25/11/2016 (Brève 868) Devenu « lantichambre de la Chine », Djibouti prend un sérieux « risque », selon son ministre des Affaires étrangères(Chemin d’Afrique – Blog sur L’OBS)
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Djibouti pensait assurer son développement et son indépendance en accueillant des contingents miliaires étrangers sur son territoire, contre dimportantes redevances. Cependant, la coopération stratégique sino-djiboutienne se renforçant, nombreux sont les partenaires historiques ou les prospects à se détourner du pays dIsmaïl Omar Guelleh, remettant en question la pertinence dy posséder une base armée. Explications.
Djibouti recherche investisseurs. Cest le message que veut aujourdhui envoyer la petite République de la Corne de l’Afrique, qui malgré sa croissance élevée (environ 7,4 % en 2016), peine à transformer lessai. Largement tributaire des rentes touchées en louant des parcelles de son territoire pour accueillir des garnisons étrangères (plus de 120 millions de dollars par an) et de la fonction publique, Djibouti narrive pas à construire un tissu économique viable : 79,4% des Djiboutiens vivent sous le seuil de pauvreté relative, et le chômage touche près de 50% de la population. Djibouti occupe le 164ème rang sur le plan du développement humain (IDH). En outre, lendettement de Djibouti sempire : il se situait à 65.8 % du PIB en 2015 et devrait atteindre 75.8 % en 2016, puis 79 % en 2017.
Sil doit largement son attrait stratégique à sa position géographique, Djibouti nest pas aidé par les troubles que traverse la région en particulier lEthiopie, son principal partenaire commercial, vers lequel sont dirigées 78,4 % de ses exportations. Aussi, linstabilité de son voisin a toute lattention de Djibouti, « qui sappuie clairement sur la dynamique de développement mise en place ces dix dernières années en Éthiopie ». Daprès le ministre des Affaires étrangères djiboutien Mahmoud Ali Youssouf, « toutes les infrastructures que nous construisons ont pour but de servir le marché éthiopien et le perdre serait une catastrophe pour notre économie. » Une vulnérabilité qui nest pas vue du meilleur il par nombre dinvestisseurs.
Afin de sortir de cette impasse, le pays cherche donc à attirer plus de capitaux étrangers. Seulement, ses choix politiques et stratégiques des dernières années sont loin davoir fait lunanimité. Historiquement très proche de lancienne métropole française, le pays lest aussi devenu des Etats-Unis et du Japon, qui y ont respectivement installé des bases en 2002 et 2010. Cependant, en acceptant limplantation dune importante base militaire chinoise (plus de 3000 soldats) sur son territoire, le président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh (IOG), a déséquilibré ces rapports. Le choix de commencer cette construction, en février dernier, à quelques kilomètres de la plus grande base américaine d’Afrique, y est certainement pour beaucoup.
La Chine avait grand intérêt à ce rapprochement. En effet, du fait de la piraterie dans le détroit du Bab el-Mandeb, depuis 2008, Pékin a déjà envoyé 60 navires dans le Golfe dAden afin descorter ses navires commerciaux. Nayant pas de base logistique à proximité, larmée chinoise rencontrait des difficultés pour les réapprovisionner. Avoir un pied-à-terre sur le continent, à proximité de lun des principaux lieux de passages du commerce maritime mondial, représente une aubaine pour Pékin. Et ce dautant que le déploiement de bases à l’étranger constitue une priorité de la nouvelle politique étrangère chinoise, instituée par la président Xi Jinping. Une collaboration quil compte solidifier par des engagements économiques de nature à faire de Djibouti l« antichambre de la Chine ».
Pour Djibouti, les avantages sont plus discutables. Certes, il y a les retombées économiques de ce nouveau bail de dix ans : Pékin paie annuellement 20 millions de dollars. A cela il faut ajouter les retombées indirectes de cet accord. On sait notamment que la base militaire sera doublée dune zone franche de 48 km² et dune plate-forme géante de transbordement de conteneurs. Elle garantit donc une quantité significative dinvestissements réalisés par les entreprises chinoises, mais aussi djiboutiennes, grâce à des prêteurs chinois pas toujours très regardants en matière de conduite morale du régime djiboutien et de viabilité des projets. En contrepartie, leurs conditions sont souvent beaucoup moins arrangeantes que celles de la Banque Mondiale ou la Banque Africaine pour le Développement, qui mettait en garde contre « des projets dinfrastructures et leur entretien [qui] vont alourdir les charges fixes dans le budget de lÉtat ».
Sans autre richesse à monnayer que sa situation, pour Djibouti, le risque de surendettement est bien réel. La cité-Etat pourrait finir par se brader à ses créanciers, prise à la gorge par ses dettes. De cette façon, China Merchants Holdings International est déjà entrée dans le capital du port de Djibouti en acquérant 23,5 % de ses parts. Plus globalement, le rapprochement sino-djiboutien, fusionnel, ébranle léquilibre fragile établi entre le pays de Guelleh et ses autres partenaires, de plus en plus nombreux à envisager un désengagement du pays.
La Chine promet bien sûr de compenser ces pertes. Elle se fait rassurante, et explique quil sagit du début dun partenariat durable, car Djibouti est une étape obligée de la Chine dans sa fameuse « nouvelle route de la soie ». Face à la défiance de ses anciens alliés, Djibouti choisit opte pour une certaine forme de provoque, assurant que, de toute façon, seules les banques chinoises lui prêtent assez de fonds pour ses projets. « Nous navons pas tendu la main au diable mais saisi une opportunité. Nous navions pas dautres alternatives. Qui peut aujourdhui dépenser des centaines de millions de dollars pour construire un train, des ports, si ce nest la Chine ? Qui ne risque rien na rien », a récemment confié Mahmoud Ali Youssouf à Jeune Afrique. Reconnaissant, en creux, quun risque réel existait.