29/03/09 (B492) Bouh Warsama : « Occidentaux. Dormez en paix, tout va bien à Djibouti ! »

par Bouh Warsama

Au début du 20ème siècle et plus précisément le 11 septembre 1906, Mohandas Karamchand Gandhi – connu sous le nom de Gandhi – réunissait plus de trois mille personnes au Théâtre impérial de Johannesburg pour prêter serment de résistance à l’oppression ; à l’aide de la désobéissance civique de masse, le tout fondé sur l’Ahimsa, acte de totale non-violence qui mènera bien plus tard l’Inde à l’indépendance.

Avocat ayant fait ses études de droit en Angleterre, Gandhi développa tout au long de son existence une philosophie de désobéissance civile non-violente, notamment en Afrique du Sud, en organisant la lutte de la communauté indienne pour ses droits civiques.

À son retour en Inde, il y organisa les fermiers et les travailleurs pauvres pour protester contre les taxes écrasantes et la discrimination étendue et porta sur la scène nationale la lutte contre les lois coloniales créées par les Britanniques.

Devenu le dirigeant du Congrès National Indien, Gandhi mena une campagne nationale pour l’aide aux pauvres, pour la libération des femmes indiennes, pour la fraternité entre les communautés de différentes religions ou ethnies, pour une fin de l’intouchabilité et de la discrimination des castes et pour l’autosuffisance économique de la nation, mais surtout pour le Swaraj — l’indépendance de l’Inde de toute domination étrangère.

Gandhi mena les Indiens lors de la célèbre opposition à la taxe sur le sel que fut la marche du sel en 1930. C’est aussi lui qui lança l’appel Quit India aux Britanniques en 1942.

Il fut emprisonné plusieurs fois en Afrique du Sud et en Inde pour ses activités et passa en tout six années de sa vie en prison.

Bien que ce 11 septembre 1906 soit occulté ­ depuis 2001 ­par un autre 11 septembre, le centenaire de cet acte contestataire et fondateur a coïncidé avec la recrudescence, à Djibouti, de cette forme de protestation collective.

Protestations collectives pour de multiples raisons – notamment ceux pour la grande pauvreté qui sévit malgré les dizaines de milliards d’Aides internationales qui affluent sur le pays et …s’évaporent pour majeure partie – s’exprimant spontanément par des manifestations non violentes dans les rues de la capitale qui auront pourtant et quasiment toutes dégénéré au final en tirs à balles réelles sur les manifestants totalement désarmés – sur ordre du Palais de l’Escale – et faisant de nombreux morts et blessés.

Victimes de la barbarie sur ordre et dont les chiffres exacts furent masqués par des autorités locales soucieuses de tenter de démontrer aux Occidentaux que « l’Ordre règne à Djibouti »…quitte à falsifier toutes les réalités comme le veut une forme de « culture locale » instaurée depuis l’autoproclamation d’Ismaïl Omar Guelleh à la tête du pays.

D’année en année, malgré les morts et les blessés, la situation de « désobéissance » à l’ordre en place s’est accrue avec des mobilisations non-violentes qui touchent aujourd’hui tous les secteurs de la société djiboutienne – y compris en exil – confirmant ainsi qu’une telle augmentation des actes de désobéissance civique est la marque flagrante du symptôme des graves dysfonctionnements de l’Etat et des bouleversements qui se préparent dans le pays.

De plus en plus de citoyens et de citoyennes rejoignent ceux qui ont fait le choix de désobéir, après avoir épuisé la voie des recours légaux et celle du dialogue.

Hommes et femmes protestent contre un « ordre des désordres » établi et jugé injuste, favorisant quelques intérêts privés qui dilapident impunément les fonds publics et les aides internationales au point que le Palais de l’Escale est surnommé « le Palais du fils d’Attila !!!!!»

Les opposants et dissidents, souvent considérés comme des délinquants par le pouvoir en place, affirment pourtant agir au nom de l’intérêt général, brandissent et scandent dans les rues des capitales du monde occidental les principes fondateurs des droits de l’homme sans pour cela – dans ces grandes villes du monde libre – être victimes de bastonnades ou de balles tirées par les forces de police.

Quand bien même le « système occidental » n’est-il pas parfait, loin s’en faut, tout le moins chacune et chacun est en droit d’y exprimer librement ses éventuels désaccords d’avec le régime et, le cas échéant, d’être entendu par une justice et défendu devant les tribunaux.

La désobéissance civique est le côté « pile » de la démocratie.

Loin de chercher à la démanteler, la désobéissance civique est le garde-fou de la Démocratie et empêche son dévoiement ; une forme de sonnette d’alarme. Elle agit également comme un antidote à la violence à la condition que les gouvernants du pays concerné sachent ne pas rester sourds à ces revendications ; certes parfois taxées d’illégalité mais indéniablement légitimes.

Dans le cas contraire, l’histoire n’a de cesse de démontrer que l’absence d’écoute, de dialogue et de réponse politique pertinente aboutit toujours à l’insurrection populaire qui peut ravager soudainement un pays et une population pourtant des plus pacifiques qu’il soit.

Ce sont les effets pervers d’un tel soulèvement populaire dévastateur que nous craignons à Djibouti ; nul ne peut prétendre connaître par avance les réactions d’une population poussée au bord du gouffre par une tyrannie sanguinaire et qui ne respecte plus rien.

Du fait de l’autoproclamation par deux fois, d’Ismaïl Omar à la présidence de la république, les opposants se parent d’une légitimité dont l’Etat actuel revendique à tort l’exclusivité.

Qui a raison dans cette affaire et quel serait le moyen le plus adapté pour se faire entendre ?

La désobéissance «civique» …et non «civile».

Dis avec simplicité l’obéissance civique c’est le respect de la loi.

Mais la question qu’il convient de se poser est « De quelles lois parlons-nous ? Celles dans un système démocratique ou celles d’un Etat tyrannique, sans foi ni loi dans l’effectivité ? »

Chacun se doit d’admettre que le respect de la loi est un acte d’ordre civique et un impératif citoyen.

Le citoyen étant celle ou celui qui prend part aux décisions par l’intermédiaire de ses représentants librement choisis par lui et ses semblables… lors d’élections sincères ce qui en principe correspond à la situation des «pays démocratiques»

Formellement tout cela est très clair et ne souffre aucune transgression.

On pourrait même se poser la question de savoir « pourquoi la moindre contestation est autorisée sous un régime véritablement démocratique ? ».

En effet, toute contestation est en principe antidémocratique puisque la règle, la loi, est démocratique… on ne peut qu’y obéir. L’obéissance à la loi ne serait pas en fait une obéissance mais simplement une reconnaissance de la règle établie en commun et approuvée par tous… la minorité se pliant alors à la volonté de la majorité.

Toute la question du fondement du système démocratique repose évidemment sur la nature de ce système.

Ce que nous en voyons c’est son «enveloppe» ; en fait ce que l’on veut bien nous laisser voir ; ce qui est apparent, par exemple ce que l’on enseigne en instruction civique dans les écoles.

On nous explique une chose essentielle qui est que la légitimité du pouvoir est basée sur le peuple, donc les institutions politiques sont forcément démocratiques, en conséquence de quoi il faut donc les respecter.

Ceci est formellement vrai mais la réalité politique, sociale et économique est plus complexe à Djibouti.

Si l’on prend le « système marchand » imposé par IOG, car c’est de cela dont il s’agit, constat est fait qu’il est basé sur un rapport social fondamentalement inégalitaire pour ne pas dire inexistant.

En effet il consacre la possibilité de l’exploitation du travail d’autrui, sous une forme presque aussi contraignante que l’esclavage ou le servage, car il s’agit tout de même d’une exploitation, d’une soumission sans possibilité de contester et d’exposer son propre point de vue pour défendre ses droits.

Il y a donc dans le fondement même de ce système un artifice flagrant ; tous les Droits sont écrits …aux fins de donner l’illusion que l’on respecte une certaine forme …mais, dans la réalité quotidienne, quasiment jamais respectés. C’est donc une source de conflit potentiel qui se trouve d’autant plus aggravé par une forme de « Magistrature dite debout et artificielle » car étant nommée par et au service exclusif du pouvoir en place et non point de la justice.

L’enveloppe idéologique qui entoure ce rapport social et les grands discours déclamatoires et pompeux des représentants de l’Etat djiboutien actuel sont aussi trompeurs que ceux qui proclamaient que «Tous les hommes sont frères» dans le système féodal occidental ou que « Tous les hommes naissent et demeurent égaux !!! ».

Le décalage entre la réalité du système et sa justification idéologique, si elle peut – par l’achat de quelques consciences – retarder l’émergence du conflit, ne peut en aucun cas l’éradiquer définitivement.


Humour par Roger Picon

Le système marchand d’Ismaïl Omar n’est d’ailleurs pas dupe de ce qui le fonde et surtout le maintient en état de survivance. Il a bien essayé d’étouffer toute contestation dès ses débuts, mais devant la pression exercée ces dernières années par l’Union Européenne (en contre partie des Aides financières apportées), il a bien été obligé de reconnaître officiellement «des droits» et d’accorder des «espaces de liberté et d’expression» qu’en fait il respecte le moins souvent.

Là encore, l’Etat Guelleh se situe dans la mascarade et l’artificiel.

Ces Droits et Espaces de liberté et d’expression existent mais sont transgressés et violés par le régime politique au pouvoir :
droit d’association, droit de grève, droit de manifester ont été peu à peu concédés… pas spontanément et ne sont, dans les faits, jamais ou quasiment jamais respectés.

L’important pour ce régime politique là est de paraître et non point de faire et d’être dans l’intérêt des populations ! et ce plus d’un siècle après la déclaration des Droits de l’Homme qui était censée fonder la morale … ce qui laisse songeur voire dubitatif face au silence… embarrassé des grands pays occidentaux.

Dans une région dominée par tous les conflits et à deux pas du bourbier somalien, dans lequel nul occidental n’ose y poser ne serait-ce que le bout du pied, « L’ordre doit impérativement régner à Djibouti » (plate forme de surveillance) doit-on penser dans certaines grandes capitales des pays dits évolués tout en murmurant et en détournant le regard : « …peu importe que cet ordre soit celui de la corruption et des désordres établis… ».

Il y a donc, malgré les discours de bonnes intentions sur les Droits de l’Homme et l’Emploi, une volonté délibérée de limiter l’expression, la contestation et la critique des Djiboutiens et des Djiboutiennes.

L’objectif est de garantir – aussi longtemps que cela sera possible – le principe de fonctionnement d’un tel système anti démocratique ; aussi déraisonnable et perverti puisse t-il être.

Pour cela rien n’a été négligé : échanges mutuels de « coups de brosse à reluire », développement de la propagande politique appuyée par le financement de rares médias locaux à la solde du Palais de l’Escale,… enfin répression physique contre les mouvements organisés et effacement… des « fouineurs », opposants et gêneurs.

Fondamentalement rien n’a changé au niveau du principe depuis 1999 … tous les discours lyriques sur la pseudo modernité à Djibouti ne sont qu’un perfide vernis de façade qui tente vainement de donner l’illusion, grâce à l’influence de relais « soutenus financièrement » dans certains pays occidentaux, d’un perfectionnement démocratique des institutions alors que le système fonctionne toujours selon les mêmes principes de l’assistanat, de la corruption, du chantage et d’une population prise en otage par quelques uns.

« Occidentaux. Dormez en paix, tout va bien à Djibouti ! »

Alors pourquoi voudriez-vous que cela change ?