28/01/10 (B535) L’Etat français est condamné à assumer l’obligation de protection (remboursement des frais d’avocat) d’Elisabeth Borrel dans le cadre de la plainte qu’elle a déposée contre M de Bonnecorse pour des pressions sur la justice.

___________________________ Note de l’ARDHD

Jusqu’il y a quelques années, les usages voulaient que les avocats assurent gratuitement la défense des magistrats, lorsqu’ils avaient une affaire à devant les tribunaux.

Il est apparu que cette pratique pouvait être contraire à l’indépendance des magistrats, au regard des avocats … et qu’ils pouvaient perdre leur liberté de jugement dans d’autres affaires …

Il a donc été décidé que ce serait l’Etat qui règlerait les frais d’avocat des magistrats et cela s’appelle "l’obligation de protection"

Dans cette affaire qui vient d’être jugée en faveur d’Elisabeth Borrel, la chancellerie avait refusé de prendre en charge les frais d’avocat de la plaignante dans le suivi de la plainte contre Michel de Bonnecorse, qui était alors le patron de la cellule afrique de l’Elysée sous Chirac et qui avait déclaré à Jeune Afrique que pour lui, le Juge Bernard Borrel s’était bien suicidé ….

Le Conseil d’Etat (la plus haute instance judiciaire administrative) a donné raison à Mme Borrel, qui sera indemnisée pour ses frais d’avocat, dans le cadre de l’obligation de protection.

Peut-on en déduire que le tribunal administratif a estimé que la plainte contre M de Bonnecorse était fondée et recevable ? C’est possible, mais ce sera un autre jugement qui le dira.

_________________________ 1 – France-Soir

La veuve du juge Borrel fait condamner L’Etat pour “pressions”

Samy Mouhoubi,

Le Conseil d’Etat fait droit aux demandes de l’épouse de ce magistrat mystérieusement assassiné à Djibouti.

Elle vient de remporter une bataille dans l’âpre combat judiciaire qui l’oppose à la raison d’Etat, ses grandes et petites dissimulations. La veuve de Bernard Borrel, un juge français détaché à Djibouti et tué à l’automne 1995, s’est vu confirmer dans ses droits afin d’écarter les pressions incessantes ayant pollué les investigations censées élucider le mystérieux décès de son conjoint. Pour ce faire, le Conseil d’Etat a annulé une décision de l’ex-ministre de la Justice refusant la protection statutaire à la veuve du juge Borrel dans une instruction visant Michel de Bonnecorse, l’ex-« M. Afrique » de l’Elysée, pour « pression sur la justice ».

Dans sa décision, datée du 28 décembre 2009, le plus haut degré de juridiction de l’ordre administratif souligne que l’Etat, à travers Rachida Dati – alors garde des Sceaux –, a manqué à son « obligation de protection » envers la veuve de Bernard Borrel. En clair, qu’il devait prendre en charge ses frais de justice dans sa plainte contre Michel de Bonnecorse, 70 ans, ancien patron de la cellule Afrique de l’Elysée, de 2002 à 2007, sous la présidence de Jacques Chirac. Le Conseil d’Etat lui a en outre alloué 3.000 euros.

Magistrate de profession, la veuve du juge Borrel avait déposé plainte et obtenu – contre l’avis du parquet – l’ouverture d’une information judiciaire, en septembre 2007, après des déclarations de l’ex-grand manitou des affaires africaines à l’Elysée.

« Contrairement à ceux qui préjugent de l’assassinat de Bernard Borrel sur ordre des autorités djiboutiennes, je préjuge, moi, qu’il s’est suicidé », avait-il soutenu sans ciller, au printemps 2007, à la revue Jeune Afrique. Saisies de ce volet de l’affaire, les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia, avaient – sans succès – tenté de perquisitionner l’Elysée, en août 2008, dont les archives de la fameuse cellule Afrique. Un an plus tôt, elles avaient fait chou blanc aux domiciles parisien et provençal de Michel de Bonnecorse.

Trois ans auparavant, Elizabeth Borrel avait déposé plainte contre Hervé Ladsous, alors porte-parole du Quai d’Orsay, désormais ambassadeur de France en Chine, selon lequel la mort de son mari ne mettait pas en cause Djibouti. Là encore, contre l’avis du parquet, une information judiciaire avait été ouverte, en janvier 2005. Initialement confiée à Emmanuelle Ducos, l’instruction suit son cours dans le cabinet de Nicolas Aubertin.

« Obligation de mesure »

Le meurtre toujours non élucidé de Bernard Borrel est au cœur de l’énigme. Avant de faire machine arrière, les enquêteurs français avaient privilégié la thèse de son suicide. Son corps avait été retrouvé carbonisé, en octobre 1995, en contrebas d’une falaise… De nouvelles expertises – dont des plantes de pieds parfaitement vierges de tout produit inflammable – ont fait voler en éclats cette hypothèse, dûment validée, le 19 juin 2007, par Jean-Claude Marin, le procureur de la République de Paris.

Dans ses conclusions devant le Conseil d’Etat, Roger Lacan, le rapporteur public, considère qu’il est « manifeste » que Michel de Bonnecorse avait conscience d’exercer une pression par ses déclarations, et que « sa position donn(ait) un poids important à ses propos, et aurait dû l’inciter à porter particulière attention à l’obligation de mesure et de discrétion qui s’impose à tous les serviteurs, y compris les plus éminents ».

Le rapporteur de l’Etat constate encore que « les progrès de l’instruction (NDLR : sur la mort du juge Borrel) sont tributaires de la coopération entre les autorités judiciaires française et djiboutienne, et plus généralement de la volonté et de la capacité de certains témoins à apporter leur concours à l’enquête ».

« Pressions caractérisées »

Et le rapporteur de fustiger « une version des faits véhiculée depuis l’origine sans fondement sérieux » présentant « le risque d’entraver cette coopération.

On ne peut exclure qu’elle soit interprétée comme un encouragement par ceux qui seraient tentés d’y faire obstacle ou de s’y dérober ».

Contacté par France-Soir, Me Olivier Morice, l’avocat d’Elizabeth Borrel, ironise sur les chausse-trapes jusque-là subies. « Ce sont des pressions politiques caractérisées alors même que la justice a fourni aux responsables politiques des éléments montrant que le mari de ma cliente a bien été tué. »

Selon le conseil de la veuve du juge français abattu « le procureur de la République de Paris devrait s’inspirer de la liberté de ton et de l’indépendance du rapporteur public du Conseil d’Etat qui n’a pas craint de fustiger les pressions politiques du chef de la cellule africaine de l’Elysée dans l’affaire Borrel ».