hésitent pas à jeter tout le monde à l’eau lorsque des patrouilles de la police yéménite sont visibles à l’horizon. Ils font alors demi-tour dans des embarcations vides. Pour les plus vigoureux, il ne reste que quelques kilomètres à nager pour atteindre les côtes du Yémen. Les femmes et les enfants sont les premiers à périr.

«Battu».

Abdi Ali, 25 ans, a tenté plusieurs fois l’aventure avec succès. Il a habité quatre ans au Yémen, puis en Arabie Saoudite, accumulant les petits boulots payés au noir : serveur, plongeur, homme de ménage. «Sur le bateau, j’ai été battu plusieurs fois. Si nous faisions un geste, on nous menaçait de nous passer par-dessus bord.

On voit ses compatriotes se noyer et on ne peut rien dire, le principal est de sauver sa peau.» L’enjeu financier est énorme, selon des ONG de Bosaso : de 4 à 5 millions de dollars par an (de 2,8 à 3,5 millions d’euros). Des centaines de personnes sont impliquées dans ce trafic : les conducteurs de bus qui traversent les milliers de kilomètres pour atteindre Bosaso, les tenanciers de petites pensions, qui accueillent les migrants, les nourrissent et les hébergent pour un dollar par jour, les propriétaires de bateaux qui touchent entre 70 et 100 dollars par personne pour chaque traversée.

Face à ce phénomène, les autorités du Puntland sont dépassées.

L’an dernier, plusieurs personnes ont été arrêtées, toutes relâchées en l’espace de quelques semaines. La police ne dispose ni de personnel entraîné ni de vedettes rapides pour patrouiller le long des côtes. Depuis janvier, 28 000 personnes ont tenté la traversée vers le Yémen