17/02/09 (B486) Tribune de Genève (Suisse) «Définir la crise humanitaire, c’est inepte!»

On l’appelle l’anti-Kouchner. Rony Brauman dira ce soir à Genève ses quatre vérités sur l’action humanitaire.

Rony Brauman. «Si l’on veut civiliser la guerre, la justice internationale doit être plus précise.»

ANDRÉS ALLEMAND

«Un humanitaire désenchanté?»

La question, un brin provoc, est posée ce soir à Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières. Ainsi est lancée la série de grandes conférences marquant les 450 ans de l’Université de Genève. Rencontre avec un esprit critique.

Vous n’êtes pas toujours tendre avec les acteurs humanitaires. Dans quelles circonstances feraient-ils mieux de s’abstenir?

Impossible de définir une règle générale. C’est sur le terrain qu’on sait comment agir. Cela dit, en temps de crise, les choix s’imposent d’eux-mêmes. Quand une société est victime d’un conflit armé, d’une catastrophe naturelle ou d’une épidémie de grande intensité, on voit bien ce qu’il faut réparer dans l’urgence.

Le retour à la «normale» est plus délicat. Il y a toujours moyen de se rendre utile de manière désintéressée. Mais pourquoi là plutôt qu’ailleurs? Voyez au Darfour. Durant la guerre, beaucoup sont intervenus avec efficacité et impartialité auprès des populations déplacées.

Mais à présent, il y a davantage d’insécurité que de combats. Les déplacés se sont urbanisés. Leurs problèmes sont ceux de l’exode rural. Et de la pauvreté. Les humanitaires ne risquent-ils pas alors de devenir de simples auxiliaires du pouvoir soudanais? Les limites varient au sein même des ONG. Au Liberia, MSF-France était parti immédiatement après le conflit. MSF-Belgique était resté.

D’accord, il est difficile de bien faire. Mais n’avez-vous pas dénoncé de véritables dérapages?

Bien sûr! L’Arche de Zoé en est un exemple édifiant. Comment, en voulant bien faire, des débutants très doués en sont-ils venus à inventer des faux orphelins du Darfour à expatrier vers la France depuis le Tchad? Beaucoup ont dit que c’était par amateurisme. Je ne suis pas d’accord. Ils ont organisé la mission, trouvé l’argent, fait venir l’avion, et presque abouti. Il y avait même une équipe médicale. Ce qui manquait, c’est une véritable compréhension des enjeux. Bernard Kouchner et Bernard-Henri Lévy martelaient qu’un «génocide» était en cours et que «personne ne faisait rien». Outrés, ces gens ont voulu agir. Sans vérifier si la réalité était telle qu’ils l’imaginaient.

Vous critiquez volontiers Bernard Kouchner et son fameux droit d’ingérence. N’est-il jamais justifié?

On ne peut jamais dire jamais. Y aurait-il eu génocide au Rwanda si les forces de l’ONU, au lieu de se retirer, avaient fait front? Mais je n’aime pas que des humanitaires réclament une ­intervention armée. Des sentiments nobles peuvent aboutir à une véritable boucherie, comme en Somalie ou en Irak.

Je me méfie des définitions. A Gaza, pendant quinze jours, le monde se demandait s’il y avait ou non «crise humanitaire». C’est inepte! Un véritable massacre était en cours!

Justement, à Gaza, on a vu l’armée israélienne cibler des hôpitaux ou des écoles, déclarant que des tireurs du Hamas y étaient embusqués. Le droit de la guerre et le droit international humanitaire sont-ils encore efficaces dans les guerres asymétriques?

Non. Le droit est trop général. Prenez le principe de proportionnalité. Le gouvernement israélien dit que la survie de l’Etat était en jeu, ce qui rend «proportionnelle» à ses yeux une attaque massive contre les combattants du Hamas, même si des vies civiles sont sacrifiées. En face, le même genre de logique est utilisé pour justifier que les combattants islamistes se fondent dans la population.

Si l’on veut civiliser la guerre, la justice internationale doit être plus précise, poursuivre les combattants qui ont utilisé des hôpitaux (ou des écoles) et les soldats qui les ont bombardés. Cela doit devenir risqué pour eux. Ce serait mieux que d’inculper, par exemple, le président soudanais Omar el-Béchir, comme veut le faire la Cour pénale internationale. Le Darfour est un drame, mais des jugements moraux très vagues resteront sans effets sur le terrain.