18/01/09 (B482) Le Soir de Bruxelles (03/01/09) Le cap Doumeira vaut-il une guerre ? (Info lecteur)

Par Alain
LALLEMAND
Samedi 3 janvier 2009

Djibouti Conflit persistant avec l’Erythrée Un timbre-poste, mais à haute valeur stratégique, a fait 9 morts en 2008. L’Ethiopie va-t-elle s’en mêler ?

L’année 2008 a laissé en héritage un conflit frontalier dans la Corne de l’Afrique qui pourrait bien s’envenimer dans les prochains mois : en huit mois de dialogue, ni le Conseil de sécurité des Nations unies, ni l’Union africaine, ni la Ligue arabe, ni même la France n’ont réussi à faire plier l’Érythrée, laquelle occupe illégalement depuis le 16 avril quelques kilomètres carrés du territoire de Djibouti.

Certes, on ne meurt pas pour un timbre-poste, fût-il rendu célèbre par les récits de Henry de Monfreid. Mais stratégiquement, celui-là compte parmi les plus rares : il s’agit du Ras Doumeira, une petite île et une pointe de terre qui s’enfonce dans la mer Rouge et marque la frontière entre Érythrée et Djibouti. Si Djibouti est déjà un territoire hautement stratégique (c’est notamment le point d’accès de l’Ethiopie à la mer, mais aussi la principale base des forces armées américaines en Afrique), le Ras Doumeira est, lui, le point le plus au nord-est du petit État, et il offre un poste d’observation inégalé sur le Bab el-Mandeb, la porte d’entrée de la mer Rouge.

Le 16 avril, Djibouti s’est rendu compte qu’à cet endroit, des ouvriers venus d’Érythrée, affairés à creuser des tranchées, continuaient leurs travaux de terrassement militaire sur le sol de Djibouti. On parle de la présence de troupes érythréennes, mais à l’époque une reconnaissance effectuée par l’armée française (puissance garante de l’intégrité territoriale de Djibouti) ne permet pas de confirmer la présence de soldats.

Bien que l’Érythrée affirmera rapidement ne pas avoir de revendication territoriale au détriment de Djibouti, le différend sera porté début mai par le président djiboutien Ismail Omar Guelleh devant le Conseil de sécurité des Nations unies, et la Ligue arabe enverra une mission d’information. L’Union africaine est elle aussi saisie. Las, l’Érythrée va simplement nier la violation du territoire djiboutien, et le 10 juin, des échanges de tirs entre les deux armées vont faire 9 morts, 10 blessés graves, 98 blessés légers dans les seuls rangs djiboutiens.

Un véritable front silencieux s’ouvre alors, plus de 2.000 soldats djiboutiens défendant leur république avec l’appui des soldats français qui fourniront jusqu’en octobre dernier une aide logistique, médicale et de renseignement. En octobre, la France poussera le Conseil de sécurité vers l’adoption d’un texte déplorant la violation continue du territoire djiboutien – un texte toujours en travaux en ce moment –, mais sans grand résultat immédiat puisque le 15 décembre, l’Érythrée adressera à Djibouti un ultimatum visant à récupérer des soldats érythréens déserteurs passés dans le camp djiboutien.

Selon un colonel de l’armée djiboutienne cité par l’Agence France-Presse, « presque tous les jours des déserteurs entrent ici. (…) Nous ne pouvons pas les rendre parce que sinon ils seront directement abattus sur place. Ils l’ont déjà fait devant nous. »

Militairement, l’alerte demeure au plus haut côté djiboutien, et l’Érythrée a posté des blindés sur sa frontière. On sait que l’Érythrée est un État mauvais coucheur, déjà englué dans un conflit frontalier important avec l’Ethiopie, et qu’il s’est mis dans son tort en 2008 en faisant obstruction à la Mission des Nations unies en Ethiopie et Érythrée (Minuee), en conséquence dissoute. On sait par ailleurs que l’Érythrée est le pays qui instrumentalise l’islamisme radical en Somalie, hébergeant les leaders exilés les plus radicaux et finançant les milices islamistes shabâbs… lesquels tuent les militaires éthiopiens déployés en Somalie. C’est ce qu’on appelle une « guerre par procuration ».

Or le retrait des troupes éthiopiennes de Somalie, entamé ce vendredi, entraînera peut-être une nervosité éthiopienne croissante sur sa frontière érythréenne (volonté d’en découdre après la déroute somalienne ?) et par ricochet sur Djibouti. Car Djibouti semble s’être rapproché ces derniers mois de l’Ethiopie.

L’ancien candidat à la présidence de Djibouti, Mohamed Moussa Ali, dit « Tourtour », nous explique qu’il « est des choses que tous les Djiboutiens peuvent constater. Je ne suis pas un ennemi de l’Ethiopie, l’Ethiopie est un peuple frère. Mais on voit l’armée djiboutienne escorter des armes éthiopiennes qui entrent par Galafi (NDLR : village djiboutien frontalier de l’Ethiopie). A la police des frontières, des soldats djiboutiens constatent que de hauts gradés éthiopiens entrent sur notre territoire, avec pour tout document leur carte militaire. Sans passeport, sans visa… »

A croire l’opposant Tourtour, qui plaide pour un équilibre diplomatique djiboutien scrupuleux entre Ethiopie et Érythrée, et défendra cet axe aux présidentielles de 2011, Djibouti n’a pas su tenir le cap d’une stricte neutralité, pourtant nécessaire lorsqu’un micro-Etat se trouve enclavé dans de grands pays. Une gaffe ?