17/03/11 (B595) Interview de Cassim Dini par djiboutii.net

Bonjour/bonsoir M.Cassim Ahmed, ici Djiboutii.net "une autre voix pour les sans-voix" djiboutiens. Comment ça va pour vous, votre famille, votre parti ?

Merci à vous de bien vouloir m’ouvrir vos colonnes ; tout va bien pour moi. Je reviens d’un séjour de dix jours à Dakar, où j’ai été invité à participer à la seconde édition du Forum Mondial Science et Démocratie et à la onzième du Forum Social Mondial. C’est dans ce genre de manifestation internationale que l’on saisit le mieux ce que notre pays représente : à cause d’une dictature aussi bête que méchante, dirigée par un docteur honoris causa d’opérette, nous ne participons en rien à la marche de l’humanité. Ce fut une expérience enrichissante.

Quant à mon parti, l’ARD, vous suivez tout comme moi la mobilisation en cours dans toutes les régions de notre pays ; je n’ai donc rien à vous apprendre de ce point de vue. Et comme je crois plus utile, dans la phase actuelle, de dire ce qui est plutôt que de prétendre prédire ce qui doit être, je tiens à préciser que mes propos n’engagent que moi et vous comprendrez pourquoi.

Quel parallèle faut-il faire, selon vous, entre les événements qui secouent le monde arabo-musulman (et peut être bientôt, le reste des pays du monde sous le joug de régimes tyranniques) et la situation à Djibouti ?

Pour l’heure, deux soulèvements populaires ont conduit à la chute d’un dictateur : en Tunisie avec la Révolution du jasmin qui a chassé Ben Ali et en Egypte où celle du Nil s’est débarrassée du dinosaure Moubarak. Plus qu’avec ce dernier cas, il y a beaucoup de similitudes entre Djibouti et la Tunisie. Et quelques différences essentielles aussi.

Il y a tout d’abord une gigantesque désespérance du fait d’un appauvrissement généralisé de la population surtout dû à la mauvaise gouvernance d’une classe politique prédatrice. Il y a une jeunesse, même diplômée, sans perspective d’avenir et, ici comme là-bas, candidate à l’émigration.

Il y a un tyran : Ben Ali, qui a effectué une visite à Djibouti l’été 1977 en qualité de vice-président, est le modèle préféré de notre dictateur local, mais un peu plus intelligent que lui. Il y a une première dame rombière, même si Leila Trabelsi préférait confisquer de des villas alors que Khadra Haid gifle plus facilement ministres et hauts fonctionnaires ! Donc, dans les deux cas, les motifs de soulèvement existent.

Mais il y a quelques différences. Si Ben Ali fut le modèle d’Ismael Om ar, Habib Bourguiba n’a malheureusement pas été celui de Hassan Gouled : «

D’une poussière d’individus, d’un magma de tribus, de sous-tribus, tous courbés sous le joug de la résignation et du fatalisme, j’ai fait un peuple de citoyens. Mais j’ai peur de ce que j’ai appelé un jour le « démon des Numides », ce démon qui pousse à la désunion, aux luttes intestines, qui nous a fait rater notre histoire après la révolte de Jugurtha » disait le Père de l’Indépendance tunisienne.

Chez Gouled, c’est plutôt la désunion et le tribalisme que l’Histoire retiendra : la Nation djiboutienne reste encore largement à construire.

Peut-être se construit-elle justement aujourd’hui, sous nos yeux, à travers l’actuelle mobilisation : quand les forces de répression tirent indistinctement sur les civils, il y a forcément une solidarité des opprimés qui s’organise et c’est pour cela que les manifestations unitaires, à Djibouti comme au sein de la diaspora sont si importantes et font si mal au régime qui ne survit que par la division.

En second lieu, la neutralité des forces armées tunisiennes a été essentielle dans l’aboutissement de la révolution de jasmin comme dans celle du Nil. Or, à Djibouti, quelques criminels de guerre totalement impunis ont depuis longtemps déshonoré les forces armées et la police. Criminels et parfaitement corrompus.

Ce sont véritablement des mercenaires sans foi ni loi. Mais on sait au moins une chose des mercenaires : c’est qu’ils cherchent avant tout à rester en vie pour profiter de leurs gains. Quant aux soldats, policiers et gendarmes, beaucoup d’entre eux sont d’honnêtes citoyens tout juste désireux de gagner leur vie et d’élever leurs enfants. Toutefois, un constat s’impose : l’armée djiboutienne n’est pas nationale ! Les hommes en armes déshonorent leur uniforme et leurs frères d’armes morts sur le champ de bataille. L’armée djiboutienne est surtout célèbre du fait de ses exactions contre les civils.

Vous savez, il arrive même que des soldats israéliens dénoncent les atrocités commises par les troupes sionistes contre les civils palestiniens. Avez-vous entendu un seul militaire djiboutien dénoncer les assassinats, viols ou tortures perpétrés par la soldatesque gouvernementale ?

Si, un seul l’a fait : il a été abattu dans le dos par un « compagnon d’armes » ! Et ça se dit musulman, et ça pollue les mosquées. Si vous saviez comme je suis fier d’avoir combattu l’AND, fier de mon passé de maquisard ! Et je suis prêt à le redevenir s’il le faut. Sauf que pour l’heure, les conditions d’une vraie lutte armée ne sont absolument pas réunies. On y reviendra.

Si Guelleh quittait le pouvoir en catastrophe (à la Ben Ali) aujourd’hui même, selon vous, qu’est-ce qui se passerait au pays?

Il quittera le pouvoir, tôt ou tard ! Le problème est de savoir comment. De toute évidence, il a choisi la manière forte, mais c’était prévisible. Dans sa stratégie, il est aussi fin qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Donc, à mon avis, il ne quittera pas le pouvoir avant d’avoir épuisé tout l’arsenal répressif dont il dispose. Autant dire qu’il a de la marge. Mais deux choses sont sûres :

1) il est prêt à tuer mais pas à mourir pour rester au pouvoir alors que les opposant ont démontré qu’ils étaient prêts à mourir. On le sait grâce à WikiLeaks et au Président du Yémen : Ismael Omar est un dealer (trafiquant de drogue), un barman (trafiquant d’alcool) et un armurier (trafiquant d’armes). Ce qu’il aime, c’est avant tout le pouvoir pour l’argent. Pour cela, il peut même commanditer un attentat (ou même une tentative contre lui-même comme autrefois) et accuser qui il veut pour mieux justifier un régime de terreur.

2) Ce n’est pas le rôle de l’opposition que d’envoyer ses manifestants au massacre. Là, ne jouons ni avec les mots ni avec les vies : l’actuelle mobilisation est tout sauf pacifique puisqu’il y a déjà des morts, des blessés, des torturés, des détenus. Il y a donc une disproportion dans l’engagement : on n’engage pas un combat pour mourir, mais pour vaincre. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Sun Tzu. Il faudra redéfinir les modalités de l’action et je crois que les jeunes l’ont très bien compris.

Votre mot sur l’UMP, le RPP et le 3ème mandat de monsieur Ismaël Omar Guelleh… Et, un mot sur l’opposition djiboutienne.

Je ne parle pas de mes ennemis, je les combats. Tout ce que je peux conseiller aux courtisans de ce régime, c’est de fuir tant qu’il en est encore temps. Quant aux hommes en uniforme, ils devraient comprendre qu’en assassinant un civil, ce sont les leurs qu’ils exposent à une légitime vengeance.

Quant à l’opposition, je crois qu’elle doit sortir des deux impasses dans lesquelles est se trouve. La première est d’avoir espéré mener des actions de contestation pacifique contre une dictature qui a tué plus de civils en trois décennies que le colon en plus d’un siècle. Si les urnes sont truquées et les rues minées, la définition de ce qu’est un parti politique et de ce que sont ses militants qui doit être revue.

La seconde, plus grave, est de prétendre que l’horizon indépassable du combat démocratique est la lutte armée en milieu rural et pour cela dénigrer toute tentative pacifique. Comme par exemple lorsque notre ancien compagnon de lutte et ami Mohamed Kadamy et son mouvement du Frud-armé-exilé disent qu’en matière de trahison, Ahmed Dini = Ougouré Kiflé : l’observateur le plus neutre trouverait cela au moins excessif.

C’est pour cela que je demande aux jeunes de faire attention au mirage de la lutte armée en milieu rural : le régime doit être combattu entre le Port de Djibouti et le poste de Galafi. Pour le moment, la lutte armée est surtout un épouvantail, un alibi utilisé par la dictature pour affaiblir l’action unitaire de l’opposition..

Votre message aux Djiboutiens du pays et de la diaspora… et enfin, votre message à la classe politique djiboutienne (l’opposition d’une part et le RPP/UMP et leur candidat, d’autre part…).

A tous je dis que ce régime est condamné par l’Histoire et que, quelle que soit l’issue de l’actuelle mobilisation, plus rien ne sera jamais comme avant. La dictature démystifiée deviendra de plus en plus féroce et la résistance de mieux en mieux organisée. Pensons à la fierté des Tunisiens et des Egyptiens aujourd’hui : ils ont écrit une page des l’Histoire contemporaine dont les conséquences seront beaucoup plus importantes que la chute du Mur de Berlin.

Cela vaut tous les sacrifices.

Dans ce cadre, le rôle libérateur des jeunes est fondamental. Selon mes informations, ils commencent déjà à s’organiser de manière autonome, presque clandestine. A croire qu’ils ont lu le « manuel de guérilla urbaine » de Carlos Marighella disponible sur Internet ! Il faut empêcher l’ennemi de se sentir en sécurité chez lui et tous les rats quitteront alors le navire.

Pour ce qui est de l’opposition, le renforcement de l’unité d’action et la détermination de stratégies cohérentes et complémentaires est d’une urgence vitale. Et je crois que tout le monde en est conscient.

Enfin, avec le rétrécissement continu des lieux d’expression démocratique dans notre pays, la place et la contribution de la diaspora dans la lutte deviennent de plus en plus évidentes. A elle de se montrer à la hauteur.

Comme je l’ai dit, mes ennemis, je n’en parle pas, je les combats à mort.