05/04/2016 (Brève 721) Le Point avec AFP / Pour dénoncer des viols, des Djiboutiennes en grêve de la faim

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De l’eau, du jus de pomme, du thé sucré: depuis onze jours, Fatouma, Aïcha et les autres, n’ont rien mangé. Après des années de lutte silencieuse – et vaine -, ces neuf Djiboutiennes mènent une grève de la faim en France pour dénoncer des viols dans leur pays.

« Ce n’est pas par plaisir que je m’affame », explique Fatou Ambassa. Cette Djiboutienne de 30 ans jeûne en mémoire de sa cousine, Halima. « Ils étaient plusieurs soldats. Ils l’ont violée devant ses parents. C’était en 2003, elle avait 16 ans ». Hémorragie, dépression. « Elle s’est laissé mourir », dit Fatou.

Le 25 mars, avec neuf membres du « Comité des femmes djiboutiennes contre les viols et l’impunité », elle a cessé de manger. Vendredi, l’une d’elle, trop affaiblie, a été contrainte par les médecins de se réalimenter.

Ses compagnes restent couchées, serrées sur des lits de camp dans le local exigu de l’association Femmes solidaires qui les accueille à Arcueil, au sud de Paris. Sous leurs voiles multicolores, traditionnels sur les bords de l’océan Indien, leurs visages trahissent la fatigue mais restent déterminés.

Quatre d’entre elles affirment avoir été violées par des soldats dans leur pays, il y a plusieurs années. Des « allégations sans aucune crédibilité », selon le gouvernement de Djibouti, petit pays de la corne de l’Afrique stratégiquement situé.

Ces femmes sont Afar – une ethnie qui vit dans un vaste triangle à cheval sur l’Ethiopie, Djibouti et l’Erythrée. Avant de se réfugier en France ou en Belgique, elles habitaient à Djibouti, dans les régions du nord et du sud-ouest où opère depuis 25 ans la rébellion armée du FRUD.

Ce Front pour la restauration de l’unité et la démocratie, un mouvement de rébellion Afar, combat sporadiquement les forces régulières depuis sa création en 1991.

A l’encontre de ce mouvement armé mais aussi des populations civiles qui le soutiennent ou qui l’entourent, l’armée djiboutienne mène des opérations de représailles », explique Florent Geel, directeur Afrique de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH). « Des arrestations arbitraires, parfois des exécutions sommaires, mais surtout des violences sexuelles », qui ont pour but « de couper la population civile de la rébellion du FRUD », selon ce responsable.

– Enquête internationale –

C’est par gestes que Fatou Abdallah raconte le viol dont elle a été victime début 2007. Malentendante, elle montre les barrettes sur les épaules des militaires, croise les poignets pour dire qu’elle exige leur arrestation. Son père s’est battu pour obtenir justice. Sans succès.

« On réclame que ces viols soient reconnus comme crimes de guerre et qu’une enquête internationale soit menée », lance Aïcha Dabalé, porte-parole du Collectif. Elle est l’épouse de Mohamed Kadamy, actuel président du FRUD, mais assure ne pas agir au nom de la rébellion.

Ses accusations sont rejetées par le gouvernement djiboutien. « Depuis 1991, aucune preuve n’a été fournie aux autorités djiboutiennes pour étayer ces affirmations » de viols, a assuré un porte-parole, dans une déclaration à l’AFP.

Le Comité des femmes djiboutiennes contre les viols et l’impunité, créé en 1993, a recensé depuis 246 cas de viols par des militaires, mais selon Aïcha Dabalé, bien d’autres agressions sexuelles ont été commises. Toute la difficulté est de rassembler les témoignages, et les preuves, souligne-t-elle.

Médecins et avocats refusent de prendre en charge ces femmes, parce qu’elles accusent des soldats, dénonce-t-elle. « Une vingtaine de plaintes ont été déposées, mais aucune n’a abouti ».

« Notre espoir c’est la France », lance Fatou Ambassa, à l’ancienne puissance coloniale qui maintient à Djibouti sa principale base en Afrique. « La France ne peut pas fermer les yeux sur des violations massives des droits fondamentaux », ajoute Aïcha.

Le gouvernement djiboutien dénonce lui « une campagne » coordonnée par « l’opposition politique », à l’approche des élections présidentielles du 8 avril. En poste depuis 1999, le président djiboutien Ismaël Omar Guelleh y briguera un quatrième mandat de cinq ans.