05/10/10 (B572) Point de vue : lorsque les citoyens cessent de croire en leur pays … (par Farah Abdillahi Miguil)

« Un de ses élèves, Zigong, demanda à Confucius un jour quelles étaient les conditions nécessaires pour qu’un pays vive en paix, avec un gouvernement stable. La réponse du maître fut très simple. Il n’y a que trois conditions : des armes en suffisance, assez de vivre et la confiance du peuple.

Premièrement, l’appareil de l’Etat doit être puissant ; il doit disposer des forces militaires lui permettant de se défendre. Deuxièment, il doit avoir de quoi nourrir et vêtir convenablement sa population. Troisièment, il faut que le peuple ait confiance en ses dirigeants.

Cet élève ne cessait de poser des questions bizarres. « S’il était absolument nécessaire de négliger l’une de ces trois conditions, reprit-il à laquelle faudrait-il renoncer ?—Aux forces militaires répondit Confucius. —Et s’il était absolument nécessaire d’en négliger encore une seconde, dit Zigong, quelle serait-elle ?

Avec le plus grand sérieux, Confucius déclara : « Les vivres. Car de tout temps les hommes ont été sujets à la mort, mais, si le peuple n’a pas confiance en ceux qui le gouvernent, c’en est fait de lui. »

Ne pouvoir se nourrir mène assurément à la mort mais qui n’a jamais réussi à tromper la mort ? La pire chose qui puisse arrivé n’est donc pas la mort mais l’effondrement général qui se produit lorsque les citoyens cessent de croire en leur pays. » Yu Dan (Le bonheur selon Confucius)

Les malheurs de l’Afrique viennent surtout du fait que les citoyens n’ont plus confiance en ses dirigeants. Dans cette Afrique où les coups d’états militaires ont cédé la place aux coups d’états constitutionnels, la plupart de ceux qui ont porté un idéal, un espoir, une espérance, …ont eu un destin tragique, emportés par la trahison, les balles de l’ennemi, les suicides assistés, ….

Tout ça s’est fait et se fait toujours avec la bénédiction et la complicité des anciennes puissances coloniales et d’une communauté internationale notoirement affairiste. Les indépendances n’ont été qu’un prolongement de la traite et du colonialisme sous d’autres formes au point où certains africains regrettent parfois aujourd’hui l’époque coloniale.

Ceux que les colons ont confié au pouvoir au moment de leur départ, surtout, dans les pays francophones dans une Afrique aux frontières artificielles, ont été pour la plupart, comme m’écrivait un ami, les serviteurs aux culottes courtes ; anciens soldats de l’armée coloniale, anciens agents de renseignement de la police coloniale ou encore des anciens dignitaires.

Ces hommes qui n’ont connu que la servitude, la platitude, les « oui monsieur », les « à vos ordres monsieur », et qui n’ont jamais rêvé de leur vie d’être un jour dans un palais, sont habités par un désir d’être un maître incontesté ayant droit de vie et de mort sur leurs concitoyens construisant souvent des châteaux de cartes qui s’écroulent avec leur départ.

Durant leur règne ils ne cessent de chanter ce poème satirique de Hadrawi, Isa-Sudhan, composé durant les années 1970,

« Je suis le Président
C’est moi qui décide
Je suis les yeux du peuple
Je suis les oreilles du peuple
Je suis le cerveau du peuple
Je suis le maître [d’école] du peuple
Je suis le Père du peuple
Moi seul de toute cette terre
Suis le patron
Indétrônable »

L’Afrique est devenue un continent où l’éternel recommencement est la règle.

On réécrit, on réinvente une histoire à la gloire de l’homme fort du pays, on détruit et on efface tout ce qui peut rappeler le passé médiocre de ces nouveaux maîtres …. On fait couler du béton sur la mémoire du pays.

Les exemples ont pignon sur rue en Afrique où le manque de confiance entre le peuple et ses dirigeants ont fait basculer des pays dans l’anarchie et la guerre civile.

L’histoire récente et la géographie jouxtante nous font penser à la Somalie qui depuis vingt ans n’a pas d’Etat central, entraînée dans les affres de la guerre des clans par manque des règles démocratiques et du silence complice de la majorité face aux crimes et aux injustices du régime de Siyad Barré.

Et aujourd’hui ceux qui fuient la Somalie n’ont qu’un seul rêve ne jamais revenir sur cet enfer. Sur les routes de l’exil et du désespoir beaucoup sont faits prisonniers par des gardes frontières peu soucieux des droits humains alors que d’autres perdent la vie dans un naufrage en mer ou de soif. Plus de chez soi plus d’espoir.

Mais il arrive que dans certains pays ceux qui sont au pouvoir cesse de croire en leur pays avant le citoyen ordinaire comme à Djibouti. Des hauts responsables de notre pays ont déjà mis à l’abri en Amérique du Nord ou en Europe, leurs familles. Ils espèrent ainsi les épargner d’un destin tragique dont ils croient que Djibouti ne pourrait pas échapper. Ont-ils des informations … ?

Leurs pratiques de la gestion des biens publics les inquiètent-elles au point où … ?

L’oligarchie qui était au pouvoir en Somalie avait subi l’exil après l’effondrement de l’Etat on dirait qu’à Djibouti ceux qui sont aux commandes ont retenu la leçon en anticipant les souffrances de l’exil.

Ce pays ne manque ni de femmes ni d’hommes intègres, honnêtes et soucieux de l’intérêt général possédant « la plénitude humaine sans obsession ; la connaissance sans scepticisme ; le courage sans peur » (Confucius) capables de démentir les guerres civiles et les prophéties de malheur que certains prédisent pour Djibouti. Dans ce bout de territoire combien de génies nous assassinons chaque jour en les empêchant de donner libre cours à leurs intelligences, à leurs verbes, à leurs fresques, à leurs spiritualités…. ? Contre l’arrogance et l’aveuglement de ces hommes et de ces femmes mercenaires des partis au pouvoir en Afrique, on doit opposer une résistance citoyenne, une conscience claire et une foi en des valeurs supérieures. « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission ; la remplir ou la trahir. » Franz Fanon

Farah Abdillahi Miguil