24/12/07 (B427) Les Echos : JEFFREY D. SACHS La pensée trop militaire de Washington

Dans des pays en crise comme l’Afghanistan, l’Ethiopie, l’Iran, l’Irak, le Pakistan, la Somalie et le Soudan, les mêmes problèmes sont à l’origine des tensions ou des violences. Ce sont des pays pauvres, frappés par des catastrophes naturelles et qui peinent à nourrir une population en forte croissance. Ces problèmes ne peuvent se résoudre que par un développement durable. Pourtant, plutôt que de s’attaquer aux causes des crises, les Etats-Unis persistent à vouloir les traiter par des moyens militaires. Ils soutiennent l’armée éthiopienne en Somalie, occupent l’Irak et l’Afghanistan, menacent de bombarder l’Iran et soutiennent la dictature au Pakistan. Ces interventions tendent à aggraver les crises plutôt qu’à les résoudre.

A nouveau, les Etats-Unis sont hantés par une approche militaire de la politique étrangère. Ils ont soutenu le shah d’Iran par des livraisons d’armes tombées entre les mains du gouvernement révolutionnaire après 1979. Ils ont soutenu Saddam Hussein lorsqu’il a attaqué l’Iran, avant de se retourner contre lui. Ils ont soutenu Oussama ben Laden en Afghanistan contre les Soviétiques, pour finalement le combattre. Ils ont dépensé plus de 10 milliards d’aide en faveur de Pervez Moucharraf au Pakistan depuis 2001 et se trouvent maintenant face à un régime instable.

Leur politique étrangère s’enlise parce qu’elle est téléguidée par les militaires. Même la reconstruction de l’Irak a été menée par le Pentagone plutôt que par des organismes civils. Le budget militaire envahit la politique étrangère. Si l’on additionne le budget du Pentagone, le coût de la guerre en Irak et en Afghanistan, le budget du département de la Sécurité intérieure, celui consacré aux programmes d’armement nucléaire et aux programmes d’aide militaire du département d’Etat, les Etats-Unis consacrent annuellement 800 milliards de dollars pour la sécurité contre moins de 20 milliards au développement.

Dans un article sur le Pakistan, deux experts, Craig Cohen et Derek Chollet, ont montré le caractère désastreux de cette approche. Bien que le Pakistan soit confronté à d’énormes problèmes de pauvreté, de démographie et d’environnement, les trois quarts des 10 milliards de dollars d’aide américaine sont tombés dans l’escarcelle de l’armée, soi-disant pour rembourser le pays de sa contribution à la « guerre contre le terrorisme » et pour l’aider à acheter des F16 et d’autres armements. Moins de 10 % sont allés au développement et à l’aide humanitaire. L’aide des Etats-Unis en faveur de l’éducation dans ce pays s’est limitée à 1,16 dollar par enfant.

Cette approche militaire entraîne le monde dans une spirale de violence. Les armes américaines vendues ou données à ces pays accroissent les risques d’une aggravation des crises et la probabilité de voir ces armes retournées contre les Etats-Unis. Rien de cela n’aide à résoudre la pauvreté, la mortalité infantile, la rareté de l’eau et des moyens de subsistance dans des endroits comme le nord-ouest du Pakistan, le Darfour ou la Somalie. L’administration Bush ne tient pas compte de ces problèmes démographiques et environnementaux. Au lieu de considérer les difficultés des populations, elle voit une caricature – un terroriste à chaque coin de rue.

Un monde pacifié ne sera possible que lorsque les Américains réaliseront que les conflits sont la conséquence du désespoir. Ces conflits peuvent être résolus par le développement. Nous connaîtrons la paix lorsque nous tiendrons compte des paroles du président Kennedy : « En dernière analyse, ce que nous avons tous en commun, c’est d’habiter la même petite planète. Nous respirons tous le même air, nous nous préoccupons tous de l’avenir de nos enfants et nous sommes tous mortels. »

JEFFREY D. SACHS
est professeur et directeur
de l’Institut de la Terre
à l’université de Columbia (New York)
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Cet article est publié en collaboration avec « Project Syndicate ».