01/01/2012 (B637) LDDH : Présentation du rapport de Cassim Ahmed Dini sur la situation dans les districts du nord


Le Président

NOTE DE DIFFUSION DU 1ER JANVIER 2012

pour présenter le rapport
de M. Cassim Ahmed Dini
sur la situation dans les districts du nord.

(Lire aussi le rapport de Cassim Ahmed Dini, après la présentation par Jean-Paul Noël Abdi – Note de l’ARDHD)


La Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) prend note avec une vive préoccupation du rapport ci-dessous qui lui a été transmis par M. Cassim Ahmed Dini et qui relate la situation dans les districts du Nord. Ces régions où, selon les témoignages des autorités traditionnelles qui ont sollicité notre organisation pour les dénoncer ouvertement, sont commises des exactions contre les civils. Il y règne un sous-développement volontairement perpétué et pourtant elles sont encore les deux « mamelles » de la politique gouvernementale.

Malheureusement, pour révoltante qu’elle soit, cette situation alarmante n’étonne pas la LDDH : dès sa création en 1999, elle n’a jamais cessé de dénoncer le calvaire que vivent les populations rurales de ces districts. Récemment, dans son communiqué de presse en date du 28 décembre 2011, la LDDH avait dénoncé les emprisonnements et les tortures perpétrées par les troupes gouvernementales, dont les civils avaient été victimes au Mabla

Les choses prennent aujourd’hui les proportions d’une industrie de la terreur et cette insécurité persistante semble répondre à au moins trois objectifs :

1) Idéologique : l’aggravation de la marginalisation des populations du Nord (et du Sud-Ouest), par le déni de citoyenneté, déjà à l’origine du conflit civil entre 1991 et 2001, fait encore peser un lourd danger à la fragile stabilité de la République de Djibouti comme à son Unité;

2) Politique : la persistance (tolérée) d’une résistance armée à la dictature sert d’épouvantail utilisé par le régime pour dissuader les autres composantes de la communauté nationale de participer à des formes pacifiques de contestation, en brandissant la menace d’une « sécession afare »aux couteaux entre les dents. Lequel régime semble également utiliser pour cela la thématique du fédéralisme d’une association bénéficiant de la visibilité que confèrent les médias gouvernementaux, dont la RTD ;

3) Partisan : en subordonnant l’aide alimentaire à l’affiliation partisane au bénéfice du RPP, c’est le droit constitutionnellement garanti à la liberté d’opinion qui est bafoué.

La LDDH s’engage à prendre immédiatement contact avec les notables traditionnels et à se faire l’écho de leur légitime révolte au niveau des instances internationales, conformément au pacte international sur les droits civils et politiques et au pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, tous deux ratifiés par la République de Djibouti.

NOEL ABDI Jean-Paul

__________________________ Rapport de Cassin Ahmed Dini

Note d’information
à l’intention de la Ligue Djiboutienne des Droits Humains

Sur la situation prévalant dans les districts du Nord

Présentée par Cassim Ahmed Dini

Djibouti, le 1er janvier 2012

Sous certaines conditions, un séjour prolongé à l’étranger peut induire une perception erronée de la réalité du pays, laquelle induit à son tour une appréciation déphasée des urgences, des possibles et des formes de lutte contre la dictature.

Pour me prémunir contre cette pathologie malheureusement courante dans certains milieux intoxiqués par la virtualité de l’Internet, j’ai effectué du 28 au 31 décembre dernier une tournée dans les districts du Nord.

(Du 28 au 31 décembre : inutile de trop insister sur le fait que, contrairement aux allégations d’un site surnommé Djibintox, spécialisé dans le dénigrement 24h/24 de l’opposition, je ne pouvais physiquement pas me trouver à Djibouti-ville pour participer à une prétendue manifestation de prétendus opposants censée avoir prétendument été empêchée le vendredi 30 décembre.)

En marge de mes activités partisanes, l’occasion m’a été donnée au cours de cette tournée de discuter avec une délégation de notables traditionnels qui ont expressément sollicité mon entremise afin que soient entendues leurs doléances quant à leurs rôles ainsi que leur révolte face aux souffrances infligées aux populations rurales du Nord.

I) L’Etat contre la société :

Les temps nouveaux des notables TIJI

D’une complexité variable selon les sociétés, l’ordre politique traditionnel a pour fondement le chef de tribu, appelé notable ou okal. Sa fonctionnarisation est un fait colonial : contre rémunération mensuelle, il était l’intermédiaire entre l’administration et les administrés. Toute velléité de résistance de sa part était violemment réprimée : Ougas marginalisé ou Sultan déporté à Madagascar l’apprirent à leurs dépends !;

L’Etat postcolonial a reconduit ce rapport de domination en exacerbant les dysfonctionnements. Dans son entreprise systématique de destruction de l’ordre traditionnel, le régime djiboutien, après avoir contraint un Sultan à l’exil forcé, met actuellement en œuvre une nouvelle stratégie que dénoncent les chefs coutumiers : l’imposition et l’usurpation de nouveaux chefs traditionnels cooptés, tout dévoués au parti unique.

Loin de contribuer à la consolidation de la paix civile, ces notables TIJI sont, en tant qu’interlocuteurs privilégiés de l’administration territoriale, les exécutants serviles d’une politique de discrimination et de marginalisation à au moins deux niveaux.

1) ils bloquent systématiquement auprès de l’état-civil toute démarche pour l’octroi des actes de naissance et des cartes nationales d’identité. Or, ce déni de citoyenneté, implacable depuis 1977, participe d’une politique de substitution de population et d’une falsification de la djiboutianité.

2) Opérant le plus souvent dans le cadres d’associations sponsorisées par le régime, ils font bénéficier des projets de développement (pour les rares qui voient le jour) et des aides internationales, alimentaires ou sanitaires, dont ils sont les récipiendaires exclusifs, à la condition impérative d’être encarté au parti unique au pouvoir.

L’émergence de ces nouveaux notables TIJI témoigne d’une volonté délibérée de condamner les districts du Nord au sous-développement et leurs populations à la misère. Les notables traditionnels refusent d’être aujourd’hui les complices silencieux de cette politique méthodique d’anéantissement qui se dévoile plus dramatiquement dans l’insécurité sciemment entretenue dans ces régions et contre laquelle ces notables s’insurgent également.

II) Soldats gouvernementaux et « rebelles »armés :

Même combat contre les civils

Au prétexte d’éradiquer une rébellion armée, le régime a multiplié les cantonnements militaires dans les zones rurales du Nord, en violation de l’accord de paix du 12 mai 2001.

Après Adaylou, Waddi et Gal’Ela ont vu débarquer un impressionnant contingent qui reçoit ses ordres directement de l’état-major de Djibouti-ville. Invoquant cette prétendue résistance armée, le régime étouffe ces zones fortement peuplées par un embargo qui ne dit pas son nom et inflige d’innombrables souffrances aux populations rurales accusées de la soutenir.

Plusieurs facteurs amènent aujourd’hui les notables traditionnels à ouvertement accuser le régime de, sinon entretenir ouvertement, à tout le moins de tolérer ces éléments armés.

1) Leurs propres tentatives pour inviter ces « rebelles » à éviter les zones d’habitations ont échoué du fait que les troupes gouvernementales, au lieu de tout simplement tendre une embuscade, bombardaient systématiquement et des heures à l’avance le lieu de rendez-vous entre notables et « rebelles ».

2) Comme tous le ruraux, ces notables ont eux-mêmes été témoins d’un subtil jeu du chat et de la souris par lequel des centaines de soldats gouvernementaux et une poignée de « rebelles » s’évitent avec la précision d’une montre suisse.

3) Un sous-officier, récemment muté dans ce secteur et qui, croyant naïvement à la version officielle de lutte contre une rébellion armée, a un jour engagé les hostilités et il a été illico transféré vers un district du Sud.

Pendant ce temps, les exactions contre les civils continuent : vols, arrestations et tortures à grande échelle de la part des éléments gouvernementaux ; châtiments corporels, vols et viols de la part des « rebelles ». Les rares interventions des troupes gouvernementales contre ces « démocrates armés », qui se sont déroulées dans le Nord-Ouest du pays, semblent plutôt procéder d’une sous-traitance sécuritaire au profit d’un pays voisin.

Estimant à juste titre qu’une telle situation de marginalisation et d’insécurité planifiée, organisée et entretenue ne peut plus perdurer, les notables traditionnels soucieux de la survie de leurs populations demandent que des observateurs impartiaux défenseurs des droits de l’homme s’entretiennent avec eux sur place et prennent leurs doléances en considération.

Tel est le but de la présente note.

Cassim Ahmed Dini