25/08/08 (B462) La Grande époque / Somalie : percée militaire des tribunaux islamiques. (Article recommandé)

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque – Paris

Les troupes islamistes d’Al Shabab ont annoncé, le 23 août dernier, avoir réussi, après trois jours de combats à l’arme lourde, à reprendre le contrôle de la ville portuaire de Kismayo, la troisième plus grande ville de Somalie au sud du pays, où elles avaient été contraintes à se replier à la fin de 2006. Les Nations Unies appellent déjà à la protection des civils sur ce territoire éclaté et «gouverné» depuis des dizaines d’années par des chefs de guerre soutenus par l’Éthiopie ou par l’Érythrée, par Al-Qaïda ou par les États-Unis.

Depuis 1991, la Somalie n’a pas connu de gouvernement national effectif. Après dix-huit ans de conflit armé incessant, ce qui était initialement une lutte politique s’est égrené en séparatismes divers (sécession du Nord, le Somaliland et du Nord-Est, le Puntland) pour finir en une lutte de tribus, n’ayant pour objectif que le maintien de pouvoirs locaux.

La piraterie somalienne, qui fait des côtes de ce pays les plus dangereuses du monde à la navigation, n’est au final qu’une excroissance maritime de l’anarchie dans laquelle vit ce qui fut le pays de la myrrhe et de l’encens. Régie aujourd’hui par des seigneurs de guerre, soumise aux incursions de l’Éthiopie et lieu stratégique de la lutte d’Al-Qaïda –puisque située à l’embouchure du canal de Suez, artère fémorale du transport d’hydrocarbures vers l’Europe et de l’économie de tout le bassin méditerranéen – la Somalie espère le déploiement incertain d’une force internationale.

Accord de paix ou monnaie de singe

Quand les Nations Unies se félicitaient de la trêve signée le 9 juin à Djibouti entre le gouvernement fédéral de Transition somalien et l’Alliance pour la re-libération de la Somalie (ARS), puis de «l’accord de paix» du 19 août, elles avaient oublié la force de frappe de l’Union des Tribunaux islamiques qui veut rétablir le sultanat somalien historique de l’époque précoloniale.

La paix de papier n’aura pas duré plus que le temps d’une séance photo : les familles ramassaient leurs morts ce 24 août à Kismayo, alors que les avions de l’armée gouvernementale continuaient à survoler la ville, faisant planer la menace de frappes lourdes. Plus de 90 morts et 200 blessés sont déjà à déplorer, selon un premier bilan encore provisoire, et le groupe islamique Al-Shabab est aux commandes de la ville.

L’accord de Djibouti prévoit la cessation des hostilités pour une période de trois mois et la possibilité d’un retrait éthiopien d’ici octobre, dont la présence des troupes est violemment contestée par l’ARS. Il est destiné, selon le communiqué onusien, «à mettre fin à près de deux décennies de violences».

Le 19 août, soit la veille de l’offensive sur Kismayo, la trêve est devenue un réel accord de paix, après trois jours de consultations en présence de représentants de l’Union africaine, de l’Union européenne et de la Ligue des États arabes. «Dans le cadre de la médiation d’Ahmedou Ould Abdallah, le représentant spécial du secrétaire général pour la Somalie, les parties ont convenu de cesser toute confrontation armée, de cesser les provocations verbales et de créer un mécanisme de suivi de l’accord», annonçaient les Nations Unies.

Mais l’ARS, présidée par le chef islamiste Cheikh Sharif Ahmed, constituée en septembre 2007 à Asmara en Érythrée pour lutter contre la présence éthiopienne en Somalie, n’est qu’un des protagonistes du conflit. Comme les combats récents le montrent, il n’est pas le plus dangereux.

Bons souvenirs de 2006

Dans tous les processus de paix, il y a certains groupes et individus qui rejettent ces accords. Une mise en œuvre efficace de l’accord devrait inciter plus de Somaliens à s’y joindre et leur donner une chance de contribuer à la renaissance de leur pays», indiquait déjà un prémonitoire Ould-Abdallah au mois juin.

Les forces de l’Union des Tribunaux islamiques attaquent sans répit – essentiellement par des attentats – la capitale Mogadiscio, dont elles avaient pris le contrôle une première fois en juin 2006, malgré la résistance d’une alliance de chefs de guerre et du «gouvernement» somalien, soutenu par les États-Unis.

Les six mois qui ont suivi ont vu un rétablissement de la charia – la loi islamique – jusqu’à ce que les forces éthiopiennes, coupant l’herbe sous le pied à la médiation tentée par l’Union européenne, ne chassent en quelques jours du pouvoir l’Union des Tribunaux islamiques, dont les militants se sont alors repliés autour de la ville de Kismayo, au sud du pays. Le retrait éthiopien, amorcé à la fin de janvier 2007, a été interrompu par la reprise des combats dans Mogadiscio.

L’Union des Tribunaux islamiques et de nouveaux groupes islamiques ont aujourd’hui la mainmise sur de larges portions du territoire somalien. La situation humanitaire s’est détériorée constamment ces dix-huit derniers mois et elle atteint désormais un niveau sans précédent, prévenait déjà le 7 août le responsable des affaires humanitaires des Nations Unies, John Holmes, cité par l’agence onusienne. «Vingt et une personnes participant à des efforts humanitaires ont été tuées en Somalie depuis le mois de janvier», souligne-t-il, déplorant les attaques croissantes contre la population civile. «Toutes les parties à ce conflit ont l’obligation, en vertu du droit international, de protéger les civils et de s’abstenir de mener des attaques sans discrimination.»

Début août, 20 femmes occupées à nettoyer les rues de la capitale Mogadiscio sont mortes et 40 autres personnes blessées dans l’explosion d’une bombe dans la rue. Le lendemain, dix civils au moins sont morts lorsqu’un obus de mortier est tombé sur une maison.

Plus de 3 millions de Somaliens sur les 10 millions de la population totale vivent aujourd’hui en exil, et plus de 800 000 ont été déplacés par les combats.

Les options pour ramener la paix dans le pays consistent aujourd’hui soit à «remodeler» la force de l’Union africaine actuellement sur le terrain – qui comme au Darfour est composée de troupes peu professionnelles, insuffisantes en effectif et en équipement – soit à établir une force internationale de stabilisation. Mais le Conseil de sécurité, s’il a renouvelé l’autorisation accordée à l’Union africaine (UA) de maintenir sa mission (l’AMISOM) en Somalie pendant une nouvelle période de six mois, traîne des pieds sur la question de l’envoi d’une force internationale.

Le Conseil de sécurité a répondu à la demande d’une force internationale de stabilisation, dont les éléments seraient fournis par des pays amis, à l’exclusion des États voisins (donc sans l’Éthiopie et l’Érythrée) et qu’elle serait possible… une fois que la situation serait déjà stable.

Pour le Conseil, il faut d’abord que «le processus politique ait avancé et que la situation sur le terrain se soit améliorée sur le plan de la sécurité».

L’ONU ne souhaite évidemment pas reproduire la douloureuse expérience de la mission de maintien de la paix qui avait fait suite à l’intervention américaine ratée, Restore Hope, de 1993. Rejetés par la population, les casques bleus avaient dû se retirer en 1995 sur un constat d’échec complet.