09/03/09 (B489) Procés en diffamation intentée par Alain Romani contre Elisabeth Borrel, Bernard Nicolas et leur éditeur. Comme nous l’avions annoncée, le compte-renu d’audience (par Laurence Dawidowicz, Présidente de Survie Ile-de-France).

J’ai assisté le 5 mars 2009 au procés pour diffamation, intenté par Alain Romani contre Elisabeth Borrel, Bernard Nicolas et leur éditeur Flammarion pour des passages du livre « Un Juge assassiné ».

Je vous envoie quelques notes prises pendant l’audience, pour votre information et si vous le jugez utile pour les diffuser à vos lecteurs.

Le procès s’est ouvert en présence de M. Romani et de ses avocats, de Mme Borrel, M.Nicolas et leurs conseils ainsi que celui de la maison d’édition ; les témoins cités par la défense étaient également présents, M. Alhoumékani et M.Iftin.

Selon les informations présentées devant la Cour, Alain Romani n’aurait jamais été convoqué ni entendu par la Justice, dans le cadre de l’instruction pour assassinat du Juge Borrel !!!
En dépit des demandes réitérées de la partie civile, dans le cadre de l’instruction pour l’assassinat du Juge Bernard Borrel, Monsieur Romani n’a jamais été convoqué par la justice. Mme Borrel le regrette ! C’est la première fois que Monsieur Romani était présent lors d’une audience, qui jugeait une affaire ayant un rapport avec l’instruction pour assassinat.

Bien qu’étant présent en qualité de victime (?),
il lui a été demandé de répondre à certaines questions.

La plainte pour diffamation porte sur neuf passages du livre dont la Présidente a donné lecture, prenant grand soin de les recadrer à chaque fois dans le contexte général de l’ouvrage. Elle a également rappellé les condamnations d’Hassan Saïd et de Djama Souleiman à Versailles, pour tentative de subornation de témoins et tentative de faux témoignage, à l’issue duquel, les témoins de ce procès ont été reconnus victimes.

Mme Borrel relate rapidement les faits survenus depuis l’annonce de la mort de son époux, les tentatives pour accréditer la thèse du suicide et pour entacher l’image de son mari, puis la sienne. Elle explique que ce livre était nécessaire pour apporter des éléments dans la recherche de la vérité et pour honorer la mémoire de son mari, père de leurs enfants.

Un paradoxe
Elisabeth Borrel a déclaré qu’on ne lui avait jamais apporté de preuvess quant au suicide supposé de son époux mais qu’on avait exigé qu’elle prouve qu’il s’agissait d’un assassinat . »J’ai porté le poids de l’action publique car l’Etat et le parquet ont été longtemps défaillants ». dit elle.

Comme elle le décrit fort bien dans le livre, c’est le refus formel opposé par Mme Morrachini d’entendre M. Alhoumékani, qui l’a amené à se rendre à Bruxelles avec ses avocats pour entendre son témoignage dans le Cabinet de son propre avocat.

Ce témoignage, a-t-elle précisé, a permis de relancer l’instruction et de mettre progressivement un terme aux versions « impossibles » qui étaient privilégiées par les juges en charge du dossier à l’époque (*1).

Le nouveau départ de l’instruction repose d’abord sur les témoignages d’abord d’Alhoumékani puis d’Iftin et sur les constats effectués sur place, au Goubet, en présence du Juge Parlos (qui remplaçait Morrachini et Le Loir) (*1).

Cela explique les multiples pressions exercées par le pouvoir djiboutien pour que MM. Alhoumekani et Ali Iftin reviennent sur leurs témoignages et fait très curieux, pour qu’Alhoumékani ne désigne plus nommément M. Romani comme étant présent à la réunion « du lendemain » au Palais, mais qu’il dise de façon générique « un blanc »

Puisque ce témoignage existe, qu’il a été prononcé et confirmé sous serment devant la Justice française, la question était posée de savoir si le fait de le citer dans un ouvrage sur le sujet, représentait ou non une diffamation ?

Seules les demandes d’actes d’Elisabeth Borrel et de ses conseils ont fait avancer le dossier ; l’avocat d’Alain Romani a regretté qu’elle n’ait pas demandé à la Juge Clément (*1), de faire réaliser un prélèvement d’ADN de son client, pour le comparer avec les prélèvements réalisés sur le short de la vicitime. La partie civile a confirmé que cela avait été demandé mais que la décision revenait à la Juge Clément.

Revenant sur le communiqué du procureur de la République française du 16 juin 2007, qui confirme que l’instruction est désormais conduite dans le cadre d’un assassinat, il a été précisé que ce communiqué avait été écrit à la demande de la Juge Clément et qu’il ne faisait que reprendre des éléments connus depuis 2002 : cinq années ont été nécessaires pour que le Procureur accepte d’officialiser des faits indiscutables….

Dans les passages visés par la plainte, l’un concerne la citation d’une phrase de la Juge Morrachini mettant en garde M.Alhoumékani pour sa sécurité « vous pouvez encore revenir sur votre témoignage, car vous allez vous mettre à dos les mafias corse et libanaise »; les policiers belges, présents, avaient assimilés ces propos à des pressions sur le témoin.

Bernard Nicolas est revenu sur l’écriture du livre mais aussi sur le travail d’enquête qu’il a mené pour réaliser un film documentaire (objet d’une autre plainte en diffamation déposée par Romani, qui a été jugée, il y a huit jours, par le tribunal correctionnel de Créteil et dont on attend le délibéré). Il a précisé que, dans sa démarche de journaliste, il avait proposé de rencontrer Romani pour inclure sa version. Ce dernier avait alors refusé de le voir mais ils s’étaient entretenus par téléphone.

Alain Romani se présente comme la victime d’une machination.
La parole a été donnée ensuite à M. Romani. Il affirme que son nom aurait été dicté au témoin par son avocat, mais il ne sait pas dire pourquoi. De même, il ne s’explique pas pourquoi le procureur de Djibouti a essayé de faire enlever son nom du témoignage d’Alhoumékani.

Il évoque, pour la première fois, une plainte pour dénonciation calomnieuse qu’il aurait déposé contre Alhoumekani, en France en 2000 (?), mais qui dont l’intéressé n’aurait jamais eu connaissance (??) et qui n’a jamais eu de suites judiciaires (???). Il est curieux que le conseil d’Alain Romani n’ait pas évoqué ce point durant l’audience de Créteil, car il aurait été favorable à son client.

De même, il ressort que Monsieur Romani n’a pas attaqué Canal+ après la diffusion du film de Bernard Nicolas à l’antenne, mais qu’il a attaqué seulement Survie et Bernard Nicolas pour « une projection associative » « à public limité », réalisée dans une salle d’Arcueil.

Monsieur Romani a expliqué qu’il s’agirait pour lui d’un problème de délai de prescription (3 mois en général).

Les témoins ont ensuite été entendus sous serment et séparement .

D’abord Mohamed Saleh Alhoumékani:
Alhoumékani a confirmé son témoignage sur la présence de Romani à la réunion tenue au Palais présidentiel le lendemain de la mort de Bernard Borrel. Il a confirmé les propos qu’il a entendus « Est-ce que le registre est entre vos mains ? « . Il a rappelé que l’on ne tente pas d’exercer des pressions sur des faux témoins !

Sur le rôle officieux de Romani, il a cité des privilèges, dont il bénéficiait à titre personnel en particulier, les faits :

qu’il ait été autorisé à conserver les armes de service (en état de marche) de son père (ancien intendant financer au Palais),
– qu’il disposait d’une autorisation exceptionnelle pour ouvrir son bar durant le Ramadan,
– qu’il avait une carte lui donnant un accès direct à la présidence, sans contrôle.

Me Morice, l’avocat de Mme Borrel, lui a demandé : « Dans le jugement de Versailles, la justice française a reconnu votre statut de victime, les mandats d’arrêts ont été maintenus contre le procureur général de Djibouti et le chef des services secrets. Pourquoi cette question de faux témoignage vous a-elle-été posée par rapport à Romani ? »; le témoin n’a pas de réponse à cette question.

De même, il ne sait pas donner d’explication à la présence simultanée de Romani à côté de celui (Adouani) qui a été jugé comme l’auteur de l’attentat commis dans son café l’Historil, et dans lequel, dit son conseil, il aurait pu perdre la vie. Romani était-il présent dans son café lors de l’attentat ? La question a été soulevée, mais aucune réponse n’a été proposée.

Alhoumékani admet que ce fait lui parait étrange aujourd’hui, mais qu’il n’y avait pas porté une grande attention à l’époque des faits. Ce qui l’avait surtout frappé, en sa qualité de témoin de la réunion, c’est le fait que Romani était surtout avec IOG.

La question du commanditaire de l’assassinat du Juge Borrel est posée … mais non résolue !

Ensuite Ali Abdillahi Iftin
Iftin est alors entendu sous serment. Il revient sur les faux témoignages qu’il a été contraint de signer pour discréditer le témoignage de son subordonné au sein de la Garde présidentielle, cédant aux menaces proférées contre la vie de ses propres enfants.

Répondant à une question sur la liberté de mouvement dont bénéficieraient certains prisonniers à Djibouti, il explique qu’une simple botte de khat suffit à un détenu, pour s’acheter la liberté de passer un week end en famille … la corruption est très courante à tous les niveaux. Il est tout à fait possible de rencontrer, en liberté, des coupables condamnés à l’incarcération.

Il considère que la médiatisation a contribuer largement à les protéger, lui et Alhoumékani, même s’ils ont dénoncé, à la Police belge, depuis 2002, plusieurs menaces de mort et tentatives de violence.

Tout en reconnaissant le courage et la volonté d’Elisabeth Borrel et la légitimité de son combat, la plaidoirie des avocats de Romani a tenté de faire déclarer comme étant irrecevable les demandes de preuve offertes par la défense. Romani n’a réclamé que 1€ au titre des dommages et intérets, plus une somme plus importante au titre des frais engagés.

Le Procureur demande la relaxe des trois prévenus.

Le réquisitoire de Madame la procureur de la République a été d’une grande précision ; elle a relevé que le livre était le témoignage d’un combat pour la recherche de la vérité. Elisabeth Borrel a donné son opinion sur chaque point du dossier, sur tous les protagonistes, quelqu’ils soient. Elle a repris tous les éléments, de manière critique et contradictoire, donc non diffamatoire au sens de la Loi. Le texte est émaillé d’interrogations, précisant que tout reste à démontrer.

Par exemple, elle avait demandé à ce que des tests d’ADN soient pratiqués non pas sur le seul Alain Romani, mais sur les 5 personnes que M. Alhoumekani a désignées comme étant présentes à la réunion au Palais. C’est une interrogation normale et prudente qu’elle a conduit, car il faut examiner tous les aspects et toutes les pistes avant de refermer une porte.

Le procureur a donc requis la relaxe pour les trois co-accusés, au titre de la bonne foi.

Les avocats de la défense se sont appuyés sur ce réquisitoire pour prononcer leurs plaidoiries.

Me Morice a apprécié que soit rappelé ici que Bernard Borrel est mort en service. Il a poursuivi : « Le temps des thèses est terminé, la justice a tranché, il s’agit bien d’un assassinat » ;

Pour ce qui est de la crédibilité des témoins, afin de mettre un terme à une idée développée, il a rappelé que le statut de réfugié leur avait été délivré, après une enquête réalisée par les services belges et non par la France, en échange de leur témoignage.

Dans les attendus du jugement de Versailles, il est noté que les témoins ont utilisé les médias pour rompre le silence judiciaire. Quelle arme leur restait-il à part la médiatisation pour se faire entendre par les deux premiers Juges instructeurs, Le Loire et Morrachini, qui opposait des fins de non recevoir à leurs demandes officielles de témoigner ?

Elisabeth Borrel a pris la parole en dernier. Elle a signalé qu’en janvier 2008, un article de Jeune Afrique donnait la parole à IOG. Il revenait sur un entretien avec Jacques Chirac dans lequel il (IOG) aurait déclaré « Vous ne tenez pas votre justice, il ne me reste plus qu’à agresser Mme Borrel », d’où le conseil (qui aurait pu avoir été préparé par certaines autorités françaises) de solliciter la Cour de La Haye pour que la copie du dossier français d’instruction soit transmise à Djibouti ….

Elle a terminé en rappelant la nécessité d’assurer la protection sérieuse et efficace des témoins.

Le jugement a été mis en délibéré au 30 avril 2009.

(*1) Rappelons que l’instruction a été ouverte à Toulouse. Elle a été ensuite dépaysée à Paris et la Juge Morracchini en a été chargée. Le juge Le Loire a été nommée à ses côtés. Après un premier déplacement judiciaire à Djibouti durant lequel les deux juges ont refusé la présence des parties civiles, ils ont orienté l’instruction vers le suicide. A la demande des parties civiles, le Ministère de la Justice les a désaissis du dossier, ce qui est un fait très rare dans les annales du droit français …

Le Juge J-B Parlos a été chargé de reprendre le dossier. Après un deuxième déplacement judiciaire à Djibouti, avec les parties civiles, il a compris que la thèse du suicide ne tenait pas la route. Il a ordonné une nouvelle autopsie qui a mis en évidence un trou dans la boîte cranienne et une fracture du bras, dite « de défense ».

C’est à sa demande, cette fois, que le dossier à été transmis à la Juge Clément qui poursuit l’instruction, d’abord depuis le Palais de Justice à Paris puis du Pôle financier qu’elle a rejoint entretemps.