15/01/11 (B586) Afrique : La peur aurait-elle changé de camp ? (Par Bouh Warsama)


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Afrique :

La peur aurait-elle
changé de camp.


Par Bouh Warsama

 

Souvent des peuples opprimés ont gagné des batailles face à toutes les formes de Tyrannie, aussi sanguinaires puissent-elles être et cautionnées par un Occident qui ne voit pas, n’entend pas et ne dit rien.

Souvenons-nous que lors de sa visite d’avril 2008 au président d’alors Zine El Abidine Ben Ali, le président Sarkozy avait confirmé que « la France entendait rester l’ami privilégié pour accompagner l’œuvre de modernisation et de développement de la Tunisie sur les principes de la confiance, du respect, de l’estime et de l’amitié………. »

A ceci, il avait ajouté « ….n’avoir pas de leçons à donner en matière de droits de l’homme au président tunisien ».

C’était vraisemblablement s’avancer un peu trop vite sur ce dernier point.

Presque deux années plus tard, tout a subitement basculé dans ce petit pays du Maghreb.

L’immolation par le feu du jeune commerçant tunisien Mohamed Bouazizi a déclenché une réaction en chaîne dans son village puis une révolte sans précédent au sein de la population tunisienne.

Cette immolation n’avait rien d’un suicide ou d’un meurtre cautionné par l’Etat, ce fut l’ultime acte de courage d’un jeune homme sans cesse persécuté, racketté par un policier de son village.

Un acte de la dernière énergie destiné à montrer à la foule le rejet absolu des pratiques d’un pouvoir qui musèle le peuple, cautionne les pratiques excessives et mafieuses d’une partie de ses forces de police.

C’est pour cette raison que les habitants dudit village, puis les populations tunisiennes ont manifesté, une fois pour toutes, leur désapprobation pour mettre un terme à la dictature dans leur pays.

S’en sont suivis les évènements dramatiques de ces derniers jours.

Pourtant Paris n’a pas cru à une défaite possible de son « partenaire ».

Ni l’Elysée, ni Matignon, ni le Quai d’Orsay complaisants au possible avec Ben Ali, en des temps si récents, n’ont pu, su ni voulu faire du préventif en prenant en compte la réalité tunisienne pourtant évidente, criarde, dénoncée sans cesse et depuis bien des années, entre autres, par le président de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et par l’opposition en exil.

La Liberté, Egalité et Fraternité ! Paroles vaines, trompeuses et combien funestes même, depuis qu’elles sont entrées dans le jargon politique français. Le politiquement correct « Avant…je n’ai rien vu, rien entendu et je n’en parlerai pas » en a fait trois mensonges.

Dans les heures qui suivirent le « départ » de Zine El Abidine Ben Ali la France prenait "acte de la transition constitutionnelle" en Tunisie,

« Seul le dialogue peut apporter une solution démocratique et durable à la crise actuelle », affirmait la présidence française, ajoutant : « La France se tient aux côtés du peuple tunisien dans cette période décisive »….

– Une Vérité tant tunisienne que djiboutienne !

Cette vérité, applicable en Tunisie et qui se vérifiera demain à Djibouti, est la démonstration que lorsqu’un peuple est poussé aux pires extrémités, par la pauvreté, le chômage, l’absence de soins de santé…., il a la capacité de se libérer soudainement du despotisme, et ce en quelques jours.

Malgré les dizaines de morts qui constituent un très lourd tribut payé par le peuple à la transition démocratique, ces événements graves resteront pour demain un moment émouvant dans l’histoire de la Tunisie et de l’Afrique.

Comme nous l’avons écrit si souvent, « Il est bien plus que périlleux pour la tyrannie de contraindre puis de combattre ouvertement par les armes un peuple qui n’a plus rien à perdre… »

Pour ne pas avoir compris plus tôt qu’il convenait d’ouvrir la porte à une amorce de Liberté dans son pays tout en procédant au nettoyage dans son gouvernement, mais aussi et surtout de l’obligation qu’il avait de mettre de l’ordre sans attendre dans son entourage immédiat, surtout dans sa propre famille, Zine El Abidine Ben Ali a été contraint de quitter le pouvoir et de s’exiler dans l’urgence.

– L’esclavage moderne, qui s’est substitué à certains aspects néfastes et honteux liés indirectement à la colonisation, n’aurait pas pris un tel essor sans la cupidité démesurée de certains potentats africains et de leur « famille ».

Nous avons maintes fois affirmé et écrit qu’un despote absolutiste n’est souvent qu’une fiction.

Dans les faits et avec le temps, son pouvoir s’étiole pour se disséminer en réalité entre de nombreux sous-dictateurs anonymes – souvent choisis dans sa propre famille, dans son propre clan tribal et dans le creuset des ignares, des incultes, des incompétents et des cupides ; voire des xénophobes…étrangers qui tentent de chasser les véritables occupants du sol.

Hommes et femmes venus de l’étranger, prêts à tout par et pour l’argent, irresponsables et qui se cachent craintivement derrière le tyran mais qui seront les premiers à le poignarder le moment venu, lorsque le bateau prendra l’eau de toutes parts.

Des êtres sans foi ni loi, froussards au possible, bien éloignés des saints préceptes religieux. Qui, pour certains, n’hésiteront pas à effectuer chaque année le pèlerinage de La Mecque en croyant ainsi se faire pardonner tous leurs délits passés voire leurs crimes mais dont la tyrannie et la corruption sont devenues insupportables pour le peuple.

Ce qui va systématiquement mener à une révolte quasi générale, telle que nous la vivons en Tunisie et demain à Djibouti.

– Ce qui est vrai aujourd’hui en Tunisie, le sera demain à Djibouti car la peur a changé de camp et les mouches ont changé d’âne !

Comme il faut de la vertu dans une République et de l’honneur dans une monarchie, il faut de la crainte dans un gouvernement tyrannique ; la vertu n’y est point nécessaire voire même interdite et l’honneur y serait dangereux pour le pouvoir en place.

Pour ne pas avoir compris plus tôt qu’il convenait de changer « l’ordre des choses », Ismaïl Omar Guelleh et sa « famille » risquent fort d’être confrontés subitement aux mêmes effets du pourrissement économique, social et politique irréversible qu’en Tunisie et qui les prendront inévitablement de court.

A Djibouti, le désespoir humain a une odeur bien plus forte qu’ailleurs car la situation y est bien plus grave qu’en Tunisie et le khat ne suffit plus à « chloroformiser les consciences humaines ».

Si les « Occidentaux » n’aiment guère les surprises, telle que celle qui vient de se produire dans le Maghreb, il est grand temps qu’ils anticipent en ayant une bonne lecture d’évènements récents. Les populations djiboutiennes leur ont donné, lors de l’immense manifestation du 1er janvier de cette année, un ultime et très explicite message.

Un avertissement indiquant que les Djiboutiennes et les Djiboutiens préfèrent les craintes d’un bouleversement politique à la peur inspirée par une troisième auto proclamation d’Ismaïl Bobard à la présidence ; c’est-à-dire la frayeur du maintien d’un pouvoir brutal, cynique et tyrannique.

– Ecrire le mot Liberté sur le sable du bord de mer, c’est déjà avoir la liberté de l’écrire. A Djibouti, on n’a pas encore ce droit mais on a le sable et les mains pour l’écrire.

L’odeur de Liberté, portée par les vents qui viennent de Tunisie, est décidément irrépressible car elle peut en quelques jours balayer, à des milliers de kilomètres de Tunis, l’artificielle « valeur rempart » dans la région qu’IOG tente d’incarner.

Espérons que Paris ne sous estimera pas, une fois encore, la force de ce vent porteur de Liberté et de Justice et que l’Elysée aura rattrapé puis réparé les aveuglements coupables de ses cécités volontaires du passé.
Souhaitons que le pays des Droits de l’Homme aura enfin rétabli sa capacité à parler franchement d’avenir avec l’opposition djiboutienne, sans tenter de la chloroformiser une nouvelle fois.

Faute de quoi, un soulèvement populaire et soudain à Djibouti risquerait de laisser le champ libre à des radicaux, de tous bords et de toutes obédiences… tant politiques que faussement religieuses, structurés et dont la greffe pourrait prendre sur une société civile véritable creuset naturel ; une société civile actuelle condamnée à la paupérisation grandissante, au bâton et au silence par Ismaïl Omar Guelleh et son clan mafieux depuis bien des années.