10/06/09 (B502) Nouvelles de Somalie … (Comme c’est le cas depuis plusieurs jours, l’information – au moins en Français – sur la situation à Mogadiscio et dans le pays est pratiquement « inexistante ». Censure ?) (1 article)

____________________________________ 1 – Le Mague

Avec les Trafiquants d’Armes en Somalie

par Philippe Gras

2 journalistes sont retenus en otage en Somalie depuis neuf mois, une pigiste canadienne et un photographe australien. Leur situation est désespérée et la santé de la jeune femme s’aggrave. Les conditions de travail difficiles, périlleuses, des correspondants de guerre n’empêchent pas la couverture mondiale de l’information par les agences de presse, des fils desquelles souvent les dépêches les plus futiles retiennent notre attention au détriment des reportages comme celui-ci.

Assis sur une natte, entre deux appels au téléphone portable, Osman Bare remercie la guerre de la Somalie, car elle a lui a offert la fortune en saignant le pays à blanc. J’ai été marchand d’armes seulement 5 ans, raconte cet homme de 40 ans, ensuite j’ai fait construire 3 maisons. J’ai aussi ouvert un commerce pour chacune de mes 2 épouses. L’homme est l’un des 400 trafiquants d’armes somaliens qui tiennent le marché à Mogadiscio. La paix, pour nous ce serait la faillite !

En dépit d’un embargo des Nations-Unies sur les armes en Somalie, ce pays de la Corne de l’Afrique est inondé par des armes qui proviennent du monde entier, alimentant ainsi l’un des conflits au long cours qui ravage la région. Dans cette dernière période de la guerre civile, les musulmans radicaux ont affronté un gouvernement somalien fantoche et 18.000 civils sont mortes au cours des 2 années précédentes, victimes collatérales d’un conflit qui s’éternise.

Des armes sont prises, revendues et passent constamment de main en main entre les deux côtés, selon les experts. Beaucoup d’armes ont été fournies par des soldats éthiopiens, présents en Somalie entre 2006 et le début de cette année. Les soldats de la paix africains ont aussi été accusés de collusion avec ce trafic, et certains diplomates suggèrent que l’Érythrée, entre autres, sert de point de passage pour les armes des rebelles.

On parle aussi d’un transit à travers les frontières poreuses du Kenya, du Djibouti et de l’Éthiopie, où elles arrivent par avion, et par la mer infestée de pirates, lesquels sont eux-mêmes armés jusqu’aux dents. Le marché des armes de Mogadiscio est juste un quartier du grand bazar national où les affaires illicites sont les seules qui prospèrent. Pour l’association Small Arms Survey située à Genève, il y a au moins 640 millions d’armes à feu de petit calibre dans le monde, soit une pour 10 personnes.

Un tiers seulement de celles-ci sont utilisées dans les armées ou les forces de l’ordre, le reste est dispersé dans toutes les milices privées ou circulent dans la population civile. Les trafiquants tels que Osman Bare estiment que sur le plus grand marché qui se trouve à Irtogte, dans la zone commerciale mal définie de Bakara à Mogadiscio, le stock d’armes est plus grand que jamais.

Les risques d’être dévalisé, escroqué ou de ramasser du plomb sont grands, et les prix fluctuent considérablement. Ils sont en ce moment à leur niveau le plus bas, à cause de l’abondance de l’offre. Nos marchandises ne sont pas périssables et c’est une bonne chose, explique Osman Bare : nous avons beaucoup d’argent disponible, mais nous vivons toujours dans la terreur.

Les trafiquants font valoir qu’ils sont susceptibles d’être arrêtés, voire même décapités par les islamistes, si attrapé à l’extérieur de leur territoire. Mais à l’intérieur du bazar, nous sommes tranquilles, dit Osman Bare en souriant : il y a là des centaines de détaillants et de grossistes et chacun d’eux possède 4 gardes du corps bien armés. Par le passé, des islamistes sont parvenus à l’enlever, lui ont bandé les yeux et l’ont conduit dans à une maison bien connue de tous comme étant leur quartier général.

Les islamistes l’ont attrapé alors qu’il allait livrer un fusil d’assaut américain M16 à des pirates, et ont vu dans cette arme plus qu’ils n’allaient tirer d’une rançon. Il allait être abattu lorsqu’un de ses amis a réussi à obtenir de ses contacts dans le mouvement insurgé Al Shabaab de lui laisser la vie sauve. Le gouvernement est plus gentil que les islamistes : ils ne tuent pas les gens. Ils mettent vos biens sous séquestre et vous mettent en prison quelques jours, raconte Osman Bare.

Les islamistes viennent au bazar pour achat, expliquent les trafiquants, mais des armes sont aussi livrées au gouvernement et à d’autres acheteurs. Hormis les pistolets yéménites, les AK-47 nord-coréens et les grenades à main pris sur les approvisionnements du gouvernement, la plupart des armes sont d’occasion. L’un des articles les moins chers est le AK-47 indien, à 140 dollars, mais les combattants lui préfèrent la version nord-coréenne à 600 dollars qui résiste bien à la chaleur et la russe à 400 dollars, très légère. Le must de l’armement est un pistolet qui vient de Russie et qui vaut 1.000 dollars l’unité. Les grenades à main valent 25 dollars chacune et les mines 100 dollars.

À l’autre bout de la chaîne, il y a le fossoyeur. Ali Osman est ouvrier au cimetière et touche 15 dollars pour chaque tombe creusée. Il doit parfois en creuser jusqu’à 20 par jour lorsque les combats font rage, et pour lui comme pour les usuriers, l’argent afflue avec la violence.