19/03/11 (B596) Libye – Le bédouin de Tripoli plonge les pays de la coalition dans un labyrinthe du bluff politique presque inextricable. (Par Bouh Warsama)


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Libye – Le bédouin de Tripoli plonge les pays de la coalition dans un labyrinthe du bluff politique presque inextricable

Par Bouh Warsama

C’est à une véritable guerre de l’esbroufe à laquelle nous assistons depuis quelques jours avec un Mouammar Kadhafi, dirigeant de facto la Libye depuis 42 ans et qui se refuse à accepter que puisse pousser sur le sol de son pays le moindre bourgeon du changement ; la moindre fleur de Liberté du printemps arabe.

Un Kadhafi qui n’a de cesse de jouer les « derviches tourneurs », façon libyenne et dont il a le secret, au point de donner le vertige aux membres de la coalition arabo-occidentale qui tentent de lui faire « entendre raison ».

Ne cherchez pas une voie d’élévation psycho-spirituelle d’origine soufie chez « le bédouin de Tripoli », à la personnalité très particulière et aux multiples facettes. Le tyran local est aux antipodes de ce que peut être un érudit en conscience humaine tel que le fut, en son temps, le grand maître Djâlal-od-Dîn Rûmi.

A l’inverse de ce que l’opinion internationale attend de lui, l’homme de Tripoli n’a de cesse d’attirer les pays membres de la coalition dans son propre désert, sur son sol miné ; dans son propre échiquier constitué de dunes derrière lesquelles pourraient se cacher tant et tant de pièges et de mauvaises surprises.

Un damier constitué des pions correspondant à chacune de ses propres incohérences dans un jeu sans règles établies, où il se permet tout et dans lequel il peut tout promettre en faisant simultanément l’inverse.

Admettons-le, au lieu de contribuer à faire l’unanimité contre lui certains grands pays – surtout occidentaux – l’ont bien aidé à alimenter une grande confusion qui a dominé durant toute la journée d’hier et qui perdure encore à ce jour.

Celle-ci a mis en évidence bien des incohérences mais aussi et surtout toutes les limites et les bouleversements des visées occidentales ; démontrant ainsi les frontières du pouvoir surestimé d’une ONU incapable de peser sur l’avenir immédiat de la Libye comme le fut en son temps la bien inutile et artificielle Société des Nations (SDN) face à la montée et aux velléités d’un nazisme qui aura fait par la suite plusieurs dizaines de millions de morts .

Alors que la coalition dominée par Paris, Londres et Washington tente d’avancer, la Russie, la Chine, l’Allemagne et quelques autres font la sourde oreille comme si toutes les douleurs et les milliers de morts victimes des barbares à la solde de Kadhafi n’avaient aucune espèce d’importance.

Quelle que pourrait être notre couleur de peau et l’attachement à une religion, la couleur de nos larmes et notre douleur de perdre un être sont les mêmes.

On ne peut s’empêcher d’avoir une pensée, une grande compassion pour ces enfants orphelins, pour ces veuves et ces veufs qui ont perdu un père, une mère, un être cher.

– Money is money !

Il est vrai aussi qu’un changement radical de régime politique à Tripoli aurait comme conséquence immédiate un basculement des alliances et surtout la perte de milliards d’euros et de dollars de contrats mirobolants pour les grands pays sourds, voire ancien colonisateurs devenus brusquement aveugles et muets face aux massacres perpétrés contre la Liberté en Libye.

Si l’on voulait mettre un peu d’humour dans toutes ces incohérences et ces fuites face aux responsabilités on pourrait dire « tutti alla baionetta, ma sono saliti nella camionnetta » (camioncino) pour s’échapper encore plus vite et bien plus loin.

Pour preuve, le groupe pétrolier italien ENI, largement implanté en Libye et totalement muet sur les massacres qui s’y produisent – tout comme l’est « Il Signore Comandante Berlusconi » – a appelé l’Europe mercredi à lever les sanctions imposées à la Libye.

Si l’on peut plus remplir les cuves de ses pétroliers en toute tranquillité ; mais où va-t-on ? Je vous le demande !

Dans le même temps, réfugié dans un bunker résistant à toutes les bombes susceptibles de l’atteindre l’homme de Tripoli compte les heures sur l’horloge des évènements ; horloge qui joue, quoi que l’on pense, contre les démocraties occidentales et les pays arabes concernés. Pays qui doivent surmonter bien des obstacles de forme avant d’arriver ensemble à la porte du désert libyen.

Pourtant hier au soir, Paris, Londres, Washington ainsi que des pays arabes ont clairement lancé un ultimatum à Kadhafi exigeant qu’il respecte la résolution de l’ONU.

Changeant aussitôt de registre le bédouin libyen passait alors à la danse du ventre et à ses habituelles fariboles.

Toute la journée de ce vendredi crucial nous avons vécu avec le vain espoir que la menace suffirait à faire plier le camp du dirigeant libyen alors que de l’autre le grand bluff de Kadhafi qui a oscillé – sautant sur un pied, puis sur l’autre avec une pirouette au passage – entre son intention de se plier à la résolution imposée par l’ONU, et ses tentatives d’avancer par lentes glissades successives sa babouche armée et dorée à l’or fin sur le terrain jusqu’aux limites de la duperie et de la mystification diplomatique. Manœuvre dilatoire tout en affirmant, y compris dans un décret, qu’il mettait tout en œuvre pour faire taire les armes…

Les pays Occidentaux se sont piégés eux-mêmes et de bien belle manière. On observera que le contenu de la résolution N° 1973 adoptée par le Conseil de Sécurité de l’ONU est très ambigüe car basée sur la défensive, avec une maitrise aérienne et destinée exclusivement à protéger les populations civiles.

Votée à New York, cette résolution n’a pas vocation à permettre de mettre fin au régime de Kadhafi.

– D’un homme de bien, il est aisé d’en faire un méchant ; mais nul ne peut d’un tyran sanguinaire, en faire un homme vertueux et un bédouin digne de ce nom.

Le pire serait que Mouammar Kadhafi entre dans la ville de Benghazi, qu’il y fasse procéder, là encore, en urgence et le plus discrètement possible à une véritable épuration des opposants comme il le fait ouvertement à Tripoli depuis mi février de cette année (vraisemblablement depuis des années).

Qu’en remplacement des insurgés il y implante en urgence une population, constituée pour partie de repentis, en provenance de Tripoli ou d’ailleurs qu’il encadrerait fermement et financerait pour lui manifester son artificiel soutien devant les caméras des médias locaux et étrangers comme le fait Ismaïl Omar Guelleh à Djibouti en expulsant les populations Afars.

Rien n’interdirait qu’une forme de statu quo s’instaure de la part des pays de la coalition car bien embarrassés par une telle situation.

Ce serait alors et vraisemblablement la porte ouverte à une guerre civile dans laquelle chacun ressortirait de vieilles, voire d’antiques, querelles et rivalités tribales entre la Tripolitaine – outrageusement privilégiée par Kadhafi durant plus de 40 années – et la Cyrénaïque oubliée par le bédouin libyen.

Un conflit interminable en perspective, dont on serait bien loin d’en voir le bout.