09/12/2013 (Brève 329) Les députés belges « ouvrent les yeux » sur la véritable situation du peuple djiboutien et ils proposent à la France et aux autres états membres d’ouvrir les leurs, en adoptant le même projet de résolution ….(Info lecteur)

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http://www.lachambre.be/doc/flwb/pdf/53/3029/53k3029001.pdf

Le contenu du projet de résolution que la Belgique s’apprête à adopter et demande à la France et aux autres États membres de l’UE présents à Djibouti d’en faire autant.

MESDAMES, MESSIEURS,
La piraterie dans l’ouest de l’océan Indien fait peser depuis plus de dix ans maintenant une menace grandissante sur la sécurité, le trafi c maritime international et, plus largement, sur le développement socioéconomique et la stabilité politique de cette région.

Tout en ayant toutes les caractéristiques de la criminalité organisée, la piraterie est un problème complexe qui ne peut être surmonté qu’en combinant les efforts politiques et diplomatiques avec l’action militaire et judiciaire, l’aide au développement et une forte coordination internationale.

C’est pour répondre à ces défis que l’Union européenne (UE) a développé une “approche globale” visant à s’attaquer à la fois aux manifestations actuelles du problème et aux causes profondes de celuici et qui s’inscrit dans le cadre des Nations Unies et des résolutions du Conseil de sécurité concernant la piraterie au large des côtes somaliennes.

L’UE et ses États membres, dont la Belgique, participent activement à tous les groupes de travail respectivement chargés des activités de coordination militaires et opérationnelles, des questions juridiques, des mesures d’autoprotection, de la politique d’information du public, des enquêtes ainsi que des fl ux fi nanciers. Le code de conduite de Djibouti, signé en 2009 sous les auspices de l’Organisation maritime internationale (OMI), ainsi que la stratégie régionale et le plan d’action régional pour la région de l’Afrique orientale et australe et de l’océan Indien, approuvés en octobre 2010 à l’île Maurice, garantissent l’appropriation au niveau régional des actions de l’UE.

L’engagement de l’UE dans la Corne de l’Afrique(1) résulte de l’importance géostratégique de la région, des relations que l’UE entretient de longue date avec les pays de cette zone et du souhait de l’UE de contribuer à arracher ces populations à la pauvreté pour les faire accéder à l’autonomie économique, ainsi que de la nécessité pour l’UE de protéger ses propres citoyens contre les menaces pesant sur leur sécurité. Le Conseil des ministres de l’UE a ainsi adopté, le 14 novembre 2011, un cadre stratégique pour la Corne de l’Afrique.

(1) Région regroupant les pays membres de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), à savoir Djibouti, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud et l’Ouganda.

3 Plus largement, la problématique globale de la piraterie a également conduit la communauté internationale à se pencher — enfi n — sur la situation de cette région du monde. Cette attention particulière a permis d’ouvrir les yeux de beaucoup sur la situation régionale, mais aussi sur celle plus nationale de certains États composant la Corne de l’Afrique.

C’est ainsi que la situation de Djibouti a interpellé les auteurs de la présente proposition de résolution qui désirent attirer l’attention sur la situation politique et socioéconomique de cet État. Une situation que l’on analyse trop souvent au regard d’intérêts occidentaux géostratégiques et économiques sans prendre le temps de se pencher sur les maux de cet État.

La République de Djibouti est un petit pays d’une superf i cie de 23 000 km2 situé sur les bords de la mer Rouge. Un pays qui est devenu indépendant en 1977 et dont la population, estimée entre 700 000 et 800 000 personnes, a selon les statistiques officielles une espérance de vie relativement faible et un indice de pauvreté très élevé. Djibouti souffre d’une série de handicaps structurels (des ressources naturelles limitées, un climat aride et des contraintes propres à un pays de taille réduite), mais peut néanmoins tirer avantage de sa position géostratégique.

En effet, bien qu’étant en superfi cie un “petit pays”, la situation géographique de Djibouti lui confère une grande importance géostratégique dans la région. Ainsi, Djibouti constitue une base avancée pour de nombreuses nations dans la région: les Français depuis de très nombreuses années, les Américains (environ 2 700 hommes), les Allemands, les Japonais ou encore les Italiens. Les Russes ont, quant à eux, récemment exprimé leur désir de s’implanter dans le pays.

Le système politique du pays se caractérise par un régime présidentiel fort. La Constitution de 1992 et l’accord de paix signé en 1991, ayant mis fin à la guerre civile, reconnaissent les libertés fondamentales et les principes sur lesquels se fonde la bonne gouvernance.

Cependant, la mise en œuvre de la décentralisation administrative et d’un système politique multipartite est loin d’être effective.

Preuve en est que la tenue d’élections législatives en février 2013 a ouvert une période de grave instabilité et de crise politique qui perdure depuis.

Le président actuel, Ismail Omar Guelleh, est arrivé au pouvoir en 1999 pour être ensuite réélu président en 2005 avec 100 % des suffrages, puis en 2011 avec près
5 de 80 % des voix dans un scrutin largement boycotté par l’opposition après que le parlement de Djibouti eut amendé la Constitution de façon à permettre au président Guelleh d’être candidat à un nouveau mandat. Une nouvelle candidature en 2016 semble ainsi fort probable.

Le 22 février 2013 se tenaient — pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir d’Ismail Omar Guelleh
— des élections législatives auxquelles les partis de l’opposition avaient décidé de prendre part en raison de la mise en œuvre d’un nouveau mode de scrutin partiellement proportionnel, permettant la représentation parlementaire de la minorité politique.

Au terme de ce scrutin, et selon les résultats proclamés par le Conseil constitutionnel, l’Union pour la majorité présidentielle (UMP) a obtenu 68 % des suffrages, tandis que l’opposition a dénoncé des fraudes massives et a proclamé sa victoire électorale. Le Conseil constitutionnel a ensuite rejeté le recours de l’opposition visant à contester le résultat des élections.

La situation postélectorale est donc marquée par la confrontation entre le régime de Guelleh avec l’opposition USN (coalition des partis d’opposition) qui ne faiblit pas depuis plus de cinq mois. L’opposition ayant fait le choix de boycotter le parlement issu de ce scrutin a constitué une “Assemblée nationale légitime” (ANL) en marge de l’Assemblée nationale.

Face à cette situation de crise, l’unique réponse du régime a été, jusqu’à présent, la répression allant d’arrestations arbitraires, d’emprisonnements arbitraires, d’intimidations de plusieurs fi gures de l’opposition jusqu’aux tortures et aux meurtres.

Les organismes internationaux de défense des droits de l’homme ne cessent de demander l’arrêt de cette escalade.

Au niveau de la communauté internationale, l’UE, la France et les ÉtatsUnis ont demandé la publication des résultats généraux, par bureau de vote, des élections du 22 février 2013 que l’opposition dit avoir gagnées avant de subir un holdup électoral de la part du régime. Cette publication permettrait de mettre fi n aux doutes et suspicions actuels.

6 Pourtant, le temps passe et le régime djiboutien actuel semble se murer dans une volonté jusqu’auboutiste et cela malgré des promesses de négociations avec l’opposition, promesses qui sont à ce jour restées vaines.

Face à cette situation qui ne cesse de s’enliser, l’UE ne peut rester les bras croisés.

Si elle agit déjà concrètement au profit de la population, via notamment les Fonds européens de développement (FED), elle devra également exercer une pression diplomatique nécessaire afi n d’induire les parties à une solution pacifi que, politique et démocratique devant conduire à un accord entre le régime en place et l’opposition conformément aux résultats du scrutin de février 2013 sur lequel il faudra lever tout doute.

La Belgique a, elle aussi, bel et bien un rôle à jouer en termes de pressions diplomatiques à l’égard de ce pays.

En effet, sur proposition du ministre de la Défense, Pieter De Crem, le Conseil des ministres a autorisé l’engagement d’un pilote C130 à Djibouti, dans le cadre de l’opération Combined Joint Task Force Horn of Africa, pour une période d’environ cinq mois à partir de fi n mai 2013.

De plus, l’opposant belgodjiboutien Daher Ahmed Farah a fait très récemment l’objet d’une nouvelle arrestation politique à Djibouti avant d’être fi nalement libéré à la miaoût. Daher Ahmed Farah, président du Mouvement pour le Renouveau démocratique et le Développement (MRD, opposition) et porteparole de l’USN, était rentré à Djibouti en janvier 2013 après neuf ans d’exil en Belgique, dans la perspective des élections législatives.

Il a fait l’objet de plusieurs arrestations avant et après ce scrutin. Pour rappel, son arrestation avait été motivée par un “refus” d’exécution judiciaire d’une condamnation en 2003 à six mois de prison – dont trois fermes — pour diffamation à l’encontre du chef de l’armée de l’époque. L’arrêt avait été cassé par la Cour suprême, qui a condamné le BelgoDjiboutien à trois mois de prison avec sursis et à une forte amende, dont il s’est acquitté.

Par la présente proposition, les auteurs souhaitent relayer les termes forts et volontaristes de la résolution adoptée par le Parlement européen le 4 juillet 20132 et ainsi exprimer les préoccupations que leur inspire la situation prévalant à Djibouti depuis les élections législatives du 22 février 2013. Il s’agit de dénoncer,

7 encore une fois et audelà des aspects stratégiques de l’Occident dans ce pays, les atteintes graves aux valeurs inaliénables que sont la liberté d’expression, la liberté de manifester pacifi quement, la démocratie et les droits de l’homme.

La situation actuelle ne fait qu’aggraver les conditions de vie des populations et mine dès lors tous les efforts de la communauté internationale et plus particulièrement de l’UE en matière d’aide au développement, tout en contribuant encore un peu plus aux causes et conséquences de l’instabilité dans cette région du monde.

8 PROPOSITION DE RÉSOLUTION
LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS,

A. vu la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ratifi ée par Djibouti, et vu la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948;

B. vu l’Accord de Cotonou, signé le 23 juin 2000 et révisé le 22 juin 2010;

C. vu la résolution du Parlement européen du 4 juillet 2013 sur la situation à Djibouti;

D. considérant qu’en raison de sa position à la pointe de la Corne de l’Afrique et à l’entrée de la mer Rouge, Djibouti et ses infrastructures stratégiques (ports et zones franches) jouent un rôle important pour toute la région et considérant que malgré ce rôle les populations souffrent d’un développement socioéconomique faible;

E. considérant que Djibouti joue un rôle clé dans la lutte contre la piraterie et le terrorisme dans la région;

F. considérant l’implication de la Belgique dans cette lutte menée par la communauté internationale contre la piraterie internationale dans cette région, laquelle implication est matérialisée par l’envoi de militaires et de bâtiments belges en opération;

G. considérant que depuis son indépendance en 1977 jusqu’à 2003 Djibouti a connu un système de parti unique;

H. considérant qu’une grave crise politique secoue le pays depuis les dernières élections législatives du 22 février 2013;

I. considérant que, pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir d’Ismail Omar Guelleh, les partis de l’opposition, espérant le pluralisme démocratique, avaient décidé de prendre part aux élections législatives du 22 février 2013, en raison d’un nouveau mode de scrutin partiellement proportionnel, permettant la représentation parlementaire de la minorité politique;

J. considérant que, lors de ce scrutin, les opérations de vote ont été observées par l’Union africaine (UA), la Ligue arabe, l’Organisation de la coopération islamique (OCI) et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), qui ont supervisé 154 bureaux de vote sur plus de 400 et 12 centres de dépouillement, et ont souligné la transparence du scrutin, n’ayant relevé aucun cas de fraude ni de bourrage d’urnes;

K. considérant que, selon les résultats proclamés par le Conseil constitutionnel, l’Union pour la majorité présidentielle (UMP) a obtenu 68 % des suffrages;

L. considérant que l’opposition, qui, pour la première fois depuis l’indépendance, peut faire son entrée au parlement, dénonce des fraudes massives et proclame sa victoire électorale; que le Conseil constitutionnel a rejeté le recours de l’opposition visant à contester le résultat des élections;

M. considérant que l’opposition boycotte le parlement issu de ce scrutin;

N. considérant que les résultats des élections législatives du 22 février 2013 n’ont toujours pas été publiés par bureau de vote, malgré les demandes de l’Union européenne, ce qui entraîne des soupçons de fraudes;

O. considérant que la répression, par un usage disproportionné de la force, des manifestations des partis de l’opposition qui contestent la régularité des élections législatives, aurait fait au moins dix morts, tués par balles par les forces de l’ordre;

P. considérant les arrestations massives de manifestants de l’opposition; considérant que les ONG dénoncent des cas de mort suspecte, de torture et de disparition;

Q. considérant que, depuis les élections du 22 février 2013, plus d’un millier d’opposants auraient été emprisonnés et/ou réprimés pour des périodes plus ou moins longues, en ce compris l’opposant belgodjiboutien Daher Ahmed Farah;

R. considérant les poursuites judiciaires engagées contre la plupart des dirigeants ou de porteparoles de l’opposition et contre de nombreux journalistes;

S. considérant les conditions extrêmement préoccupantes de détention dans les prisons djiboutiennes;

T. considérant que la Constitution de 1992 reconnaît les libertés fondamentales et les principes de base de la bonne gouvernance et que l’article 10 de la Constitution dispose que “le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par l’avocat de son choix, est garanti à tous les stades de la procédure”;

U. considérant que Djibouti est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels;

V. considérant que les femmes djiboutiennes sont confrontées à des formes diverses de violence, dont le viol, les mutilations génitales féminines, les violences domestiques, le harcèlement sexuel et le mariage précoce, qui ont de lourdes conséquences en termes de destruction physique et psychologique des femmes;

W. considérant que Djibouti se situe à la 167e place (sur 179) dans le classement mondial 2013 de la liberté de l’information établi par Reporters sans frontières; considérant l’interdiction faite aux journalistes étrangers de se rendre à Djibouti et les difficultés que cette interdiction entraîne pour obtenir des informations fi ables sur ce qui se passe dans ce pays;

X. considérant qu’en mars 2012, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a estimé que 180 000 personnes à Djibouti

avaient besoin d’une assistance alimentaire;

Y. considérant qu’au cours des vingt dernières années, l’Union européenne et ses États membres ont été les principaux bailleurs de fonds de Djibouti; que les sommes versées par les ÉtatsUnis, le Japon et la France, pour l’occupation de leurs bases militaires, représentent une rente assurant à Djibouti une croissance continue;

Z. considérant que le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’État de droit est à la base du partenariat ACPUE et qu’il constitue l’un des éléments essentiels de l’Accord de Cotonou;

DEMANDE AU GOUVERNEMENT:

1. d’appeler — à l’instar de l’Union européenne — à une publication transparente des résultats du scrutin du 22 février 2013 pour chaque bureau de vote;

2. d’appeler l’ensemble des forces politiques djiboutiennes à respecter l’État de droit, y compris le droit de manifester pacifi quement et la liberté d’expression et de la presse, et à s’abstenir de recourir à la violence et à la répression;

3. de faire pression — tant au niveau bilatéral qu’européen — auprès des autorités djiboutiennes afi n que cellesci mettent fi n à la répression des opposants politiques et aux arrestations arbitraires pour motifs politiques et autorisent les journalistes étrangers à venir dans le pays ainsi que des missions civiles afi n de faire le point sur la situation du pays;

4. de défendre pleinement au sein du Conseil des ministres européens des Affaires étrangères la position volontariste de la résolution adoptée par le Parlement européen le 4 juillet 2013;

5. de demander aux autorités djiboutiennes de veiller au respect des droits de l’homme reconnus par les instruments nationaux et internationaux, auxquels Djibouti a souscrit, et de garantir les droits et les libertés civils et politiques, y compris le droit de manifester pacifi quement et la liberté de la presse;

6. de condamner fermement et formellement les actes de violence sexuelle perpétrés à l’encontre des femmes et de rappeler qu’il incombe au gouvernement de Djibouti de mettre un terme à l’impunité en traduisant en justice les auteurs de

ces violences;

7. de demander au gouvernement de Djibouti d’ouvrir le dialogue politique avec l’opposition conformément à l’annonce faite par le chef de l’État le 27 juin 2013, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance nationale, avec l’aide des institutions ayant validé les résultats électoraux, en particulier l’Union africaine, tout en appuyant l’action des organisations régionales et à apporter sa contribution pour trouver une solution politique afi n de sortir de la crise actuelle;

8. d’appeler à l’ouverture immédiate d’une enquête judiciaire pour faire la lumière sur les agissements des forces de l’ordre lors des manifestations et punir les auteurs des violations des droits de l’homme.

10 septembre 2013

Mohammed JABOUR (PS)
Philippe BLANCHART (PS)
Christiane VIENNE (PS)
Olivier HENRY (PS)