15/03/08 (B439) Le Monde :Affaire Borrel : premier jugement de deux Djiboutiens à Versailles (Info lectrice)

Elle s’y attendait, mais c’est forcément un peu déçue qu’Elisabeth Borrel est sortie, vendredi 14 mars, de la sixième chambre du tribunal correctionnel de Versailles (Yvelines). Depuis le début de l’enquête, il y a douze ans, sur la mort de son mari, le juge Bernard Borrel, à Djibouti, c’était la première fois qu’une audience abordait le fond du dossier en jugeant deux hauts responsables djiboutiens pour « subornation de témoin ». Mais l’audience a eu lieu sans les deux prévenus et sans les deux témoins clés de l’affaire.(*)

C’est leur avocat, Me Francis Szpiner, qui représentait les deux hauts dignitaires : Hassan Saïd, chef des services secrets djiboutiens et Djama Souleiman, actuel procureur général de la République de Djibouti. Tous les deux sont accusés d’avoir incité à se rétracter deux témoins djiboutiens, aujourd’hui exilés en Belgique.

Depuis 1999, ces derniers dénoncent comme potentiel commanditaire de l’assassinat du juge Borrel, dont le corps a été retrouvé à demi calciné, dans un ravin, à 80 km de la capitale, l’actuel président de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh. Leur témoignage a fait basculer l’enquête de la thèse du suicide à celle de l’assassinat.

M. Souleiman est ainsi soupçonné d’avoir soudoyé, début 2002, un ancien membre de la garde présidentielle, Mohamed Saleh Alhoumekani. Il lui aurait proposé jusqu’à 3 millions d’euros et un poste diplomatique contre son silence.

En 1999, ce dernier avait affirmé, dans une vidéo tournée par un journaliste, avoir entendu, le jour de la mort du juge Borrel, cinq hommes rendre compte à Ismaël Omar Guelleh, alors directeur de cabinet du président de la république de Djibouti, de la mort du « juge fouineur ». Bernard Borrel était conseiller au ministère de la justice djiboutien, mais aidait ses collègues français dans leurs enquêtes. Il a travaillé avec le magistrat Roger Le Loire sur l’attentat du Café de Paris à Djibouti en 1990.

Le chef des services secrets est pour sa part accusé d’avoir fait pression sur Ali Iftin, ancien chef de la garde présidentielle, pour qu’il rédige un témoignage, confirmé devant notaire, mettant en cause les déclarations de M. Alhoumekani. Me Szpiner a justifié l’absence des deux hauts responsables par l’entraide judiciaire à « sens unique » qui existe, selon lui, entre la France et la République de Djibouti. La France n’a pas accédé à la demande des autorités djiboutiennes de leur fournir une copie du dossier d’instruction. Me Szpiner a aussi plaidé le manque de « fiabilité » des deux témoins. M. Iftin et M. Alhoumekani ont fait valoir leurs obligations professionnelles pour justifier leur absence.

NULLITÉS DE PROCÉDURE

Le procès, qui a commencé jeudi 13 mars après-midi, ne devait durer qu’une demi-journée. Mais à l’ouverture de l’audience, Me Szpiner a tenté de soulever des nullités de procédure. L’audience a donc dû être prolongée d’une journée et les deux témoins ont à nouveau dit ne pouvoir se libérer. Les avocats de la veuve Borrel ont insisté sur « le scandale d’Etat » que constitue, selon eux, l’affaire.

Cet épisode judiciaire a été à l’image de l’enquête principale sur la mort du juge Borrel : complexe, presque enlisé. Le procureur a requis un an de prison à l’encontre des deux Djiboutiens. Le jugement a été mis en délibéré au 27 mars.

Elise Vincent

(*) Note de l’ARDHD : les deux témoins étaient présents le premier jour, car l’audience était prévue pour une journée. Compte-tenu de leurs engagements, ils n’ont pas pu rester le deuxième jour (non prévu à l’origine), mais ils étaient représentés par leurs avocats belges et français.