16/08/09 (B512)  Courrier international : « La contrée native fait partie de notre imaginaire, de notre ADN ; elle hante nos jours et nos nuits » Une interview d’Abdourahman Waberi (Info lecteur)

A travers son œuvre littéraire, l’écrivain djiboutien Abdourahman Waberi se donne aussi pour mission de mieux faire connaître son petit pays au reste du monde.

Propos recueillis par Pierre Cherruau

Courrier international : Les médias Occidentaux évoquent très rarement Djibouti en particulier et la Corne de l’Afrique en général. Comment expliquer une telle indifférence ?

Abdourahman Waberi : Ces médias ne parlent de Djibouti, et plus généralement des terres dites lointaines, indigentes et périphériques, que quand ça va mal. Djibouti a pourtant des liens assez forts et anciens avec la France et l’Europe.

Pour mémoire, c’est la dernière colonie française d’Afrique à avoir été décolonisée, en 1977. Et c’est depuis toujours la première base militaire française d’outre-mer.

Pourtant, peu de Français sont en mesure de la situer sur une carte. Une des tâches que je me suis données est de faire connaître ma contrée native au reste du monde, un peu à la manière de Derek Walcott, poète de Sainte-Lucie et Prix Nobel de littérature [en 1992].

C.I. : Dans votre dernier roman, qui se déroule à Djibouti, l’un des personnages principaux est un islamiste prêt à tuer pour faire triompher ses idées. L’islam radical gagne-t-il en influence ?

A.W. : La religiosité gagne du terrain partout dans le monde. On parle beaucoup des fondamentalismes musulmans. On évoque un peu moins les fondamentalismes et les revivalismes protestants qui déferlent sur l’Afrique. La Corne de l’Afrique n’échappe pas à ce déferlement. La pauvreté, l’absence de perspective politique, le prosélytisme des pays du golfe Persique expliquent en partie cette situation dramatique dans le cas somalien, potentiellement dangereux à Djibouti, en Erythrée ou en Ethiopie.

C.I. : A quoi ressemble la vie quotidienne des Djiboutiens ? S’améliore-t-elle ?

A.W. : La vie quotidienne est beaucoup plus difficile que du temps de mon adolescence. Le commun des mortels a du mal à joindre les deux bouts. Pourtant, il y a beaucoup de projets, plus d’argent. Mais en même temps plus d’injustice et d’inégalité. Une petite minorité, sans vision ni pitié, accapare tout.

C.I. : Un grand nombre d’écrivains africains reconnus ont quitté le continent. Comment expliquer ces départs ?

A.W. : Les écrivains et les artistes ne sont que la partie visible de l’iceberg. Il y a aussi des ingénieurs, des infirmières ou des enseignants qui sont partis, notamment pour fuir l’arbitraire, l’injustice et la gabegie que les élites politiques ont instaurés en système. Cela dit, cette diaspora arrive, au bout de quelques années, à réinjecter des ressources sur le continent. On connaît le poids de la manne « immigrée » dans les économies africaines. Western Union en sait quelque chose.

C.I. : Est-il plus difficile de travailler et de créer en Afrique qu’en Occident ?

A.W. : Les cinquante-trois nations africaines ne sont pas logées à la même enseigne. Certains trouvent leur miel au pays, comme Mia Couto [écrivain mozambicain], d’autres à l’étranger. Il ne faut pas non plus oublier la migration interne au continent. Des écrivains comme Nuruddin Farah ou Véronique Tadjo, des chercheurs comme Achille Mbembe ou Kole Omotose ont délaissé respectivement la Somalie, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Nigeria pour vivre et travailler en Afrique du Sud.

C.I. : Les séjours prolongés en Occident ont–ils une influence majeure sur l’œuvre des écrivains d’origine africaine ?

A.W. : Certainement. Quand ils sont hors de leur contrée native, ces écrivains continuent à trimballer le pays quitté. Il fait partie de leur imaginaire ou de leur ADN, il hante leurs jours et leurs nuits. Ces écrivains n’ont pas un pays mais deux, trois, voire dix.