13/02/2016 (Brève 666) MMA/A Djibouti, la France na pas été à la hauteur (Sous la signature de Francis Sahelr)
Said Houssein Robleh, jeune député djiboutien, a été blessé par balle, le 21 décembre 2015, lors dune manifestation de lopposition. Entretien
Serge Mucetti a quitté le 31 décembre 2015 son poste dambassadeur de France à Djibouti, laissant derrière lui un souvenir amer. Il aura, pour les Djiboutiens, totalement raté sa sortie à travers une gestion peu courageuse des suites de la répression dune manifestation pacifique de lopposition qui sest soldée par au moins 27 morts, près dune centaine de blessés et des dizaines darrestations (1).
Asile impossible
Le jeune député dopposition Said Houssein Robled ne comprend toujours pas pourquoi lancien ambassadeur de France à Djibouti sur le départ a déchiré sa demande dasile politique en France.
« Il ne ma même pas dit que la demande allait être examinée, affirme le député présent en France pour des soins. Pour moi, la France na pas du tout été à la hauteur à Djibouti ».
Sappuyant sur un vidéo-amateur, le député a montré récemment dans les locaux dAmnesty international à Paris la charge le 21 décembre 2015 des forces de lordre djiboutiennes contre la réunion pacifique des opposants dans un domicile privé.
On y voit des policiers tirer des gaz lacrymogènes puis faire feu avec des balles réelles à bout portant à plusieurs reprises. Faute dinfrastructures de qualité dans le pays, les blessés ont été transportés à lhôpital médico-chirurgical Bouffard appartenant aux forces françaises de Djibouti.
Des blessés sans soins
« Au su et au vu des autorités françaises, la gendarmerie djiboutienne a installé un barrage devant lhôpital Bouffard. Des blessés étaient empêchés dy accéder tandis que dautres qui sortaient étaient immédiatement arrêtes » a raconté le député qui devait se rendre à Bruxelles après Paris.
« Cest le cas, a-t-il ajouté, du secrétaire général de lUnion pour le salut national (USN, coalition de lopposition) Abdourahamane Mohamed Guelleh arrêté à sa sortie de Bouffard malgré une grave par balle et incarcéré depuis lors à la prison centrale de Gabode, sans soins appropriés ».
Il aura finalement fallu attendre le départ de Mucetti et larrivée début janvier du nouvel ambassadeur de France à Djibouti Christophe Guilhou pour que la France affiche un semblant de fermeté envers le pouvoir du président Guelleh.
Complaisances françaises
« Après mon opération chirurgicale, jai essayé de revenir à Bouffard. Mais laccès à lhôpital ma été refusé. Il ma fallu attendre le 5 janvier 2015, soit cinq jours après le départ de lambassadeur français Serge Mucetti et larrivée de son remplaçant pour que je puisse revoir mon chirurgien à Bouffard », sest indigné le député.
Pour lui, le changement dambassadeur à Djibouti ne va pas forcément se traduire par une nouvelle politique de la France dans ce petit Etat de la Corne de lAfrique peuplé de 700.000 habitants et indépendant depuis 1977.
« Larrivée du remplaçant de Mucetti sest vite ressentie à travers lamélioration de laccès à Bouffard, a expliqué le jeune député djiboutien. Mais sur le long terme, je ne suis pas sûr que changement dambassadeur rimera avec changement de politique ».
A Djibouti, lenjeu pour la France nest ni la promotion des droits de lhomme et de la démocratie, encore moins lalternance pour trouver un successeur à Ismaël Omar Guelleh au pouvoir depuis 1999. La seule chose qui compte pour Paris, cest le maintien sur place de sa base militaire, la plus grande à lextérieur avec près de 1700 hommes.
Au nom de cette rente géostratégique, Paris na pas hésité à traîner les pieds dans lenquête sur les circonstances exactes de la mort du juge Barnard Borrel en octobre 1995 à Djibouti.
Graves tensions pré-électorales
La manifestation du 21 décembre 2015 nest quune facette des convulsions politiques qui secouent le pays à quelques semaines de la présidentielle prévue en avril 2016 et à laquelle Omar Guelleh devrait se présenter pour solliciter un quatrième mandat.
Regroupée au sein dune coalition dénommée USN, lopposition a décidé daller au scrutin sous certaines conditions, notamment la libération de tous les prisonniers politiques et la création dune commission électorale nationale indépendante (CENI).
Rien nindique aujourdhui que le pouvoir accédera à ces demandes. Le scepticisme est alimenté par le refus du pouvoir de mettre en uvre plusieurs points de laccord déjà signé avec lopposition en décembre 2014 afin de sortir le pays de la crise qui a suivi les législatives de 2013. Alors que les dix députés de lUSN ont repris le chemin de lAssemblée nationale, le président Guelleh na ni procédé à la création de la CENI, ni même à ladoption du statut de lopposition.
Toutefois, labsence dune solution politique pourrait cette fois-ci conforter les partisans de loption militaire, soutenue principalement par le Front pour la restauration de lunité et de la démocratie à Djibouti (FRUD).
Selon une bonne source, les affrontements armés entre rebelles et forces de défense et de sécurité djiboutiennes se sont intensifiés ces dernières semaines. Signe de cette recrudescence de la lutte armée, le FRUD a attaqué la semaine dernière la localité de Lac Assal, à seulement 55 km de Djibouti-ville.
Il faut donc craindre que la répression du président Guelleh et la complaisance de la France et du reste de la communauté internationale ne basculent Djibouti dans la guerre civile, à limage de celle que le pays a connue au début des années 1990.
(1) Il demeure un mystère autour du cas de lambassadeur Serge Muceti. La plupart des opposants dénoncent sa complaisance envers le régime de Djibouti. Pourtant ce diplomate a du quitter ses fonctions précipitamment à la demande expresse des autorités de ce pays, une demande que le quai dOrsay a jugée fondée.