20/10/2017 (Brève 1087) Djibouti: Pékin mon amour… Un article bien documenté publié par Ecofin-Hebdomadaire (Signé Aaron Akinocho).

Lien avec l’article original : https://www.agenceecofin.com/la-une-de-lhebdo/2010-51375-djibouti-pekin-mon-amour

(Ecofin Hebdo) – En février dernier, la Chine inaugurait sa première base militaire en Afrique à Djibouti. L’opération a déclenché des protestations houleuses de la part des autres puissances présentes militairement dans le pays qui voyaient d’un mauvais oeil l’arrivée de ce concurrent. Qu’à cela ne tienne, les relations entre Pékin et Djibouti sont solides, tissées par des investissements massifs et le désir, pour le premier, de faire du second son hub sur un continent où son influence s’accroît de jour en jour. Pour Djibouti, l’allié chinois pourrait lui permettre le destin de petite puissance régionale à l’instar d’un Dubaï, dont il se rêve.

Djibouti. 113 000 km2, moins d’un million d’habitants. C’est dans ce petit pays à l’importance hautement stratégique que Pékin déploie des trésors de diplomatie économique. En effet, s’il existe à peine sur la carte du monde par l’importance de ses ressources, Djibouti a néanmoins un avantage certain sur beaucoup de pays. Situé au croisement du golfe d’Aden et de la mer rouge, et pas très loin du Bab-el-Mandeb qui voit passer 40% du trafic maritime mondial, il dispose d’un positionnement géographique présentant un intérêt précieux.

En outre, Djibouti joue la carte de sa grande stabilité dans une région marquée par les conflits et la montée du terrorisme. Alors que les shebabs sévissent chez le voisin somalien, la guerre au Yemen et la crise en Ethiopie, Djibouti est une oasis au milieu d’un désert. Et il est la porte d’accès naturelle vers une Ethiopie privée de façade maritime dont il reçoit 95% des importations.

Conscientes de son importance stratégique, la plupart des grandes puissances y ont installé des bases militaires qui assurent au pays une rente annuelle de l’ordre de 200 millions $. Dernière arrivée, la Chine, qui a annoncé la construction de sa base au début de l’année 2016 et l’a achevée, un an plus tard. Si la présence chinoise dérange ses nouveaux voisins, c’est d’abord en raison de l’offensive économique que l’empire du milieu a lancée sur le continent, et dont son implantation à Djibouti est symptomatique.

Si officiellement, cette première base militaire de l’empire du Milieu a pour but «d’effectuer des missions navales anti-piraterie au large de la Somalie et de fournir une assistance humanitaire», personne n’y croit réellement. Pas même le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh qui confie à Jeune Afrique que «Les Chinois, eux, veulent sécuriser à partir de ce hub stratégique la ‘‘nouvelle route de la soie‘’, leurs investissements massifs et leurs ressortissants dans toute la région, de l’Ouganda à l’Arabie saoudite en passant par l’Ethiopie». Mais qu’à cela ne tienne. La Chine est une bonne amie, et soigne ses relations avec Djibouti.

++ L’ami chinois
Fidèle à sa politique africaine d’investissements massifs pour sécuriser son approvisionnement en matières premières, l’empire du Milieu a fait de l’axe Addis Abeba – Djibouti, l’une de ses priorités. Ainsi, il n’a pas hésité, par le biais de sa banque d’export-import (Exim Bank of China), à financer à hauteur de 70% cette infrastructure d’un coût total de 3,4 milliards $. La ligne, longue de plus de 750 km, veut accélérer le trafic entre l’Ethiopie et sa façade maritime.

Dans cette optique déjà, la Chine avait, en 2013, fait son entrée au capital du Port Autonome International de Djibouti, par le biais de la China Merchants Holding International. L’aboutissement de cette collaboration sera la construction du port polyvalent de Doraleh qui relie l’Asie, l’Afrique et l’Europe.  Ce port qui peut traiter jusqu’à 9 millions de tonnes de marchandises, a coûté 590 millions $, financés à 85% par l’Exim Bank. 

Un peu plus tôt, cette année, la Chine a annoncé en grande pompe la construction à Djibouti de la plus grande zone franche du continent. 48 km2 pour héberger 500 entreprises chinoises, et créer de façon directe ou indirecte quelques 15 000 emplois pour un chiffre d’affaires annuel attendu de 7 milliards $.

Mais le secteur des infrastructures n’est pas le seul auquel se limitent les attentions chinoises. En effet, Djibouti, qui a déjà accueilli la Silk Road Bank, première banque chinoise à être implantée en Afrique, devrait également abriter l’Exim Bank.

Dans le secteur des télécoms, China Mobile International Ltd (CMI), filiale de China Mobile Ltd, a récemment annoncé qu’elle avait porté son choix sur Djibouti Data Center (DDC) pour l’accompagner dans l’extension de son réseau mondial de colocation et de câblage sous-marin en Afrique de l’Est. Concrètement, CMI associera ses ressources réseau et l’écosystème du centre de données neutre de DDC pour renforcer ses capacités réseau mondiales et répondre à la demande croissante en services télécoms de haute qualité formulée par le secteur panafricain des affaires.

En tout, entre 2012 et cette année, la Chine a injecté quelques 14 milliards $ dans la minuscule économie djiboutienne (1,8 milliards $ de PIB). Il n’en fallait pas plus pour que les autorités qui rêvent leur pays en Dubaï du continent, cèdent aux chants des sirènes chinoises. Et qu’importe si « l’ami français » essaie de le mettre en garde contre cette nouvelle alliance qui pourrait lui coûter sa souveraineté.

++ Ismaïl Omar Guelleh rêve son pays en Dubaï du continent.
Pour Djibouti, l’équation est simple et l’option chinoise faite. «Les Chinois sont par ailleurs les seuls à investir chez nous dans tous les domaines : chemin de fer, ports, banques, parcs industriels, etc. Les Français et les Européens sont largement aux abonnés absents. Quant aux Américains, qui ont manifesté leur intérêt pour le projet de pipeline Djibouti-Addis Abeba, leur objectif est de gagner beaucoup, vite et seuls : c’est compréhensible, mais plus compliqué que prévu pour eux. La réalité est que personne d’autre que les Chinois n’offre un partenariat à long terme à Djibouti.», affirmera d’ailleurs le président à l’hebdomadaire français.

Si tout est rose, la romance entre les deux parties ne suffit pas à réduire les risques, réels, auxquels s’expose l’économie de Djibouti. En effet, aujourd’hui, la Chine détient 60% de la dette extérieure du pays, et Ismaïl Omar Guelleh aura beau protester avec véhémence que son pays ne connaîtra pas, à terme, le destin d’une colonie, il est difficile de l’imaginer résistant aux pressions de l’allié chinois. Djibouti aurait-il signé un pacte avec le diable? Si c’est ce que s’époumonent les chancelleries occidentales à lui dire, elles oublient, souvent, hypocrites, que peu d’entre elles ont offert autant d’opportunités à ce petit pays.

Gageons qu’il existe en Afar ou en Issa l’équivalent du proverbe allemand : «qui veut dîner avec le diable, doit se munir d’une longue fourchette».

Aaron Akinocho