20/03/2020 (Brève 1569) Lettre ouverte d’Elisabeth Borrel après la condamnation de l’Etat français pour fautes lourdes dans l’instruction de l’assassinat de son mari, le juge Bernard Borrel

J’ai pris connaissance avec soulagement, lundi soir de la décision rendue par le tribunal judiciaire de Paris ayant condamné l’agent judiciaire du trésor pour fautes lourdes dans l’instruction criminelle concernant mon mari Bernard BORREL, magistrat comme moi, assassiné à Djibouti dans la nuit du 18 au 19 octobre 1995. Ces deux fautes sont d’une part le fait de ne pas avoir ordonné d’autopsie immédiatement alors que les circonstances et les causes de sa mort restaient indéterminées et qu’il aurait alors été possible de les connaître, et d’autre part le 04/12/2014, le fait d’avoir détruit les scellés essentiels, y compris un morceau du corps de mon mari, alors que certains magistrats instructeurs courageux, se donnaient depuis le 19/06/2000 les moyens d’établir la vérité.

Ainsi en n’appliquant pas la loi qui veut que lorsque les causes et les circonstances d’un décès restent indéterminées, une autopsie soit ordonnée, l’institution judiciaire a directement entravé  la justice. Elle a ainsi retardé l’instruction d’un dossier criminel et laissé courir les rumeurs les plus innommables sur la victime. Elle a aussi exposé la famille de celle-ci à l’insécurité totale de ceux qui portent l’action publique dans une affaire mettant en cause deux états et dans laquelle la FRANCE s’abrite derrière le secret défense, opposé depuis 2003 aux magistrats instructeurs. Puis une fois le crime établi, en détruisant les scellés essentiels de ce dossier criminel, elle a protégé les auteurs des faits, alors que l’impunité des auteurs de l’assassinat d’un magistrat, menace l’état de droit.

Ainsi depuis bientôt un quart de siècle, à la souffrance liée au choc de l’annonce « votre mari s’est suicidé par le feu au GHOUBET » et à la disparition brutale à 40 ans, dans ces circonstances, d’un fils, d’un mari et d’un père (nos enfants avaient 5 et 8 ans), s’est rajoutée l’insécurité de notre vie quotidienne, ponctuée par des menaces graves, allant des lettres anonymes aux colis dont l’un ayant nécessité l’évacuation du tribunal, infractions à notre domicile (cambriolage, dégradations) sans que jamais les auteurs ne soient inquiétés ou que les enquêtes n’aboutissent.

C’est ainsi que le magistrat que je suis encore a découvert que le secret défense inversait les valeurs, la victime devenant l’ennemi de l’état et des institutions et n’ayant plus accès à la protection de la loi et des institutions. Ce sont ces conséquences exceptionnelles que le jugement rendu a tenté de réparer.