22/12/07 (B427) INFO – PALESTINE : Somalie : ce que la presse ne vous dit pas

Le peuple de Somalie va devoir endurer une nouvelle série de souffrances alors que les forces éthiopiennes sèment la désolation dans la capitale Mogadiscio.

En réponse apparemment à une attaque contre une de ses unités et à l’exhibition du corps mutilé d’un soldat par les rues de la ville, un obus de mortier éthiopien a explosé sur le marché de Bakara dans Mogadiscio le 9 novembre, tuant huit civils. Un certain nombre de Somalis ont été trouvés morts le jour suivant, certains corps ayant été abandonnés là par des forces éthiopiennes la nuit qui a précédé.

Presque 50 civils ont été tués et 100 autres blessés durant les deux jours d’affrontements entre les combattants fidèles à l’UIC (Union of Islamic Courts) et les forces du gouvernement et de ses alliés éthiopiens. Un rapport, publié par le HRW (Human Rights Watch), a accusé les troupes éthiopiennes comme les « insurgés » d’être responsables du sang répandu. Peter Takirambudde, responsable du HRW pour l’Afrique, a déclaré que « la communauté internationale devrait condamner ces attaques et tenir les combattants pour responsables des violations de la loi humanitaire – parmi lesquelles la mutilation des combattants capturés et l’exécution des détenus. »

Naturellement, on ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce que la communauté internationale décide d’une intervention constructive dans ce conflit. Les divers membres de cette « communauté » ont déjà joué un rôle très destructeur dans la guerre civile somalienne qui dure maintenant depuis 16 ans et qui a fragmenté une nation qui avait longtemps lutté pour donner un sens au notions de souveraineté et de cohésion nationale.

Ne pas se préoccuper de la guerre en Somalie en la présentant comme un nouveau conflit entre des seigneurs de la guerre et des insurgés serait en effet injuste parce que l’histoire du pays a été constamment perturbée par le colonialisme et les interventions étrangères. Celles-ci ont permis la mise en place de gouvernements servant de relais, de milices et d’intermédiaires locaux travaillant dans le sens des intérêts de ceux qui sont obsédés par l’importance géopolitique de la Corne de l’Afrique.

Les puissances coloniales ont appris à apprécier la place stratégique de la Somalie après la conférence de Berlin, qui a été à l’origine de « la bousculade pour l’Afrique ». L’arrivée de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Italie dans les terres somaliennes a débuté à la fin du 19e siècle et la zone a rapidement éclaté en deux entités avec un Somaliland britannique et un Somaliland italien. Les deux pays en question ont renforcé leur main-mise en enrôlant des gens du pays pour combattre dans les guerres mêmes qui visaient à leur propre assujettissement.

La deuxième guerre mondiale a apporté d’immenses dévastations au peuple somalien, qui, par désespoir, par la coercition ou des promesses d’indépendance après-guerre, a combattu au côté des puissances européennes qui étaient en guerre. La Somalie a été mise sous tutelle par l’ONU comme protectorat italien en 1949 et a gagné son indépendance une décennie plus tard en 1960. Mais les puissances coloniales n’ont jamais entièrement renoncé à leurs intérêts dans le pays et la guerre froide a fait intervenir de nouveaux acteurs sur la scène, dont les Etats-Unis, l’Union Soviétique et Cuba.

Un avatar de l’héritage colonial a concerné la province somalienne d’Ogaden que l’empire britannique avait accordée au gouvernement éthiopien. La région est devenue la scène de deux guerres importantes entre l’Ethiopie et la Somalie entre 1964 et 1977. Beaucoup de Somalis considèrent l’Ethiopie comme une puissance occupante et ressentent toujours les politiques d’Addis Ababa comme étant la continuation des interventions perpétrées par ce pays.

La guerre civile de 1991, due en grande partie à l’intervention étrangère, aux clans, aux fidélités tribales et au manque de cohésion interne, a laissé une Somalie défigurée. Alors que les civils pris au piège se voyaient privés de toute aide, la Somalie a été frappée par une famine dévastatrice qui a provoqué un véritable désastre humanitaire. La famine a servi de prétexte à l’intervention étrangère déclenchée en décembre 1992, cette fois comme faisant partie des missions « humanitaires » internationales, et qui incluait des troupes des Etats-Unis. Le déploiement s’est terminé tragiquement en octobre 1993, avec plus de 1000 Somalis et 18 soldats américains tués à Mogadiscio. Après le retrait précipité des Etats-Unis, les médias dominants se sont mis à expliquer que l’occident ne pouvait pas aider ceux qui refusaient de s’aider eux-mêmes ; une nouvelle déformation du fait que l’intérêt du peuple de Somalie n’avait jamais été le souci de ces philanthropes coloniaux.

Depuis lors, l’importance de la Somalie s’est trouvée reléguée dans les bulletins d’information des médias internationaux qui parlent d’un conflit irrationnel et sans fin. La vérité, cependant, est que l’intérêt colonial pour la Corne de l’Afrique n’a jamais diminué.

L’attaque terroriste du 11 septembre 2001 a fourni le prétexte à une intervention des Etats-Unis dans cette région stratégique ; à peine un mois après les attaques, Paul Wolfowitz a rencontré divers protagonistes influents en Ethiopie et en Somalie, prétendant que les terroristes d’Al-Qaeda pourraient employer Ras Kamboni et d’autres territoires somaliens comme zones de repli. Un an après, les Etats-Unis mettaient en place un groupe d’intervention et de travail combiné consacré à la Corne de l’Afrique (CJTF-HOA : Combined Joint Task Force – Horn of Africa) « pour surveiller » les développements et pour former les militaires locaux à la lutte « anti-terroriste ».

Le contingent américain peut difficilement être qualifié de neutre dans le conflit actuel. Il a été constaté que des troupes américaines ont été impliquées en facilitant l’entrée des forces éthiopiennes en Somalie en décembre 2006, soit-disant pour débusquer Al-Qaeda. L’occupant éthiopien a justifié son intrusion comme étant une réponse à un appel du gouvernement fédéral transitoire somalien (GFT), dont la légitimité est mise en cause. Le GFT est généralement considéré comme un organisme pro-éthiopien, qui avait par ailleurs rapidement perdu le contrôle des régions de Somalie au profit de l’UIC (Union of Islamic Courts) qui est ensuite parvenue au pouvoir en janvier 2006, contrôlant la capitale et apportant pour une grande partie du pays ensuite une stabilité longtemps souhaitée.

Les tentatives de l’UIC d’engager un dialogue avec les Etats-Unis et d’autres puissances occidentales ont échoué, et l’Ethiopie est entrée avec le soutien américain en Somalie en décembre 2006. Le 7 janvier 2007, les USA ont directement provoqué le conflit, lançant des raids aériens à partir d’un de leurs porte-avions. Des civils ont été tués, mais les américains ont refusé de reconnaître leur responsabilité.

La dernière intervention a détruit les chances qu’avaient le pays de retrouver son unité. Celui-ci est maintenant divisé entre le gouvernement transitoire et l’Ethiopie (tous les deux soutenus par les Nations Unies, les Etats-Unis et l’Union Africaine) et l’Union des Cours Islamiques (prétendument soutenues par l’Erythrée et quelques gouvernements arabes du Golfe). Récemment, l’ONU a éliminé toutes les possibilités d’une force internationale de maintien de la paix, et les quelques pays africains qui ont promis des troupes doivent encore réaliser leurs engagements (à l’exception de l’Ouganda).

Cette situation place la Somalie une fois de plus à la merci des puissances étrangères et des forces internes ne pensant qu’à leurs intérêts, faisant craindre encore plus de carnages.

Notre soutien averti est essentiel à présent car le peuple somalien a trop souffert. Sa situation critique appelle l’urgence et mérite un effort de compréhension bien plus approfondi, en parallèle à une attention immédiate.

(*) Ramzy Baroud est l’auteur de « The Second palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com »