07/02/10 (B537) A lire dans Billets d’Afrique et d’ailleurs N° 108, édité par SURVIE. La visite nocturne de Sarkozy à Guelleh (Jean-Loup Schaal)

C’est au retour de son
séjour à La Réunion et
à Mayotte, que Nicolas
Sarkozy a fait une halte
surprise, le 19 janvier,
pour y rencontrer son
homologue djiboutien
Omar Guelleh.

Une
rencontre nocturne où
il a été question de
«l’ensemble des questions
bilatérales ».

Revue des
dossiers qui ont pu être
abordés officiellement ou
secrètement.

  • D’abord, sur le plan intérieur djiboutien,
    la modification constitutionnelle pour un troisième
    mandat.
    Guelleh envisage, en effet, de modifier la
    constitution afin de briguer un troisième
    mandat.
    Deux voies lui sont ouvertes : le
    vote par une Assemblée nationale sur mesure
    et «aux ordres»(1) et la voie référendaire,
    sans suspense aussi, car le pouvoir
    contrôle le dépouillement des scrutins et
    publie les résultats qui lui conviennent.

    Guelleh a-t-il cherché la caution du président
    français avant de lancer son opération
    de viol constitutionnel ?

    C’est une hypothèse
    vraisemblable, «qui est privilégiée
    par plusieurs observateurs.»

  • Ensuite, la renégociation des accords
    de défense
    même s’il est curieux que ce
    dossier ait nécessité un entretien «surprise
    » de trente minutes en pleine nuit.
    C’est, en tous les cas, ce qu’a rapporté la
    presse française.
    Certaines rumeurs, non
    vérifiées pour le moment, affirment que
    la France aurait pour projet de déplacer
    un contingent important de troupes stationnées
    à Djibouti, vers la nouvelle base
    d’Abu Dhabi.
    Ce qui peut inquiéter Guelleh,
    d’abord pour la sécurité de Djibouti,
    mais surtout pour ses revenus. Depuis l’arrivée
    des troupes américaines à Djibouti,
    le loyer payé par les forces françaises a été
    revu à la hausse (30 millions d’euros par
    an), dont une partie alimente certainement
    la cagnotte personnelle de Guelleh.

  • Sur le plan régional, Sarkozy et Guelleh
    ont pu aussi évoquer l’évolution du conflit
    avec l’Erythrée voisine
    .
    Celle-ci avait annexé, 21 avril 2008, une
    portion de quelques kilomètres carrés
    en territoire djiboutien, le rocher de Ras
    Doumeira. Bien que la zone soit très peu
    peuplée, ce rocher représente un enjeu
    stratégique important.
    Situé au Bab-El-
    Mandr, il commande le point où la mer
    Rouge est la plus étroite (environ 20 km).
    C’est un poste idéal d’observation de tous
    les navires qui transitent par le canal de
    Suez. Djibouti et l’Erythrée s’étaient affrontés
    militairement le 11 juin 2008.
    En dépit des communiqués rassurants de
    la présidence djiboutienne, il semble que
    ces combats aient fait de nombreux morts,
    blessés et prisonniers dans les rangs de
    l’Armée nationale djiboutienne. (AND)
    Certaines sources citent plus de 500 morts
    et blessés. Depuis lors, c’est le statu quo
    sur le terrain.
    L’armée française, contrairement à la
    dernière attaque de 1994, n’est pas intervenue
    militairement, se limitant à assurer
    une assistance médicale sur le terrain et
    un poste d’observation occupé par une
    centaine de légionnaires.
    A l’issue de
    l’entretien, Sarkozy a simplement rappelé
    que la France avait voté en faveur d’une
    résolution des Nations unies qui condamne
    l’Erythrée.

  • Par ailleurs, Djibouti peut craindre une
    extension de la menace islamiste venue de
    la Somalie voisine, d’autant plus qu’une
    partie de sa population, lassée de la dégradation
    de ses conditions de vie, pourrait
    être sensible aux appels des intégristes.

  • Les deux chefs d’Etat ont pu également
    évoquer les conséquences de la crise au
    Yémen et de la montée du terrorisme, à
    partir ce pays. Mais on voit mal, comment
    ce problème, quelle que soit sa gravité,
    aurait pu justifier la visite personnelle de
    Nicolas Sarkozy.

Bolloré de retour ?

  • A moins qu’entre les deux chefs d’Etat,
    il ait été question d’un dossier économique
    : la gestion du port de Djibouti.
    Guelleh avait confié, sans appel d’offre,
    sa gestion (mais aussi celle de l’aéroport
    et de la collecte des taxes d’importation)
    à Dubaï Port Authority.
    Depuis qu’il
    a banni son ancien ami et directeur du
    port, l’homme d’affaires Borreh et que
    Dubaï connaît des difficultés financières,
    Guelleh pourrait rechercher un
    nouveau gestionnaire. Bolloré ?

    Une piste d’autant plus plausible que
    le groupe Bolloré, aurait vu son offre
    d’investir 500 millions dans le développement
    du port de Berbera, au Somaliland,
    rejetée, sous la pression de
    l’opposition dénonçant la corruption
    du président Dahir Rayale Kahin.

«Une coopération exemplaire»

Mais quels qu’aient pu être les sujets
abordés durant ces trente minutes
d’entretien, Guelleh utilisera certainement
cette rencontre pour faire savoir
qu’il bénéficie du soutien personnel de
Sarkozy dans son projet de troisième
mandat.

A noter également que le Sénat français
n’est pas en reste pour soutenir le régime
dictatorial djiboutien. Après avoir
organisé un colloque, le 20 octobre
2008, avec la participation de grandes
entreprises pour promouvoir les investissements
français à Djibouti, malgré
les graves atteintes locales aux droits
des travailleurs, c’est Claudine Lepage,
représentant les Français de l’étranger
qui a, à la mi-janvier, rencontré le premier
ministre Dileita pour l’assurer de
l’amitié et de la coopération française
dans le cadre d’une «coopération »
qualifiée «d’exemplaire».

Jean-Loup Schaal

(1) L’Assemblée nationale djiboutienne ne
compte aucun député de l’opposition. De plus
la séparation des pouvoirs exécutifs et législatifs
n’est pas appliquée : plusieurs ministres
dont le Premier ministre sont aussi députés.