30/10/08 (B471-B) Le Monde : Le gouvernement durcit les conditions de levée du secret-défense.

Le ministère de l’intérieur ne voulait pas en entendre parler (Le Monde du 25 juin), craignant la réaction des syndicats de magistrats. Hervé Morin lui-même, au ministère de la défense, n’était pas très chaud. Et pourtant, la loi de programmation militaire examinée mercredi 29 octobre en conseil des ministres met en place une procédure plus contraignante de levée du secret-défense en cas d’enquête judiciaire et restreint de fait le pouvoir d’investigation des juges d’instruction.

Dorénavant, les perquisitions dans les lieux susceptibles "d’abriter des éléments classifiés", ou opérées dans des "lieux classifiés", voire des lieux "neutres" – dont la liste sera arrêtée par le premier ministre après avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) – ne pourront être effectuées qu’en présence du président de la CCSDN ou de son représentant. Cette commission, présidée par Jacques Belle, est une autorité administrative réputée indépendante composée de cinq personnes : un membre du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, un député et un sénateur.

EFFET DE SURPRISE SUPPRIMÉ

Selon les nouvelles dispositions, seul le président de la CCSDN pourra prendre connaissance des éléments classifiés découverts, alors que le magistrat ne pourra décider de saisir, parmi les éléments classifiés, "que ceux qui se rapportent aux infractions sur lesquelles portent ses investigations".

Les éléments classifiés seront inventoriés et laissés à la garde du président de la CCSDN "et ne pourront être versés à la procédure judiciaire qu’après déclassification par l’autorité administrative compétente, sur avis de la CCSDN".

L’objectif de ce texte, précise l’exposé des motifs de la loi, "est à la fois d’éviter les atteintes au secret de la défense nationale résultant d’une prise de connaissance d’éléments classifiés par un magistrat ou un enquêteur, qui n’ont pas qualité pour en connaître", tout en assurant "un déroulement régulier de la perquisition".

Ce procédé, s’il est adopté, supprimerait cet effet de surprise dont les juges bénéficient aujourd’hui lorsqu’ils se déplacent pour mener les perquisitions de leur propre initiative, seuls, dans des lieux classifiés. Ils placent ensuite les documents litigieux sous scellés, avant de soumettre une demande de levée de secret-défense à la CCSDN.

Une méthode utilisée par les magistrats lors de l’affaire Clearstream, ou encore dans l’affaire Borrel (du nom du juge Bernard Borrel retrouvé mort à Djibouti en 1995), à l’occasion de perquisitions opérées à la DGSE, au ministère de la défense, ou au quai d’Orsay.

L’idée est désormais que la CSSDN "puisse, en présence du magistrat, mettre sous scellés ces documents et ensuite puisse procéder au travail : examen des documents, voir si ces documents peuvent servir à l’instruction, et ensuite me proposer la levée partielle ou totale du secret-défense", a expliqué le ministre de la défense, Hervé Morin.

"L’accès des magistrats à ces documents retrouve un cadre un peu comparable à ce qui peut exister en matière de secret médical", a-t-il indiqué devant la presse. Le projet gouvernemental s’appuie sur un avis du Conseil d’Etat du 5 avril 2007, dans lequel la haute juridiction administrative estimait que le juge d’instruction se devait "de respecter la nécessité impérieuse d’éviter toute compromission du secret de la défense nationale".

Gérard Davet et Laurent Zecchini