18/03/09 (B490-B) Affaire Borrel / Copie du texte de la lettre qu’Elisabeth Borrel a adressée au Procureur de la République de Versailles pour demander la réouverture de l’instruction pour subornation de témoin et, au vue des documents saisis lors d’une perquisition à l’Elysée, l’audition de Me Martinet, avocat, Monsieur Roussel, ancien Ambassadeur de France à Djibouti et le Général Bentegeat, ancien Chef d’Etat-Major particulier de Jacques Chirac.

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Madame Elisabeth BORREL née PERNOD

Elisant domicile au Cabinet de Maître Olivier MORICE
Demeurant 11, rue Saint Dominique 75007 PARIS

Monsieur Michel DESPLAN
Procureur de la République de Versailles
5, place André Mignot
78000 VERSAILLES

Le 16 mars 2009

Monsieur Le Procureur de la République,

J’ai l’honneur de vous saisir en ma qualité de partie civile afin de solliciter, conformément aux dispositions des articles 189 et 190 du Code de Procédure Pénale, la réouverture de l’information judiciaire sur charges nouvelles dans le cadre de l’information judiciaire qui avait été ouverte auprès du Tribunal de Grande Instance de Versailles pour subornation de témoins sous les références suivantes:
Instruction n°6/0328 et Parquet n°0307960961.

En effet, en application de l’article 189 du Code de Procédure Pénale: «sont considérées comme charges nouvelles les déclarations des témoins, pièces et procès-verbaux qui, n ‘ayant pu être soumis à l’examen du juge d’instruction, sont cependant de nature soit à fortifier les charges qui auraient été trouvées trop faibles, soit à donner aux faits de nouveaux développements utiles à la manifestation de la vérité ».

Or, je vous rappelle que ce dossier a fait l’objet d’une ordonnance de renvo.i devant le Tribunal Correctionnel et de non-lieu partiel rendue par Madame TABAREAU, alors Vice-Présidente près le Tribunal de Grande Instance de Versailles, en date du 20 août 2007.

Ladite ordonnance avait renvoyé devant le Tribunal Monsieur Djama SOULEIMAN ALI, actuellement Procureur Général de Djibouti et Monsieur Hassan SAID KAIREH, Chef des services secrets Djiboutiens.

Madame Marie-Paule MORACCHINI et Monsieur Alain MARTINET entendus dans la procédure en qualité de témoins assistés bénéficiaient quant à eux d’une ordonnance de non-lieu.

Par jugement du Tribunal de Grande Instance de Versailles du 27 mars 2008, Monsieur Djama SOULEIMAN ALI était condamné à 18 mois de prison ferme avec maintien des effets du mandat d’arrêt délivré à son encontre le 27 septembre 2006.

Monsieur Hassan SAID KHAIREH, Chef des services secrets djiboutiens, était condamné à 12 mois d’emprisonnement ferme avec maintien des effets du mandat d’arrêt délivré également à son encontre le 27 septembre 2006.

Vous savez que ce jugement a été frappé d’appel et que la Cour d’Appel de Versailles doit réexaminer ce dossier les 25 et 26 mars 2009.

En outre, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte près le Tribunal de Grande Instance de Paris pour pressions sur la justice, les Magistrats Instructeurs, co-saisies, Mesdames Fabienne Fous et Michèle GANASCIA, ont opéré un certain nombre d’investigations tant au Ministère de la Justice qu’au Ministère des Affaires Etrangères et à l’Elysée.

Il apparaît que ces actes d’instruction ont été extrêmement fructueux, montrant combien l’Etat français, à son plus haut niveau, a tout tenté sous la Présidence de Monsieur Jacques CHIRAC pour étouffer la recherche de la vérité dans les différentes plaintes que j’avais déposées, alors que nous étions en présence à titre principal de l’assassinat d’un Magistrat français.

Bien évidemment, ces différents documents n’ont jamais été portés à la connaissance des différents Magistrats Instructeurs chargés de la plainte en subornation de témoins, puisqu’ils ont été soit saisis, soit obtenus, postérieurement à l’ordonnance du 20 août 2007.

Deux d’entre eux sont indubitablement des documents qui doivent être appréciés comme des pièces de nature à «fortifier les charges qui auraient été trouvées trop faibles mais également de donner aux faits de nouveaux développements utiles à la manifestation de la vérité », et ce dans l’esprit de l’article 189 du Code de Procédure Pénale et de son application jurisprudentielle.

Ces documents m’ont été remis par mes Conseils, conformément aux dispositions du Code de Procédure Pénale, et c’est donc la copie que je détiens que je vous transmets.

Le premier document est un télégramme diplomatique n°36 du 23 janvier 2000 adressé par l’Ambassadeur de France à Djibouti à de nombreux interlocuteurs sous la mention confidentiel diplomatie.

Il importe d’en rappeler les termes:

"Résumé: De source française proche de la Présidence Djiboutienne, on m’indique que M. Arnaud Montebourg, Député de Saône et Loire, aurait incité M. Aloumekani à accuser le Président lsmaêl Omar Guelleh en échange de l’obtention de l’asile politique.

J’ai reçu le 23 janvier Maître Martinet, avocat français établi depuis longtemps à Djibouti, proche du Président lsmaêl Orner Guelleh, qui avait défendu les victimes de l’attentat du Café de Paris en 1990.

Maître Martinet, qui avait vu la veille le Président lsmal Orner Guelleh, m’a confirmé que ce dernier était blessé et abattu des accusations portées contre lui par M. Aloumekani, rapportées par la presse et la télévision françaises.

Il m’a indiqué que les autorités djiboutiennes préparaient une riposte à Paris contre ces accusations, avec l’aide de leur Avocat, Maître Szpiner.

Il m’a indiqué également que selon les in formations de la Présidence djiboutienne, M. Montebourg, Député de Saône et Loire, se serait rendu récemment à Bruxelles, qu’il y aurait eu un contact avec M. Alournekan!, et qu’il l’aurait assuré de l’asile politique en échange de ses révélations dans l’Affaire Borrel. Cette démarche aurait été faite en liaison avec Mme Borrel.

J’ai aussitôt demandé à Maître Martinet s’il détenait une preuve de cette affirmation. Il m’a répondu par la négative. II ne m’a pas précisé non plus dans quel pays l’asile politique pourrait être accordé à M. Aloumekani.

Cette affirmation me paraît assez grave pour en faire part de suite au département.

Je ne puis pour l’instant donner aucun élément d’appréciation de cette information.

Je ne peux à ce stade formuler que deux observations: tout d’abord, que Maître Martinet, français établi de longue date à Dj!bouti, et dont le fonds de commerce repose largement sur notre présence à Djibouti, ne fait certainement pas partie des personnalités qui peuvent chercher à provoquer une crise grave entre Paris et Djibouti.

D’autre part, il convient de se rappeler que M. Montebourg avait été l’Avocat d’Awaleh Guelleh, condamné par la justice française pour sa participation à l’attentat du Café de Paris, actuellement en fuite après son évasion de la prison de Gabode. M. Awaleh Guelleh est le principal accusé dans les révélations de M. Aloumekani.

Cet enchevêtrement d’accusations ne laisse pas de rendre perplexe.

Signé : Roussel.»

Le second est une note émanant de la Présidence de la République Française et plus précisément du Chef de l’Etat-Major particulier du Président, le Général
BENTEGEAT, adressée à l’attention de Monsieur DUPUCH en date du 25 janvier 2000.

Il importe également d’en reprendre les termes

((Objet: Djibouti : J’ai reçu à sa demande, Maître Martinet, avocat français à Djibouti.

Il avait rencontré récemment le Président I.O.Guelleh et avait été frappé par son amertume à l’égard du Gouvernement français qu’il accusait d’être à l’origine du témoignage montage de Bruxelles le mettant en cause dans l’affaire Borrel.

Maître Martinet estimait que notre ambassadeur à Djibouti n’avait pas réussi à convaincre les Dflboutiens de l’innocence des autorités françaises dans cette affaire fortement médiatisée.

Pour 1ui, les relations franco-djiboutiennes pourraient être gravement affectées par cet incident. Il pensait qu’un appel téléphonique de M. Josselin ou peut-être du Président était hautement souhaitable pour marquer le peu de crédit que nous apportions aux accusations de ce lieutenant inspirées par Maître Montebourg.

Commentaires:
Cette affaire n’est pas de mon ressort. Je vous livre l’information pour ce qu’elle vaut. Maître Martinet se tient à votre disposition, si vous souhaitez l’interroger. Il peut être joint, jus qu’à vendredi matin à l’Hôtel de l’Elysée, rue des Saussaies.

Général BENTEGEAT ».

Ces deux documents sont extrêmement importants dans la mesure où en application de l’article 189 du Code de Procédure Pénale, ils sont de nature à fortifier les charges qui auraient été trouvées trop faibles et à donner aux faits de nouveaux développements utiles à la manifestation de la vérité.

Il est particulièrement scandaleux de constater qu’au plus haut niveau de l’Etat, ces informations ont été dissimulées des Magistrats Instructeurs en charge de l’information judiciaire pour subornation de témoins alors qu’elles viennent fortifier les éléments à charge et montrer qui est le véritable instigateur de la subornation de témoins, à savoir le Président lsmaèl Omar GUELLEH.

Je vous rappelle par ailleurs que je m’étais étonnée lors du procès de première instance par la faiblesse des réquisitions du Parquet qui n’avait requis à l’égard des hauts dignitaires djiboutiens qu’une condamnation de 6 mois de prison avec sursis.

Les Juges du fond ont eu une analyse bien différente dans un jugement particulièrement étayé de 52 pages, démontrant la véritable manipulation orchestrée par le Chef des services secrets djiboutiens en prononçant des condamnations à de la prison ferme, 18 mois pour le Procureur Général de Djibouti et 12 mois pour le Chef des services secrets djiboutiens.

Dans le cadre de l’information judiciaire pour subornation de témoins, il n’avait pu être recueilli d’éléments à charge suffisants notamment à l’égard de Maître MARTINET, l’ordonnance du 20 août 2007 précisant, page 15: «Au fond, s’agissant d’Alain MARTINET, il sera obseivé qu’il s’est borné à mettre en relation AIl Abdillahî IFTIN, à sa demande, avec un notaire, Maître KORAN AHMED AOULED ».

Pourtant, le jugement rendu le 27 mars 2008 par le Tribunal Correctionnel de Versailles nonobstant le fait que Maître MARTINET n’était pas renvoyé devant le Tribunal, avait cru devoir insister sur les circonstances de son intervention et
notamment, page 33 du jugement:

"Le choix par Hassan SAID KHAIREH de Maître MARTINET comme intermédiaire présentait les avantages manifestes suivants:

– justifier d’un choix de procédure pouvant surprendre; en attribuant la paternité de la décision de recueil du témoignage par un notaire à un avocat français, plusieurs fois bâtonnier du barreau de Djibouti, inscrit au barreau de Paris de 1972 à 1976, puis au barreau de Lyon jus qu’en 1984, qui avait bien connu le juge BORREL pour avoir travaillé avec lui sur la rédaction des nouveaux textes de loi et aménagements, coopérant français qu’il rencontrait assez souvent tant à titre professionnel que personnel comme ressortissant français, membres d’une même communauté;

– déprécier le témoignage de Mohamed SALEH HOUSSEIN ALHOUMEKANI: en sa qualité de conseil des parties civiles françaises de l’attentat du café de Paris et de la grande partie des victimes de l’attentat de I’Historil, maître MARTINET n’hésitait pas à dire que les révélations en question lui semblaient invraisemblables et qu’il avait éclaté de rire en apprenant la mise en cause d’AWALLEH GUELLEH, qu’il qualifiait « d’ennemi n°1 d’IOG ».

Le choix de cet intermédiaire était d’autant plus judicieux qu’il avait par le passé déjà fait connaissance des magistrats instructeurs: Mme MORACCHINI pour l’avoir rencontrée fortuitement à l’occasion des déplacements du juge à Djibouti comme d’autres avocats ou coopérants, hors cadre du dossier BORREL et d’autre part Roger LE LOIRE, en sa qualité de juge d’instruction de l’affaire du café de Paris (magistrat qui avait accepté pour cette raison et sa connaissance de Djibouti, à la demande de sa collègue, d’être co-saisi dans le dossier BORREL).

L’étonnement de Maître MARTINET quant à AWALLEH GUELLEH nécessite de préciser que ce dernier, placé en détention provisoire suite à sa mise en cause dans l’affaire de l’attentat du café de Paris par un juge d’instruction djiboutien, avait été placé sous contrôle judiciaire en novembre 1994, concomitamment à l’arrivée du nouvel ambassadeur de France à Djibouti, décision qui avait profondément choqué, aux dires de sa veuve, Bernard BORREL, désaccord dont il avait fait part au chef de la coopération, Monsieur MOULINE. Mme BORREL précisait que le lendemain, le ministre de la justice avait demandé à son mari comment réincarcérer les personnes inculpées et que la réponse avait été que ce ne serait possible que dans l’hypothèse d’un non-respect des obligations du contrôle judiciaire, ce qui fut le cas quelques jours plus tard. Mme MORACCHINI précisait dans son mémoire que AWALLEH GUELLEH s’était évadé en 1997 ».

D’autres passages dudit jugement font état également des interrogations du Tribunal sur l’intervention de Maître MARTINET.

Force est de constater que les pièces recueillies par Mesdames POUS et GANASCIA démontrent l’importance des agissements de Maître MARTINET comme avocat du Président Ismaél Omar GUELLEH.

Son rôle apparaissant comme très actif et déterminant dans la mise en place du témoignage notarié effectué le 23 janvier 2000.

On s’aperçoit ainsi que le 23 janvier 2000, Maître MARTINET se rend auprès de l’Ambassadeur de France à Djibouti, Monsieur ROUSSEL, où il n’hésite pas à venir dénoncer son Confrère, Monsieur Arnaud MONTEBOURG comme étant à l’origine d’une manipulation.

On observe que Maître MARTINET agit à la demande du Président Ismaêl Omar GUELLEH et qu’une riposte est en préparation avec l’aide de Maître SZPINER.

Ce télégramme précise au surplus que Maître MARTINET ne détient aucune preuve de l’intervention de Monsieur MONTEBOURG, ce qui ne l’empêchera pas, le même jour, de conseiller Monsieur IFTIN pour l’établissement du témoignage notarié.

On s’aperçoit que non satisfait de sa rencontre avec l’Ambassadeur de France, Maître MARTINET est reçu, précipitamment, à l’Elysée, le 25 janvier 2000, soit deux jours plus tard, par le Général BENTEGEAT, Chef de l’Etat-Major particulier du Président de la République, qui établira une note corroborant le télégramme diplomatique de Monsieur ROUSSEL.

Que le contenu de ces informations est d’une extrême importance et justifie qu’en application des articles 189 et 190 du Code de Procédure Pénale, vous puissiez requérir la réouverture du dossier sur charges nouvelles.

En effet, il est indispensable à la manifestation de la vérité que Maître MARTINET soit à nouveau interrogé, que l’Ambassadeur de France à Djibouti , Monsieur ROUSSEL, ainsi que le Général BENTEGEAT, soient entendus sur les différents écrits qu’ils ont été amenés à rédiger.

Je reste bien évidemment à votre entière disposftion, Monsieur Le Procureur de la République, pour vous fournir tout renseignement complémentaire et vous indique que mes Conseils, Maîtres Olivier MORICE et Laurent de CAUNES sont également prêts à répondre à toute sollicitation de votre part.

Veuillez agréer, Monsieur Le Procureur de la République, l’expression de mes sentiments les plus respectueux.

Elisabeth BORREL

PJ : Télégramme diplomatique n°36 du 23.01 .2000
Note de la Présidence de la République du 25.01 .2000