28/09/2011 (B623) Plusieurs lecteurs nous ont recommandé cet article très intéressant et bien documenté, signé par Pierre Sidy "Quel scénario de sortie de crise ? Chaos ou alternance démocratique ?" paru dans la revue "Aujourd’hui l’Afrique", N° 121 datée de Septembre 2011 et diffusée en ligne sur le site de l’AFASPA.

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__________________________ Article

A l’heure où la Corne d’Afrique est frappée de plein fouet
de la pire sécheresse depuis 60 ans où 12 millions de
personnes sont menacées de mort, Djibouti n’a rien
perdu de sa superbe stratégique où se bousculent les soldats
américains, français, depuis peu japonais et de navires de
guerre de plusieurs autres Etats qui participent à la lutte contre
la piraterie sur les côtes somaliennes.

Si toutes ces présences
paient rubis sur l’ongle au président Guelleh qui a aménagé les
caisses du Trésor dans sa résidence de Haramous, elles restent
coupables de non assistance à une population en danger, parce
qu’incapables d’enrayer la mort à petit feu qui frappe des habitants du Nord et du Sud-Ouest, sous embargo alimentaire et
sanitaire draconien par le régime de Djibouti.

Ces habitants
laisssés pour compte entendent les vacarmes assourdissants
des canons qu’utilisent les militaires américains et français
pour leur service.
Ces présences étrangères, peuvent-elles cependant sauver
le régime de Djibouti de l’implosion à cause de ses démons
internes, de ses turpitudes, de ses dérives ?

Force est de constater, que si le soutien des puissances étrangères, peut ralentir
momentanément la chute du régime (comme cela a été le cas
lors de l’interposition française en 1992 qui a empêché la
déroute militaire djiboutienne face à l’avancée du FRUD –
Front pour la Restauration de l’Unité et la Démocratie), elle ne
peut assurer la pérennité d’un groupe au pouvoir si ce dernier
est profondément atteint.

Ce régime n’a pas pu amorcer une
ouverture politique malgré deux accords de paix avec le
FRUD. Guelleh a instrumentalisé les signataires du premier
accord et a refusé d’appliquer le traité qu’il a signé en 2001
avec Ahmed Dini. Ce système n’a fait que se refermer sur luimême, évoluant comme son modèle somalien de Ziad Barré :
du clanisme au caporalisme lignager pour échouer entre les
mains du couple présidentiel.

Dès que le président Guelleh a entamé son deuxième mandat en 2005, on assiste à la montée en puissance de la première
dame, Mme Kadra Haid, sur le plan politique, commercial et
sécuritaire. Son frère Djama Haid gouverneur de la Banque
nationale, contrôle les activités économiques du pays. Il
accompagne le chef de l’Etat dans tous ses voyages officiels.

L’épouse du chef de l’Etat a mis en couple réglé le commerce :
spoliant certains commerçants, confisquant les biens d’autres.
Elle supervise aussi tout ce qui touche à la sécurité du pays. Ce
rôle de plus en plus encombrant de la première dame, rappelle
étrangement les agissements du couple tunisien Ben Ali-Leila
Traboulsi. Pour ces raisons, ce deuxième mandat est apparu
une éternité pour la population.

Hostilité quasi générale au troisième mandat du président Guelleh

C’est dans ce contexte que la volonté d’IOG de briguer un troisième mandat en tripatouillant la constitution en avril 2010 a
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suscité une hostilité sans précédente de la population.
Le premier à faire dissidence en 2009 fut l’homme d’affaires Abdourahman Borré, artisan du rapprochement entre
Djibouti et Dubaï.

En représailles, tous ses biens ont été confisqués en toute illégalité.
Le parti national djiboutien d’Aden Robleh, membre de la
coalition présidentielle a refusé de cautionner la révision
constitutionnelle en mars 2010. Le PND perdra sa légalité en
juin 2011.

La déclaration du chef d’Etat Djiboutien du 26 novembre 2010 selon laquelle « il y a toujours une alternative aux
armes pour résoudre les différends politiques », et que « l’espoir sera à la sortie des urnes… » n’a pas été suivie d’effet lors
de l’élection, qui fut une nouvelle mascarade. Un candidat
alibi a été présenté (l’ancien Président du Conseil
Constitutionnel Warsama Mohamed) moyennant finances.

Ce fut une élection pliée d’avance. Tout indiquait que le
pouvoir ne voulait pas changer ses pratiques. Guelleh a
nommé un proche à la présidence du Conseil constitutionnel
en novembre 2009, pour se mettre à l’abri d’une surprise.

Le
régime a expulsé l’organisme américain Democraty
International (DI) qui suivait le déroulement des élections en
mars 2011.
Si le chef de l’Etat a révisé la constitution, ce n’était sûrement pas pour perdre les élections ou préparer une quelconque
transition démocratique, mais au contraire pour se maintenir
au pouvoir indéfiniment.

La population ne s’y est pas trompée : elle s’est exprimée par des manifestations dans tout le
pays de janvier à mars 2011 contre le régime.
Encouragée par les évènements de la Tunisie, une manifestation d’une ampleur sans précédent (40 000 personnes) s’est déroulée dans la capitale pour demander le départ de Guelleh.

Pris de court, le régime de Djibouti, impressionné par le caractère unitaire de la protestation, tordant le cou à la politique de
division, a réagi violemment par des tirs à balles réelles : cinq
morts, et des dizaines de blessés, arrestations massives (jusqu’à
400 personnes) et tortures. Plus grave, n’ayant qu’une
confiance limitée en sa police et son armée, le chef de l’Etat a
fait intervenir 500 policiers somaliens en formation à Djibouti
pour réprimer les manifestants, provoquant les protestations
des opposants.

Le premier ministre éthiopien Meles Zenawi a appelé le
président Guelleh le soir du 18 février, pour l’assurer de son
soutien. Autre conséquence, le pouvoir a interdit tout meeting
légal de l’opposition, qui a été condamné par Human Rights
Watch le 4 avril 2011.

Pour sa part, les habitants des campagnes où perdure un conflit larvé ont plus d’une fois rejeté le
pouvoir de Gouled et de son neveu Guelleh.
Dans ces conditions à quoi servent les élections dans ce
pays ? Après le printemps des peuples arabes cela n’amuse
même plus les dirigeants occidentaux, en tout cas ils sont obligés d’avoir les rires discrets.

Le chef de l’Etat, conscient que l’immense majorité de la
population le rejette, n’hésite pas à introduire des ferments du
chaos, comme Ziad l’avait fait en Somalie :


faire intervenir des policiers somaliens contre les manifestants pacifiques ;

– distribuer 20 000 cartes électorales à des étrangers alors que
plus de 100 000 citoyens djiboutiens sont privés de leurs droits
civiques ;


blanchir l’argent de la piraterie investis dans l’immobilier ;

– créer des affrontements entre différents quartiers sur des
bases communautaires
enfin, la politique de la terre brûlée menée dans les régions en
guerre.

Violations massives et permanentes des Droits Humains

Le rapport de FIDH du 10 juillet 2010 est accablant à cet
égard :
« L’escalade de la répression à l’encontre des populations
civiles opérée à Djibouti est le reflet d’un grave recul de l’espace démocratique dans ce pays. Sous prétexte de vouloir mettre un terme à la rébellion armée qui sévit dans certaines
régions, en particulier dans le Nord, l’Armée nationale Djiboutienne (AND) procède à des actes de représailles à l’encontre de la population civile perçue comme soutenant directement les rebelles: une politique de la terre brûlée, des actes
de torture et de mauvais traitements, des violences sexuelles,
de même que des procédures illégales de refoulement de
citoyens Djiboutiens vers l’Ethiopie seraient ainsi perpétrés
dans la plus complète impunité par les éléments de l’armée
régulière.

« Ces actes de violences s’inscrivent dans le contexte plus
général d’un recul de l’espace démocratique à Djibouti et
d’une atteinte quotidienne portée aux libertés individuelles..
Les atteintes à la liberté d’association (notamment des partis
politiques d’opposition), les entraves aux activités menées par
les défenseurs des droits de l’Homme, les atteintes aux libertés
syndicales ou aux libertés d’information et d’expression sont
monnaie courante »

La répression s’est encore accentuée en 2011.

Des dizaines
de manifestants contre la pénurie d’eau et la coupure de l’électricité, et des dizaines de cheminots réclamants les arriérés de
salaires ont été emprisonnés dans le centre de tri de Nagad à
Djibouti, en mai et juin 2011.

L’armée a rassemblé autour de
casernes (Margoita, Galela et Garabtissan) de nombreuses
familles, pour servir de bouclier humain en cas d’attaque de
rebelles du FRUD.

Ceux qui refusent sont réprimés et sont privés d’aide alimentaire en cette période de famine.
La pratique de la torture est courante à Djbouti. Elle se
poursuit en toute impunité depuis 35 ans. La gendarmerie et
l’armée sont les principaux responsables.

La section de documentation et de recherche de la gendarmerie s’est particulièrement illustrée dans les tortures en ce premier semestre de 2011.

L’OMCT (Organisation mondiale contre la torture), l’ACAT
(Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et
l’ORDHD (Observatoire pour le respect des droits humains à
Djibouti) ont dénoncé l’usage de la torture dans ce pays.
La situation sociale n’a cessé de se dégrader ces dernières
années.

Famine, crises sociales, pénurie d’eau

L’UNICEF dans un rapport de juin 2010 sur la pauvreté enfantine avait révélé que la majorité des enfants de
Djibouti vivent dans une pauvreté « abjecte », qui les expose à
des menaces de mort.

Aujourd’hui la famine menace 300 000 personnes en particulier des nomades qui ont perdu jusqu’à 80% de leur cheptel. « Depuis avril la situation se détériore. Le nombre des
enfants victimes de malnutrition sévère augmente tous les
jours », explique le coordinateur du programme de nutrition
pour le Nord de Djibouti cité par l’AFP du 20 août 2011.

À ce
facteur climatique s’ajoute dans ces zones la volonté du pouvoir d’utiliser la famine comme arme de destruction lente. Si
les civils refusent de collaborer avec l’armée, ils sont privés
d’aide alimentaire. La soif reste un problème récurrent pour
ces régions. La pénurie d’eau affecte aussi la capitale.

Tentation d’un scénario à la Bahrein

Le FRUD se maintient dans le Nord et Sud-Ouest du pays,
malgré les répressions, et en dépit de la présence des bases
militaires étrangères.

Le régime craint par-dessus tout le renforcement du FRUD
et développe plusieurs axes de lutte à son endroit :
mise en cause de l’Erythrée, accusée de soutenir le FRUD ;
le renforcement des liens sécuritaires entre Djibouti et

l’Ethiopie (illustré par les
patrouilles fréquentes de
l’armée éthiopienne en territoire djiboutien où elle a
arrêté au début août une
douzaine d’éleveurs qui
furent extradés à Djibouti
où ils sont emprisonnés,
accusés de soutenir le
FRUD) ;
arrestations des civils, de
Mohamed Ahmed dit Jabha
sympathisants, de membres
du FRUD (dont le plus
célèbre est Mohamed Jabha détenu depuis mai 2010 après
avoir été torturé).

Cette crainte est aggravée par plusieurs défections au sein
de l’armée, dont certains auraient rejoint les rangs de FRUD.
Les partis politiques de l’opposition regroupés au sein de
l’UAD et de l’UMD restent très combatifs malgré les harcèlements dont ils sont l’objet en permanence, pour les empêcher
d’organiser de nouvelles manifestations contre le régime.

Hassan Amine, défenseur des Droits Humains et membre dirigeant du Parti djiboutien pour le développement est emprisonné avec sept autres personnes à la prison de Gabode, depuis
le 1er août.

L’Appel du Mans à l’unité de l’opposition lancé le
7 mai 2011 par l’ensemble des forces de l’opposition et de la
société civile djiboutienne en France sera-t-il entendu ?
L’opposition sera-t-elle capable de rompre avec son mauvais
génie de la division et rassembler ses forces éparses, pour tracer un nouvel horizon et proposer un récit qui parle à tous. La
responsabilité de l’opposition est tellement importante dans
cette étape de sortie de crise face aux agissements de Guelleh
qui veut privilégier le chaos ou le scénario à la Bahrein en sollicitant l’intervention éthiopienne