17/09/08 (B465-B) Libé Rennes / Le thonier à travers les mailles du filet (Info lectrice)

Un navire français a déjoué une attaque de pirates, samedi, au large de la Somalie, où les bateaux de pêche deviennent de nouvelles cibles de choix. L’attaque a été lancée au petit matin, sur une mer légèrement agitée, au beau milieu de l’océan Indien. C’est le marin qui se trouvait sur le nid-de-pie juché sur le mât central qui a donné l’alerte, alors que le Drennec, un thonier de 78 mètres de l’armement CMB de Concarneau (Finistère), venait d’effectuer son premier coup de filet. Un hors-bord se rapprochait à toute vitesse du navire.

Passée inaperçue, une première vedette, avec cinq hommes à bord, avait déjà rejoint par l’arrière le thonier, où un pirate s’apprêtait à grimper. Patrick Hélies, le commandant, a viré de bord et mis les gaz à bloc. Le pirate est retombé dans son embarcation. «Il y avait du clapot et un vent de 3 à 4 Beaufort. Je me suis mis face au vent et j’ai fait des zigzags. C’était très dur à tenir pour leurs bateaux légers», a raconté Patrick Hélies au quotidien Ouest France. Réalisant l’échec de leur abordage, les pirates ont tiré quatre roquettes sur le thonier français.

Le clapot a de nouveau joué en sa faveur, empêchant les pirates de viser correctement. La première roquette a frôlé le nid-de-pie où se trouvait le marin en poste au moment de l’attaque, deux autres sont passées au-dessus du pont, et la quatrième a frappé le thonier sans exploser. Le temps de faire des photos et l’engin a été jeté à la mer.

C’est la deuxième attaque de pirates au large des côtes somaliennes visant des bateaux de pêche en deux jours. Le 11 septembre, à la tombée du jour, un thonier espagnol, le Plaja Anzora, a réussi à déjouer l’attaque de quatre hors-bord alors qu’il se trouvait à 320 milles des côtes somaliennes.

Le Drennec se trouvait cette fois encore plus loin, à 420 milles des côtes. Après ces deux abordages, qui font suite à de multiples alertes, les quarante thoniers français et espagnols qui traquent le thon tropical dans l’océan Indien ont décidé de regagner leurs bases dans le port de Mahé, aux Seychelles. «Les patrons de pêche et leurs équipages sont prêts à assumer les risques de leur métier, mais pas le reste. Et c’est maintenant une véritable forme de guerre qui se met en place, s’inquiète Armand Quentel, délégué à la pêche au thon tropical pour la CFDT Bretagne. La zone est vaste et difficile à surveiller, mais il faudrait quand même disposer de navires capables d’intervenir rapidement. S’il faut s’éloigner toujours davantage des côtes somaliennes, ça n’a plus de sens.»

Aristocratie.

Il y a une vingtaine d’années, quand cette pêche très spécialisée a pris son essor, les thoniers travaillaient sans problème à la limite des eaux territoriales somaliennes. Mais ces dernières attaques prouvent que les pirates sont capables de porter leurs coups toujours plus loin, vraisemblablement à partir de bateaux faisant office de plateformes d’attaque.

C’est pourtant dans cette zone, entre Corne de l’Afrique et Seychelles, que se trouvent les bancs de thon albacore et listao, pêchés à la senne, une technique très spécifique, par une vingtaine de navires français et à peu près autant d’espagnols. Une forme de pêche qui fait figure d’aristocratie du métier. «On l’a longtemps appelé la "royale", indique Armand Quentel, parce qu’on travaille au soleil et que les bateaux sont aussi imposants que des yachts de luxe.

Il faut beaucoup de moyens pour investir dans cette pêche et, à une exception près, il n’y a plus un seul armateur qui soit l’unique propriétaire de son bateau.» Beaucoup de ces navires, comme ceux de l’armement CMB, qui en compte dix-huit, avoisinent les cent mètres de long pour une capacité d’environ mille tonnes de poisson. Basés à l’année aux Seychelles, leurs équipages français (environ un tiers sur 24 marins en moyenne) sont relevés par avion tous les mois et demi. Le thon tropical représente à peu près un quart de la valeur annuelle totale débarquée par l’ensemble de la flotte de pêche bretonne (460 millions d’euros).

«Cellule».

En avril dernier, les autorités maritimes françaises avaient été alertées par les marins de dangers de plus en plus pressants. «Mais rien n’a bougé», regrette Armand Quentel. «Ce qui était une piraterie locale près des côtes se transforme en industrie organisée», estime Ivan Riva, président du regroupement des armateurs français de pêche au thon, qui ont réclamé une réunion avec les pouvoirs publics.

Le ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, a réagi hier en demandant au Premier ministre une «réunion interministérielle d’urgence». Les ministres des Affaires étrangères de l’UE doivent quant à eux mettre en place ce lundi une «cellule de coordination chargée de soutenir les actions de surveillance au large des côtes de la Somalie». La possibilité d’une opération navale «préventive» est également à l’étude. Samedi, outre le Drennec, un pétrolier battant pavillon panaméen échappait également à une attaque de pirates. Ceux-ci détiennent également, depuis le 2 septembre, deux otages français capturés sur un voilier.