28/09/08 (B467) Libération : L’Ogaden, la sale guerre que personne ne veut voir.

Par VIRGINIE GOMEZ

Des villages brûlés, des populations déplacées, des femmes violées, des assassinats : depuis le début de l’opération militaire éthiopienne en Ogaden, dans l’est du pays, il y a un peu plus d’un an, la presse et les organisations de défense des droits de l’homme ont multiplié la publication de témoignages, systématiquement qualifiés par Addis-Abeba d’allégations sans fondement.

En juin, Human Rights Watch a ainsi accusé l’Ethiopie de crimes de guerre et pointé du doigt «la conspiration du silence» à laquelle participent, selon elle, Bruxelles, Londres et Washington. Il s’agit moins d’un conflit oublié que sciemment ignoré. «Que pouvait faire l’Ethiopie ?» questionne un diplomate africain, résumant le consensus général.

L’opération de l’armée éthiopienne contre le Front national de libération de l’Ogaden (ONLF) a commencé en juin 2007. Quelques semaines auparavant, une station d’exploration pétrolière chinoise avait été attaquée par les rebelles.

L’assaut avait fait 74 morts, 9 Chinois et 65 Ethiopiens, «l’œuvre d’une coalition entre l’ONLF et les milices islamiques somaliennes», affirme une source proche des services de sécurité.

Opacité.

L’Ogaden constitue une partie de la région Somali en Ethiopie. Ses habitants ont en partage avec ceux de la Somalie voisine la langue, la culture et les traditions des éleveurs nomades, et le réseau de téléphone portable. Après leur défaite, en janvier 2007, les tribunaux islamiques somaliens se sont réorganisés en guérilla. L’armée éthiopienne les affronte à Mogadiscio, la capitale somalienne, tandis que de petits groupes extrémistes opèrent également en région Somali.

Le regain d’activité de l’ONLF, constitué il y a plus de vingt ans, est attribué à l’intervention d’Addis-Abeba en Somalie. A l’origine, l’armée éthiopienne aurait dû être relayée par une force internationale. A ce jour, seule l’Union africaine a déployé 3 000 soldats burundais et ougandais, et l’ONU se garde bien d’y renvoyer des Casques bleus.

De leur côté, les Etats-Unis ménagent leur allié, l’un des seuls dans la région, face au Soudan et à l’Erythrée, ouvertement hostiles à Washington.

Autant de facteurs qui expliquent le silence pesant sur la répression dans l’Ogaden.

La demande d’enquête des Nations unies sur la situation des droits de l’homme est restée lettre morte. La communauté humanitaire en Ethiopie est unanime à critiquer l’opacité avec laquelle les agences onusiennes opèrent dans l’Ogaden.

L’aide alimentaire, par exemple, transite par le gouvernement éthiopien, sous escorte militaire. «Dans certaines zones, les villages qui ont la réputation de soutenir l’ONLF n’ont rien reçu depuis le début des distributions», affirment plusieurs observateurs. Le mois dernier, l’ONLF a accusé Addis-Abeba d’«affamer l’Ogaden». Une responsable du Programme alimentaire mondial reconnaît que la situation humanitaire des populations en région Somali reste critique et se serait même détériorée.

Il y a quelques semaines, Médecins sans frontières-Suisse a annoncé qu’elle quittait l’Ogaden. «Il n’a pas été possible d’apporter une assistance médicale dans les zones qui en avaient le plus besoin», souligne le chef de mission, Stéphane Reynier. En cause, les problèmes de sécurité et les tracasseries administratives. Il y a un an, le Comité international de la Croix-Rouge, accusé de soutenir des rebelles, avait été expulsé de la zone.

Dilemme.

Les opérations militaires ont diminué en intensité dans l’Ogaden, le gouvernement a même annoncé avoir «brisé l’échine» de l’ONLF. Mais la latitude d’action des ONG en Ethiopie est en voie de rétrécissement. Un projet de loi réduit leur champ de compétences tout en renforçant drastiquement les contrôles. Une agence instituée à cet effet pourrait mener des enquêtes, assister aux réunions des organisations, nommer ou renvoyer les personnels…

La question de l’Ogaden est aujourd’hui diluée dans celle de la crise nationale.

Suite à la dernière sécheresse, près de 5 millions de personnes ont officiellement besoin d’une aide alimentaire d’urgence, soit un soutien de 300 millions d’euros. Dans le même temps, le gouvernement bataille avec les agences de l’ONU, dont les chiffres sont jugés trop alarmistes. C’est le dilemme d’un pays sous perfusion internationale, mais qui entend mener sa politique intérieure sans contrôle.