15/03/08 (B439) AFP : Le verdict dans l’affaire de subornation de témoins est mis en délibéré au 27 mars. Procès Borrel: un an de prison avec sursis requis contre deux Djiboutiens

Par Raphaëlle PICARD

La justice française a requis vendredi un an de prison avec sursis à l’encontre de deux hauts dignitaires djiboutiens, jugés en leur absence pour « subornation de témoin » dans l’affaire du magistrat français Bernard Borrel, retrouvé mort en 1995 à Djibouti.

Le jugement a été mis en délibéré au 27 mars par le tribunal de grande instance de Versailles, en banlieue parisienne, première juridiction française à examiner le fond de l’affaire en douze ans de procédure.

L’actuel procureur général de Djibouti, Djama Souleiman, et Hassan Said, chef des services secrets djiboutiens, ont été reconnus « coupables du délit de subornation » par le procureur Jean-Michel Desset.

« Ils l’ont fait pour détourner les soupçons de la République djiboutienne, pour les faire porter ailleurs », a-t-il estimé dans un réquisitoire de dix minutes.

Ces hauts responsables auraient fait pression sur deux témoins clefs, absents également vendredi, pour annuler ou discréditer un témoignage visant l’actuel président de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh, comme le possible commanditaire du meurtre du juge Bernard Borrel, en 1995 à Djibouti.

Le corps en partie calciné du magistrat avait été retrouvé en contrebas d’un ravin à 80 km de Djibouti où il travaillait, dans le cadre de la coopération, auprès du ministre de la justice.

La thèse d’un suicide a longtemps été privilégiée avant que des expertises n’orientent l’enquête vers un meurtre.

Djama Souleiman est soupçonné d’avoir soudoyé un ex-membre de la garde présidentielle djiboutienne, Mohamed Saleh Alhoumekani, exilé en Belgique.

Fin 2001-début 2002, il serait venu en personne pour que le garde se rétracte contre 3 millions d’euros et un poste diplomatique. Pour preuve, l’enregistrement d’une conversation téléphonique et un projet de lettre produit par M. Alhoumekani.

Dans un témoignage capital, selon l’instruction, pour le déroulement de l’information ouverte pour assassinat, l’homme a affirmé devant la justice française avoir entendu, le jour de la mort du juge, cinq hommes rendre compte à Ismaël Omar Guelleh, alors directeur de cabinet du président, de la mort du « juge fouineur ».

« Si on a tenté de le suborner, c’est bien que son témoignage est crédible », a plaidé Me Luc Cambier, conseil de M. Alhoumekani.

Le chef des services secrets est pour sa part accusé d’avoir soudoyé Ali Iftin, l’ex-chef de la garde présidentielle, pour qu’il rédige chez un notaire en janvier 2000 une attestation discréditant le témoignage de M. Alhoumekani.

Il lui aurait même suggéré d’écrire que le député socialiste Arnaud Montebourg l’avait contacté pour soutenir officiellement que le chef de l’Etat djiboutien était l’instigateur de l’assassinat.

« Je me suis retrouvé malgré moi l’auteur d’une machination criminelle visant à déstabiliser le gouvernement djiboutien », a dénoncé le parlementaire, partie civile dans l’affaire.

De son côté la veuve Borrel, à l’origine de cette procédure, a expliqué qu’elle aussi avait été l’objet de « pressions invraisemblables ».

« Comme on ne m’avait pas donné de preuve sur la mort de mon mari, je suis allée les chercher », a-t-elle déclaré. « De très hautes autorités françaises, des magistrats ont voulu me faire passer pour folle ».

« Depuis 13 ans, cette femme se bat seule contre deux Etats qui ont conjugué leurs forces pour étouffer l’affaire », a plaidé son avocat Me Olivier Morice.

« C’est un combat pour la vérité mais c’est aussi un cri d’amour », a-t-il ajouté, faisant état des diverses pressions exercées sur la justice dans ce qu’il considère un « scandale d’Etat ».

« La République djiboutienne n’a été mêlée ni de près ni de loin à cette mort: elle a toujours coopéré sans réserve », a pour sa part martelé Me Francis Szpiner, avocat des prévenus, s’appliquant à démontrer « la totale absurdité » de ce témoignage.