12/09/10 (B569) Hommage à Ahmed Dini par Farah Abdillahi Miguil

C’était le 12 septembre 2004 qu’Ahmed Dini nous quittait pour toujours. Cet homme de foi qui ne s’était prosterné que devant Allah, avait un seul souci être
au service de l’Homme en servant sa patrie. La grande majorité du peuple de Djibouti admirait le courage, l’intégrité, l’intelligence, le verbe et l’humour de cet homme contrairement à ceux qui étaient au pouvoir pour se servir et à qui il rappelait par sa présence leurs médiocrités, leurs gouts prononcés pour la corruption et leurs calculs bassement primaires.

Lorsque le 27 juin 1977, il prononça cette phrase pour laquelle tant d’héros connus ou anonymes, de fils,de filles, de mères et de pères étaient morts à savoir « … la République de Djibouti, une, indivisible et souveraine est née… », du perchoir de l’assemblée nationale, j’avais 10 ans. Et lorsqu’au lycée la conscience citoyenne commençait à être un camarade de tous les jours et nos héros s’appelaient Malcom X, Amilcar Cabral, Lumumba, … nous étions tombés sur un vide abyssal lorsqu’on avait cherché à connaître un peu plus ceux qui dans notre patrie, ont incarné le combat contre le colonialisme. Comme si tout était fait pour gommer les histoires dérangeantes des héros nationaux d’une république voulue « sans mémoire ».

C’était à son retour au pays pour la signature de l’Accord de réforme et de concorde civile en 2001 que j’avais eu la chance de m’entretenir durant une heure pour la première et la dernière fois avec Monsieur Ahmed Dini.

J’avais été impressionné par sa lucidité et sa mémoire pour un homme de son âge et surtout j’avais été ému par tant de sacrifices consentis dans une vie d’homme. A la fin il m’avait dit « tu sais le paradoxe des Djiboutiens c’est qu’ils
attendent tout du pouvoir, la démocratie, la liberté d’expression, la liberté syndicale… alors que rien se donne car tout pouvoir est accaparateur.

Et surtout on connaît la valeur d’une chose pour laquelle on s’est battu et ce sera très difficile pour un pouvoir de revenir sur une conquête citoyenne obtenu au prix des sacrifices sociaux. »

Il avait rêvé d’une nation où l’ostracisme communautaire serait cloué au pilori mais malheureusement il est mort avant d’avoir atteint l’objet de son sacrifice.

J’ai écrit ces quelques mots pour que la mémoire d’un homme exceptionnel ne tombe pas dans les oubliettes de l’histoire. Je finirai mon hommage par ses quelques mots, extraits d’un texte écrit par Omar Osman Rabeh, compagnon de lutte d’Ahmed Dini contre le parti unique et le monolithisme politique, pour honorer la mémoire de ce dernier juste après sa mort :« La mort de Dini est une perte pour les Djiboutiens. Ils l’auront finalement laissé « partir » sans faire usage de son génie… (…) En Afrique, voir «autrement», vouloir dire «autre chose» est un crime… Ici, le «qui est différent de moi m’enrichit» (Saint-Exupéry) n’existe pas. La différence d`opinion est perçue, non plus comme un apport, un enrichissement mais comme opposition ; et tout opposant est un «ennemi» à éliminer; un homme à mater et à faire taire; à détruire et réduire à zéro…

(…). Par deux fois, et comme par inadvertance, Dini avait été Premier ministre.

Avant et après l`indépendance; et chaque fois, seulement pour quelques mois…

Je le rencontrais pour la première fois à l`occasion des événements marquant la visite du Général De Gaulle a Djibouti, en Août 1966. Il devait alors approcher la quarantaine étant de vingt ans mon aîné. Sa forte personnalité, son courage et sa noblesse de caractère, sa grande et brillante intelligence, comme sa culture, étaient impressionnants. Mais il avait aussi d’autres qualités, non moins remarquables, qui ajoutaient à mon admiration. Tout d`abord sa vie n’était entachée d`aucune de ces détestables habitudes qui flétrissent l’être humain en provoquant une déperdition de sens et de substance, de dignité et d’honneur.

Il est des vies qui s’usent dans l`inutile avant l’heure, prématurément défraîchies, et qui vont décroissant comme a vue d`œil… Dépérissant dans la conscience obscure de l’agonie et de l’auto-annihilation : le khat, l`alcool, les femmes, etc.

Mais Dini menait une existence stable, saine et sereine. Il était, pour ainsi dire, entier, toujours éveillé et d`une présence totale. La peur, la mesquinerie, la frivolité et moins encore la servilité ne s’accordaient guère avec sa nature, chevaleresque. Il était digne, jaloux de sa liberté d’esprit et de son indépendance… »