05/09/2013 (Brève 218) RFI / Dimitri Verdonck sur RFI: Alhoumekani considère qu’«Omar Guelleh est directement responsable de la mort du magistrat Borrel» à Djibouti

Dimitri Verdonck, spécialiste de Djibouti et président de l’Association culture et progrès.
Par Olivier Rogez

Pourquoi le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh veut-il l’extradition de Mohamed Saleh Alhoumekani ? L’ancien officier de la garde présidentielle est au coeur de l’affaire du juge Borrel. Il a été interpellé il y a un peu plus d’une semaine au Yémen et depuis, Djibouti tente d’obtenir son extradition. Selon Dimitri Verdonck, spécialiste de la région, cette volonté répond à des considérations de politique intérieure.

RFI : Pourquoi le président djiboutien Ismaël Omar Guelleh tient-il tant à obtenir l’extradition de Mohamed Saleh Alhoumekani ?

Dimitri Verdonck : Ce monsieur est en fait le témoin numéro un dans l’affaire Borrel (magistrat français retrouvé mort en 1995 à Djibouti, NDLR), et donc il est un des rares à considérer qu’Omar Guelleh est directement responsable de la mort du magistrat. D’après ce que je sais, madame Borrel accorde beaucoup de foi au témoignage d’Alhoumekani.

Monsieur Alhoumekani est visiblement en effet un témoin considéré comme gênant par Djibouti. S’il est extradé, risque-t-il d’être éliminé, selon vous ?

Il ne serait pas étonnant qu’en cas de retour à Djibouti, Alhoumekani se fasse éliminer. Maintenant, je pense quand même que la communauté internationale est suffisamment attentive à la situation pour éviter ce genre de scénario. Ce qui risque de se produire, par contre, c’est qu’il se fasse interroger en cas de retour à Djibouti. En tout état de cause, il sera emprisonné, et risque de vivre les dernières années de sa vie en détention à Djibouti.

Pourquoi cette fois-ci Djibouti veut-il le faire extrader, alors qu’il a pu se rendre par le passé au Yémen sans être inquiété ?

Cette demande d’extradition intervient dans un contexte particulièrement troublé à Djibouti, alors que depuis le 22 février dernier, une contestation populaire massive dérange le régime.

Evidemment, je pense – et nous sommes beaucoup dans ce cas – que si le président Omar Guelleh parvient à montrer qu’il n’a absolument rien à voir avec la mort du magistrat, par la même occasion il se donne une nouvelle image vis-à-vis de la communauté internationale.

Justement, depuis le 22 février et les élections législatives, une répression s’est abattue sur l’opposition, mais le régime semble avoir du mal, cette fois-ci, à faire taire son opinion.

C’est tout à fait exact et c’est tout à fait important. Dès le 23 février, la répression a commencé. Opposants, principaux leaders de l’opposition, défenseurs des droits de l’homme, militants, citoyens : tous ceux qui osaient manifester leur mécontentement ont été enfermés. Ça n’a pas marché, la population est restée dans la rue, les opposants sont restés unis jusqu’à aujourd’hui. Systématiquement le vendredi, il y a des manifestations à Djibouti.

Le Parlement européen a réagi en condamnant fermement cette répression qui s’est abattue. Pourtant la communauté internationale reste étrangement silencieuse. Comment expliquez-vous cette indulgence vis-à-vis du président Guelleh ?

En dehors de la prise de position tout à fait remarquable du Parlement européen, ce qui explique l’attitude, disons, « prudente » de la communauté internationale, c’est évidemment la préservation de ses intérêts sur place. Les Etats-Unis ont leur plus grande base militaire à l’étranger à Djibouti, tout comme la France. Au regard des intérêts militaires stratégiques internationaux, l’intérêt général de la population djiboutienne pèse très peu.

Est-ce que cela veut dire que tant que les Américains, les Français, ou encore les Japonais pourront compter sur un allié aussi fidèle que le président Guelleh dans le golfe d’Aden, ils n’entreprendront rien pour favoriser le respect des droits de l’homme à Djibouti ?

On peut dire ça sauf que quelque chose a changé à Djibouti. La population, maintenant, montre qu’elle existe. Et c’est évidemment ce qui fait toute la différence. La communauté internationale peut continuer à soutenir un dictateur, mais cela devient beaucoup plus difficile, à partir du moment où la population fait savoir qu’elle existe. C’est par conséquent ce rapport de force là qui complique la situation pour le régime depuis février. C’est ça qui change fondamentalementalement la donne.

Malgré les silences officiels, pensez-vous que les chancelleries occidentales tentent de ramener le président Guelleh à la raison ?

Ça, je le crois sincèrement. Je pense que la communauté internationale, l’Union européenne, sont évidemment très embêtées par l’attitude du président. Mais dans le même temps, on peut quand même regretter un comportement absolument scandaleux.

Il faut savoir quand même qu’il a eu deux experts techniques envoyés par l’Union européenne pour observer les élections. Or ces deux personnes ont rédigé un rapport dans lequel il est écrit, noir sur blanc que c’est l’opposition qui a gagné les élections.

Evidemment, ce rapport est confidentiel. Vous ne le verrez pas, le grand public ne le verra pas. Mais c’est pourtant ce qui est dit dans le rapport. La version officielle de l’Union européenne c’est : présentez-nous s’il vous plaît des résultats officiels, mais on vous soutient. C’est évidemment très pervers, parce que c’est une invitation aux opposants, à la population, à faire monter les enchères. Et donc de son côté, le président Guelleh essaie de criminaliser ces groupes, qui ne le sont absolument pas.

Il instrumentalise la question religieuse, en faisant croire que les Frères musulmans sont très actifs à Djibouti et représentent un danger, alors qu’ils ne sont pas du tout présents et que l’islam à Djibouti est un islam très ouvert. Mais voilà, le président a pour lui évidemment, un contexte international particulièrement difficile, et personne n’a envie que Djibouti soit le nouveau front d’affrontements ouverts et de difficultés supplémentaires.