31/12/10 (B584) Mediapart avec El Païs et WikiLeaks / La présidence française corrompue

Europe 1 – mais aussi Marianne, l’AFP, Afrik.com, Le Griot, etc. – reprennent l’information d’ El Pais sur les notes publiées par Wikileaks.

Le journal espagnol relève que des notes diplomatiques américaines révèlent que de l’argent détourné par Omar Bongo aurait profité à des partis politiques français. Il est permis de supposer que des notes diplomatiques françaises ont été rédigées dans le même sens.

Cette information a été donnée en juin 2009 par un haut fonctionnaire de la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC).

"Les dirigeants gabonais ont remis une partie de l’argent à des partis politiques français, y compris au président Nicolas Sarkozy". Cette corruption entre Paris et Libreville montre qu’elle aurait profité "aux deux camps, mais surtout à droite".

" Asked what the officials did with the stolen funds, the BEAC official responded, "sometimes they kept it for themselves, sometimes they funneled it to French political parties." Asked who received the funds, the official responded, "both sides, but mostly the right;
especially Chirac and including Sarkozy." The BEAC official said "Bongo was France’s favorite President in Africa," and "this is classic France Afrique." He said technocrats from the French Treasury were relatively progressive in encouraging the francophone governments to be more autonomous, but that the Banque de France continued to exert an outsized influence." (Traducteur)

Un audit de la Banque des Etats d’Afrique centrale aurait "révélé des malversations liées à la hiérarchie des officiels gabonais". "L’enquête interne a montré que 36 millions de dollars (environ 28 millions d’euros) ont été détournés via des chèques à des hauts responsables du Gabon".

Le système bancaire français est évoqué.

L’argent de la corruption a permis d’éponger les conséquences de la crise sous la supervision d’institutions officielles.

"in violation of BEAC regulations and unbeknownst to the BEAC board, placed 500 million euro of BEAC deposits in a high-risk investment with French bank Societe Generale" (Traducteur)

"In a January 2009 meeting to discuss Anzembe’s deal with Societe Generale, Biya had called for Andzembe’s immediate dismissal." (Traducteur)

" The Audit Committee includes representatives from the six CEMAC economies plus a representative from the French Treasury. The Heads of States agreed to conduct two audits, a general review of internal accounts and a specific investigation into Andzembe’s unauthorized placement of funds at Societe Generale. According to the BEAC official, the investigators have yet to understand fully the
details of the SG account. "Even SG tells us that they are unable to determine the structure of the investment that Anzembe made!" he marveled. The official theorized that SG had used the BEAC funds to help "plug the hole" created by the Kerviel rogue trader scandal, but that the financial crisis had overwhelmed SG and swallowed BEAC’s funds." (Traducteur)

Cette révélation a deux conséquences.

Une conséquence juridique.

Les présidents africains poursuivis en France dans le cadre des "biens mal acquis", sur la foi de ces nouvelles de Wikileaks relevées par El Pais, peuvent demander la comparution des présidents français conformément aux dispositions de la Convention internationale contre la corruption, qui excluent toute impunité, y compris à l’égard des chefs d’Etat. Ceux-ci sont des "agents publics" selon la Convention (article 2 a : "On entend par “agent public” : toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire d’un État Partie, qu’elle ait été nommée ou élue, à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit rémunérée ou non rémunérée, et quel que soit son niveau hiérarchique") et ils sont en infraction en considération de l’article 15 qui énonce que :

Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale, lorsque les actes ont été commis intentionnellement:
a) Au fait de promettre, d’offrir ou d’accorder à un agent public, directement ou indirectement, un avantage indu, pour luimême ou pour une autre personne ou entité, afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles;
b) Au fait pour un agent public de solliciter ou d’accepter, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, afin d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles.

L’immunité du Chef de l’Etat est donc inconventionnelle en matière de corruption. Elle ne peut pas s’appliqueer et le juge l’écartera au motif de l’exception d’inconventionnalité que soulèvera une partie au procès.

Le fait d’apprendre que la politique française est en partie financée par l’argent de la corruption d’Etats étrangers pose aussi la question de la trahison.

La haute trahison n’existe pas dans le code pénal, d’où la réforme de l’article 68 de la Constitution.

La procédure de destitution du Chef de l’Etat a été neutralisée récemment quand la corruption s’affiche sans retenue dans le fonctionnement du pouvoir (Karachi, Bettencourt). Accepter de l’argent corrompu d’un Etat étranger est un manquement aux devoirs manisfestement incompatible avec l’exercice du mandat présidentiel. Vouloir soutenir le contraire témoignerait d’une mentalité étrangère à toute moralité publique.

C’est à se demander si la présence de la mafia en France n’est pas plus la conséquence de cette mentalité que celle d’une fatalité. N’est-ce pas plus du "voulu" que du "subi" ? Les conclusions de la "Commission d’enquête sur les tentatives de pénétration de la Mafia en France" présidée par François d’Aubert avaient reçu un accueil dont les révélations d’El Pais éclairent aujourd’hui les sarcasmes d’alors. Le vote à l’unanimité de la réforme de la prise illégale d’intérêts en pleine affaire Woerth montre cependant que le temps des sarcasmes n’est pas révolu.

Une conséquence politique.

Le fait que les USA et d’autres pays soient informés de la corruption au plus haut niveau des institutions françaises fragilisent gravement la position de la France dans les négociations internationales. Cela pourrait expliquer, par exemple, le ralliement de la France à l’OTAN, son opposition très mole aux OGM, etc.

De telles faiblesses de la représentativité d’un Etat favorisent l’acceptation de clauses économiques défavorables à la France dans les accords internationaux. Les négociateurs confrontés au chantage des révélations sur la vie privée des élus de la République préférent signer des accords déséquilibrés plutôt que de déclencher des scandales politiques internes et perdre leur poste.

Les Français en paient forcément les conséquences.

Cela peut expliquer également la fragilité européenne dans le Monde et le peu d’écoute qu’on lui prête. Les incartades françaises plombent le pouvoir de négociation de l’Union européenne. La France est un poids lourd européen, une puissance nucléaire disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Paralyser la France, c’est entraver l’Europe.

Il n’y a pas qu’à la Commission européenne que le gouvernement français ment ; les "Karachis", la veuve du juge Borrel, et la longue liste d’anonymes résistant à l’arbitraire de la domesticité publique démontrent qu’il ment à son électorat.

L’affaire des faux en écriture publique à Bobigny et la réaction paradoxale du minsitre de l’intérieur témoignant d’une indulgence inquiétante est susceptible de laisser croire que la pratique incriminée n’est pas jugée administrativement condamnable, ou qu’elle est admise au point qu’une condamnation judiciaire est embarassante pour remettre en cause le fonctionnement du ministère de la police, auxiliaire de la justice.

L’accumulation des révélations inspire de plus en plus la perplexité. L’idéologie du mensonge gouverne la France.

Cela peut expliquer le discours sur l’incompatibilité de la transparence. Ce contre-feu subtile ne résiste pas aux révélations confirmant le doute sérieux sur la conduite des affaires publiques.

Enfin, qu’un journal étranger doive publier une information que le plus grand titre français s’est abstenu de faire malgré son accès privilégié aux informations pose une question sérieuse sur la maturité de la liberté de la presse en France.

Le pays du scandale ordinaire est victime de l’inertie de la médiocrité. Ce fascisme mou porte en germe l’échec de l’Etat laïc.

La corruption des élites menace bien plus sûrement la démocratie que l’islam. Le débat public sur la corruption n’est cependant toujours pas lancé quand l’affaire du voile dans les écoles a mobilisé rapidement le ban et l’arrière-ban de la République.

Cette corruption insultante qui s’affirme de jour en jour pose cruellement la question de l’indépendance de la justice en France, à commencer par celle des autorités de poursuites. L’accumulation des affaires montre que la corruption en France bénéfice de l’impunité.

Le politique a une lourde responsabilité et un lourd passif.

Comme s’il y avait une Union sacrée en ce domaine.

Marine Turchi relate comment François Bayrou est seul.

Cette incapacité à fédérer l’indignation – existe-t-elle vraiment ? – montre combien le pays est chloroformé.

Et Eva Joly, Jean Luc Mélenchon, Martine Aubry, Nicolas Dupont Aignan ? Une interview, un commentaire ?

Non.

Les journaux – qui n’analysent pas les notes de Wikileaks – préfèrent deviser sur la possible candidature du trésorier de la World Company dont presque personne ne veut.

Il y a un aspect positif à tout cela.

La fatalité qui s’acharne sur le mauvais politique renforce la démocratie et l’esprit critique.

C’est bon pour l’Etat de droit.

Normalement.

Sinon, pour les démocrates, reste l’exil.