23/04/2015 (Brève 452). La France a violé la liberté d’expression de l’avocat de la veuve du juge Borrel

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La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la France avait violé la liberté d’expression de l’avocat de la veuve du juge Borrel, tué à Djibouti en 1995. Il avait mis en cause l’impartialité d’une juge.

La France a violé la liberté d’expression de l’avocat de la veuve du juge Borrel en le condamnant pour des critiques de l’enquête sur sa mort, selon une décision de la justice européenne que l’intéressé a qualifiée d' »historique » pour la profession. 

Tout en estimant qu' »un avocat ne saurait être assimilé à un journaliste » et bénéficier à ce titre de la même liberté de parole, la Cour a estimé que dans ce cas précis, l’avocat Olivier Morice avait exprimé des jugements de valeur reposant sur « une base factuelle suffisante ».

L’avocat avait été condamné en 2008 par la justice française à 4.000 euros d’amende pour avoir mis en cause, dans un article du Monde l’impartialité de deux magistrats, dont la juge d’instruction Marie-Paule Moracchini, en charge du dossier Borrel de décembre 1997 jusqu’à son dessaisissement en juin 2000.

Il lui reprochait notamment sa « connivence » avec la justice djiboutienne, et de privilégier la thèse du suicide du juge Borrel, plutôt que son assassinat.

Magistrat français détaché à Djibouti, Bernard Borrel avait été retrouvé mort le 19 octobre 1995, en contrebas d’un ravin, à 80 km de Djibouti. Son corps était en partie carbonisé. Les enquêteurs djiboutiens et français avaient privilégié dans un premier temps la thèse du suicide. Mais en se basant sur de nouvelles expertises et témoignages, l’enquête française privilégie désormais celle d’un assassinat.

En mars 2014, la juge française en charge de l’enquête a demandé aux ministres de la Défense et de l’Intérieur la déclassification de tous les documents en leur possession sur cette affaire non élucidée à ce jour.

Dans un premier arrêt datant de 2013, la CEDH avait estimé que la liberté d’expression de Me Morice n’avait pas été violée.

Mais l’arrêt rendu jeudi, après réexamen de l’affaire par la Grande chambre de la Cour, est revenu sur ce point. La CEDH a ainsi rappelé qu’une pièce importante du dossier n’avait pas été transmise par les juges visés au nouveau juge d’instruction chargé de l’enquête après leur désaisissement en 2000 

Elle a aussi souligné que les propos de l’avocat s’inscrivaient dans le cadre d’un « débat d’intérêt général » sur des dysfonctionnements de la justice, ce qui lui valait une protection de sa liberté d’expression plus importante que dans d’autres cas. 

« C’est une victoire personnelle dans une affaire éprouvante » pour Me Morice, mais « c’est surtout un arrêt historique pour la défense de la profession des avocats », a-t-il dit, après avoir assisté à l’audience de lecture de l’arrêt à Strasbourg.

Estimant que sa condamnation en France avait été le fruit d’un « certain corporatisme », il a applaudi une décision qui « devrait faire vraiment réfléchir les magistrats qui apprécient de la responsabilité des avocats ».

De son côté, la CEDH a fait assaut de prudence pour que ne soit pas surévaluée la portée de son arrêt sur la liberté d’expression des avocats en général, soulignant la »grande importance du contexte de cette affaire ». « L’avocat ne saurait être assimilé à un journaliste puisqu’il n’est pas un témoin
extérieur chargé d’informer le public », a-t-elle insisté. Il est partie prenante de la machine judiciaire et doit donc à ce titre faire preuve d’une certaine retenue vis-à-vis des magistrats.

Comme elle l’avait déjà fait dans son arrêt de 2013, la Cour a aussi estimé que la France avait violé le « droit à un procès équitable » de Me Morice, qui avait mis en doute l’impartialité de la Cour de cassation, quand elle a rejeté son pourvoi en 2009. L’avocat déplorait la présence, au sein de l’instance ayant délibéré en sa défaveur, d’un magistrat qui avait publiquement manifesté son soutien et sa proximité avec la juge Moracchini.

La Cour a condamné la France à verser 4.270 euros à Me Morice pour dommage matériel et 15.000 euros pour dommage moral.