21/05/08 (B448) LE MONDE : Isaias Afwerki : « La politique américaine dans la Corne de l’Afrique est un échec »

Ancien chef d’un mouvement de libération qui a arraché à l’Ethiopie, en 1993, l’indépendance de l’Erythrée au terme d’une « guerre de trente ans », le président érythréen, Isaias Afwerki, 62 ans, n’a de cesse de dénoncer le comportement des Etats-Unis dans le monde. Pour cet ancien marxiste, à la popularité indéniable dans son pays, Washington est la cause de tous les maux de la Corne de l’Afrique et au-delà.

Djibouti accuse depuis plusieurs semaines l’armée érythréenne d’avoir violé sa frontière nord. Depuis, vous auriez construit dans cette zone des installations à visée militaire. Qu’en est-il ?
C’est une invention de toutes pièces. Nous ignorons encore qui est derrière cette pure fabrication et quels en sont les motifs. Nous essayons de comprendre. Notre région n’a pas besoin d’une crise supplémentaire. Et que l’on ne compte pas sur nous pour nous prêter à ce jeu.

Vous réfutez l’accusation que vos soldats sont entrés à Djibouti…

Je ne vais pas démentir quelque chose qui ne s’est pas produit ! Jamais nous n’avons franchi la frontière. Tout cela, je le redis, est une invention de toutes pièces.

Parlons du conflit frontalier qui vous oppose à l’Ethiopie. La guerre entre les deux pays est terminée depuis 2000, mais la délimitation de la frontière sur le terrain ne se fait pas, tandis que les deux armées continuent à se faire face. Comment débloquer la situation ?
Il n’y a rien à débloquer tant d’un point de vue légal que pratique. Dans le cadre des accords d’Alger, une commission neutre a rendu son verdict concernant le tracé de la frontière il y a déjà six ans, en avril 2002. Mais l’application de la décision – dont toutes les parties avaient accepté qu’elle serait « définitive et contraignante » – se heurte aux obstacles mis par les Etats-Unis à l’ONU.

Les Etats-Unis sont devenus partie prenante du conflit. Depuis 2002, ils n’ont eu de cesse de bloquer au Conseil de sécurité la mise en oeuvre du tracé de la frontière retenu par la commission. Ils n’ont aucun droit de se comporter ainsi.

Mais les Etats-Unis, c’est de notoriété publique, sont devenus l’un des pays qui violent le plus les droits de l’homme et la légalité internationale sous l’influence des néoconservateurs, que je préfère appeler les « seigneurs du nouvel ordre mondial ». Aucun respect pour la légalité internationale, aucun respect pour les institutions internationales… Voilà leur comportement. Nous, nous tenons nos engagements et nous avons une parole.

Une nouvelle guerre peut-elle éclater entre l’Erythrée et l’Ethiopie ?
Je ne vais pas spéculer. On était en face d’un problème juridique de tracé de frontière. Il a été résolu par la commission dans les meilleures conditions possibles. C’est à l’ONU et au Conseil de sécurité de faire respecter le droit et de tenir leurs engagements. Nous ne voyons pas d’autre issue que celle-là.

L’Erythrée a été accusée récemment d’avoir des soldats en Somalie…
Les Somaliens n’ont pas besoin de soldats étrangers pour se défendre.

On a dit que l’Erythrée avait 2000 soldats à Mogadiscio (capitale de la Somalie) à la veille de l’invasion du pays par les Etats-Unis et les Ethiopiens. Ils n’en ont trouvé aucun parce qu’il n’y en avait pas.

C’était un mensonge.

Ensuite, une agence spécialisée des Nations unies nous a accusés de fournir des armes à la résistance.

C’était également faux. Pourquoi nous accuser gratuitement ? Pourquoi les institutions internationales acceptent-elles d’être les otages des Américains ?

Tout cela s’inscrit dans le contexte d’un échec de la politique américaine en Somalie et dans la Corne de l’Afrique. Il faut qu’ils mentent ou qu’ils désignent des boucs émissaires pour masquer leur échec.

Comment voyez-vous évoluer la situation en Somalie alors que des négociations de paix ont démarré à Djibouti ?
C’était une réunion voulue et organisée par l’administration américaine. L’ONU n’était qu’une couverture. Un dialogue politique prometteur était en oeuvre depuis deux ans en Somalie. Les Etats-Unis ont tout fait échouer. Comment imaginer qu’ils puissent se convertir aujourd’hui en « honnête courtier » ?

Parlons de la situation intérieure en Erythrée. Il n’y a pas d’élections générales, pas de partis politiques, pas de presse libre, mais des prisonniers politiques incarcérés sans jugement. Comment justifier cela ?
Je ne vais pas maquiller mon visage pour plaire à l’administration américaine.

Cela ne m’intéresse pas. En Erythrée, le « processus politique », c’est vrai, a été interrompu par la guerre et l’intervention persistante de Washington dans le conflit.

Que la situation s’améliore et le processus politique reprendra. Je préfère ce mot à celui de « démocratisation ». Nous sommes en Afrique et le pluralisme politique, la liberté de la presse ne se posent pas dans les mêmes termes que chez vous. Il nous faut tenir compte de la réalité locale. Pensez-vous que ce qui s’est passé au Kenya, ce qui se passe au Zimbabwe est la bonne solution ? Moi pas.

Comment justifier les prisonniers politiques, les journalistes emprisonnés ?
Nous n’avons pas de prisonniers politiques en Erythrée. Aucun.

Mais il y a des journalistes en prison…
Ce ne sont pas des journalistes. Ils sont incarcérés pour des questions liées à la sécurité de ce pays.

Alors, pourquoi ne pas les présenter à la justice ?
Nous ne le ferons pas dans les circonstances présentes. Nous avons d’autres priorités et nous n’avons de leçon à recevoir de personne, en particulier pas des Etats-Unis.

Beaucoup de jeunes ne rêvent que de partir à l’étranger. N’est-ce pas l’aveu d’un échec ?
Non. C’est une campagne orchestrée contre nous.