07/07/09 (B506-B) Afrique : insécurité, troubles politiques et conflits armés à l’origine de violations des droits syndicaux (Rapport de la CSI) (Info lectrice) Le régime de Guelleh est encore épinglé pour ses pratiques anti-syndicales et le harcèlement permanent des syndicalistes libres.

Confédération syndicale internationale (CSI) http://www.ituc-csi.org

En Afrique, en 2008, onze personnes ont payé de leur vie leur engagement syndical ou à tout le moins leur participation à des grèves et à des manifestations de travailleurs. Pour ces mêmes raisons, plus d’un demi-millier d’hommes et de femmes ont été arrêtés, plus de 250 ont été blessés, parfois grièvement, certains syndicalistes ont été torturés et passés à tabac directement par les forces de sécurité ou par des inconnus souvent téléguidés par les autorités. Des dizaines de dirigeants et de simples travailleurs ont été condamnés à des peines de prison.

Plus de deux mille grévistes ont été licenciés.

On le voit, si le dernier rapport annuel de la CSI sur les violations des droits syndicaux dans le monde fait état de très nombreuses victimes avérées en Afrique, il n’en demeure pas moins que le caractère antidémocratique de nombreux régimes en place, la collusion entre nombre d’employeurs et les autorités et, plus globalement, l’insécurité, le manque de justice et l’impunité ne permettent que trop rarement de recenser de manière exhaustive tous les cas de violation.

Epinglés année après année par l’OIT et ses organes de contrôle pour les graves atteintes portées aux droits syndicaux, plusieurs pays, le Swaziland et Djibouti notamment, ont continué à harceler de façon notoire les principaux dirigeants syndicaux comme Jan Sithole, le secrétaire général de la Swaziland Federation of Trade Unions (SFTU), arrêté à deux reprises, ou encore Hassan Cher Hared et Adan Mohamed Abdou de l’Union djiboutienne du travail (UDT), continuellement persécutés.

Au Zimbabwe, les principaux leaders syndicaux, Wellington Chibebe et Lovemore Matombo, respectivement secrétaire général et président du Zimbabwe Congress of Trade Unions (ZCTU), Takavafira Zhou, président du Progressive Teachers’Union of Zimbabwe (PTUZ), ont été brutalisés et arrêtés, parfois à plusieurs reprises. Un pic de violence a été atteint durant la campagne électorale quand le pouvoir et ses sbires ont saccagé des bureaux syndicaux, attaqué et torturé des militants et leurs dirigeants.

Soupçonnés de vouloir le changement politique ou simplement de pouvoir influencer le vote dans leur communauté, les représentants des enseignants et plus globalement tous les militants syndicaux ont été pris pour cible par le pouvoir. Ainsi, Sheperd Chegwu (PTZU) a été enlevé, torturé puis assassiné. Ce directeur d’école avait déjà été précédemment inquiété par des miliciens du ZANU-PF, le parti au pouvoir. Des femmes syndicalistes ont aussi été agressées sexuellement. La violence antisyndicale a perduré tout au long de l’année.

Avec la détérioration croissante du pouvoir d’achat, le continent a été secoué par des troubles sociaux. Les actions de protestation légitimes de travailleurs et de la population ont parfois été réprimées avec sauvagerie. En Egypte, à Mahalla, une ville ouvrière dans le delta du Nil, des émeutes ont éclaté après que les forces de sécurité aient contraint les représentants des travailleurs de la Misr Spinning and Weaving Company, la plus importante usine textile du pays, à annuler une grève.

Frustrée par ce qu’elle considérait comme une provocation, la population est descendue massivement dans la rue. La répression aurait fait six morts, 200 travailleurs ont été arrêtés et trois militants syndicaux ont été emprisonnés durant 54 jours. En août, 32 travailleuses d’une usine de cigarettes ont été licenciées et brutalisées parce qu’elles soutenaient l’une de leur collègue de travail injustement renvoyée.

En Tunisie, dans le bassin minier de Gafsa (phosphates), le bilan est à peine moins dramatique : un manifestant est mort, des dizaines de travailleurs et de syndicalistes ont été condamnés à des peines de prison très lourdes. La corruption et le clientélisme sont ici en cause.

Un peu partout en Afrique du Nord, des syndicats ont été harcelés en raison de leur volonté farouche de réformes et leur refus d’allégeance au pouvoir. Pour clore le chapitre des militants morts en 2008, il faut encore mentionner Alhaji Saula Saka. Cette figure emblématique du syndicalisme dans la mégapole de Lagos a été assassinée à son domicile par quatre inconnus. Le meurtre est plus que vraisemblablement lié aux importantes fonctions syndicales qu’il occupait dans le secteur du transport.

L’insécurité, les troubles politiques et les conflits armés sévissant dans de nombreux pays sont à l’origine de maintes violations des droits syndicaux. En Côte d’Ivoire, une grève de fonctionnaires “redéployés” dans le nord a été violemment réprimée par les soldats de l’ex-rébellion qui contrôle toujours cette partie du pays.

En Mauritanie, les militaires qui, le 6 août, ont renversé le premier président démocratiquement élu depuis l’indépendance, n’ont pas tardé à brimer les libertés syndicales : deux manifestations ont été réprimées, des travailleurs molestés, les sièges des syndicats assiégés.

Au Tchad, en République centrafricaine, au Burundi ou encore en République démocratique du Congo (RDC), les syndicats ont peiné à fonctionner en raison des violences récurrentes.

Le rapport de la CSI confirme une autre tendance lourde qui continue d’hypothéquer le développement du continent :

l’exploitation des richesses minières de l’Afrique n’a pas été de pair avec une conception plus respectueuse des libertés syndicales. En Zambie par exemple, dans la Copper Belt, cette région dont le sous-sol regorge de minerai de cuivre, les syndicats n’ont eu de cesse de dénoncer la détérioration croissante du climat social dans un secteur minier largement investi par des opérateurs chinois souvent considérés comme brutaux et indifférents au respect des droits fondamentaux des travailleurs, et notamment au respect des normes de sécurité.

La “malédiction du pétrole”, la thèse selon laquelle la rente pétrolière ne profite qu’à une minorité et est source de conflit, s’est encore vérifiée, que l’on songe au Soudan et au Tchad où l’activité syndicale est soit durement contrôlée, soit réprimée.

Par ailleurs, la CSI note que les entreprises asiatiques, essentiellement chinoises qui se sont implantées massivement sur le continent, emploient un grand nombre de travailleurs de leur pays corvéables à merci et que ces migrants ne bénéficient d’aucune protection syndicale.

En Guinée équatoriale, une grève de travailleurs chinois a été matée dans le sang par les forces de sécurité : deux travailleurs ont été tués et plusieurs autres blessés, 300 grévistes ont été renvoyés en Chine. Le gouvernement guinéen s’est contenté de parler d’une émeute en précisant qu’il ne voulait pas de ce genre de révolte dans le pays. Quant aux autorités chinoises, elles ont fustigé le comportement de leurs compatriotes.

Dans beaucoup de pays du continent, le recours à la sous-traitance, au travail temporaire et à d’autres formes de travail précaire, sert de plus en plus de prétexte aux employeurs pour bafouer les droits syndicaux. Au Nigeria, les syndicats du secteur pétrolier ont dénoncé les manœuvres des multinationales qui profitent des opérations de dégraissage et de restructuration du personnel pour licencier en premier lieu les militants syndicaux.

Le rapport fait toutefois état de quelques progrès.
Au Liberia, le syndicat des travailleurs de Firestone est parvenu à arracher une convention collective après des années de lutte. Quelques syndicats indépendants ont enfin été reconnus dans des pays qui leur sont d’ordinaire très hostiles (Egypte…).

Plusieurs pays ont amendé leur code du travail dans un sens plus favorable à l’exercice des droits syndicaux (Burkina Faso, Kenya, Mozambique, Namibie), mais à Madagascar, c’est l’inverse : les autorités ont introduit une nouvelle restriction au droit de grève et une loi sur les zones franches d’exportation (ZFE) a été adoptée sans consultation avec les syndicats, elle autorise les employeurs à exiger des travailleurs de prester davantage d’heures sous peine de licenciement.

A Maurice ou encore en Namibie, les perspectives sont également peu encourageantes, les autorités s’employant à rendre leurs ZFE encore plus attractives en prévoyant de nouvelles exemptions.