12/05/2000 – LDDH : QUELLE ANALYSE PEUT-ON TIRER DE L’ACCORD CADRE ?

LIGUE DJIBOUTlENNE DES DROITS HUMAINS
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Note d’information N°7/LDDH/2000

QUELLE ANALYSE PEUT-ON TIRER DE L’ACCORD CADRE ?

I- INTRODUCTION

L’accord-cadre du 7 février 2000 signé entre le FRUD et le Gouvernement de Djibouti stipule explicitement dans son article trois relatifs à la démocratie :

 » Qu’il n’y a pas de république viable sans démocratie, ni démocratie sans équilibre des pouvoirs, pluralité de l’opinion, liberté d’en faire état et droit d’agir pour les faire valoir « .

Cet article bien que  » transcris  » généralement dans les dispositions constitutionnelles de 1992 mérite d’être discuté à mains égards car il reflète, au fond, l’état de fonctionnement de nos institutions, l’exigence de l’application de la loi fondamentale garantissant entre autres la Séparation des Pouvoirs, et en particulier l’indépendance d’une Justice réellement déconnectée du Joug de l’Exécutif. Or, dans la pratique, le résultat escompté est loin d’être atteint si l’on se réfère à la litanie des abus perpétrés encore par le système politico-judiciare inhérents au non-respect de la dite disposition :
Il est source des difficultés auxquelles est confronté aujourd’hui le pays. Crise multiforme : institutionnelle politique, économique et sociale.

II- DU PRÉAMBULE

Au vu des paragraphes 6 et 7 on constaterait qu’il s’agit là de la principale argumentation qui pose une fine analyse politique pour deux raisons :
1) Le pouvoir issu de l’élection Présidentielle du 9 avril dernier reconnaît tacitement et sans détour que pendant les 22 ans précédents, le peuple de Djibouti a souffert et a fait d’énormes sacrifices. Ce qui revient à dire qu’il s’agissait d’un régime du type dictatorial.
2) En contrepartie, le FRUD dirigé par le Président Ahmed Dini Ahmed reconnaît le pouvoir en place issu de la dernière élection présidentielle du 9 avril 1999.

Partant de là, cette reconnaissance mutuelle bien que relativement différente dans son appréciation et dans sa portée politique devient la base de départ pour la restauration de la Paix civile et de la concorde nationale dans un pays démocratique, respectant la dignité de la personne humaine, et garantissant l’épanouissement de l’Homme, fondement de tout progrès économique et social par :
· La réforme des institutions de l’État
· Une gestion saine des affaires publiques
· Une transparence dans les actions de l’État

DES POINTS OBJETS DE L’ACCORD CADRE

Ils portent essentiellement sur 2 (deux) volets :
1) Le volet militaire
2) Le volet institutionnel

LE VOLET MILITAIRE

Portant sur l’arrêt des hostilités, il pose les conditions indispensables à un retour à la paix civile et à la libre circulation des biens et des personnes. La garantie sécuritaire adossée à l’indemnisation des victimes du conflit, à la réparation des préjudices causés par la guerre, et enfin à l’insertion professionnelle des combattants armés ou civils.

III- LE VOLET INSTITUTIONNEL

Ce volet dont le socle est la mise en place une Démocratie effective, laquelle trouve sa pérennité dans l’équilibre des pouvoirs, à la pluralité de l’opinion, etc…, nécessite, bien entendu des réformes institutionnelles. Ces réformes tout en réaménageant les grands équilibres démocratiques doivent dégager et garantir une véritable décentralisation donnant aux régions une large autonomie et une participation active et responsable au développement de la Nation. De plus tout développement repose sur la transparence dans les actions de l’État et notamment la gestion saine des affaires publiques d’où un contrôle en amont comme en aval fait par une Cour des Comptes à mettre en place (du moins à mettre en application).

Les obstructions et autres entraves diligentées par le pouvoir en place contre les organisations politiques et organisations syndicales ont toujours constitué une entorse au  » processus démocratique « . Une constante de ces pratiques demeure être l’inéligibilité qui frappe encore sur le plan politique, les leaders de l’Opposition et au grand dam de l’Indépendance de la Justice et ce en dépit de la liberté d’expression, d’entreprise, d’association, le droit de grève etc…

L’instauration d’une Justice impartiale et indépendante désintéressée de  » toutes influences extérieures  » et veillant à l’application stricto sensu des lois et règlements en vigueur permettra, de baliser sans équivoque à ces méandres politico-judiciare frappant encore les citoyens et les hommes politiques dans l’exercice de leur citoyenneté pleinement consentie.

Aussi l’évocation de la problématique par les deux parties suppose déjà une prise de conscience et une responsabilité engagée. Par conséquent, elle doit et elle ouvre une perspective nouvelle et courageuse pour la Nation tout entière.

IV- UN RÉSUME DES ARTICLES DE L’ACCORD CADRE

Article 1er :
Toutes les victimes du conflit doivent bénéficier des réparations et des indemnisations dans les mêmes conditions.

Article 2 : Autonomie régionale
Les diverses régions bénéficieront d’une large autonomie par la réforme instituant une véritable décentralisation.

Article 3 : Réforme démocratique
1) Réaménagement de grands équilibres démocratiques par des dispositions légales et un multipartisme plus satisfaisant sont conditionnés par des libertés d’associations, d’opinion, d’expression, de réunion, de presse.
2) Limite chaque pouvoir, dans l’exercice de ses fonctions par des institutions démocratiques républicaines qui résultent d’un véritable consensus national fondé sur l’équité d’un équilibre national.

Article 4 :
Mettre fin à l’opacité de la gestion des deniers publics : lutter contre la corruption généralisée par la mise en place d’une cour de comptes.

Article 5 :
Nécessité de mettre en place une paix civile et la sécurité par :
– Mise en place des réformes garantissant la cohésion nationale et la préservation du patrimoine nationale commun.
– Réintégration des militaires dans leurs positions postérieures au conflit.
– Suspension des hostilités
– Libération mutuelle des prisonniers des deux camps ;

– Réintégration de tous les membres du FRUD dans leur fonction occupée avant la guerre.

Article 6 :
Application honnête, intégrale et conjointe du contenu de toutes autres mesures entreprises ou en rapport avec ses objectifs.

Questions subsidiaires

Actuellement, on peut considérer que ces deux points sont résolus à savoir : la suspension des hostilités et la libération des prisonniers civils et militaires par les deux parties.

Au vu de cet accord cadre, les cinq premiers articles fixent les grandes orientations des discussions et des négociations. Mais la question fondamentale, que l’on est en droit de se poser est :  » est-ce que le Gouvernement et le FRUD mèneront à eux deux et à huis clos toutes le négociations et décideront seuls des réformes et de la gestion de la chose publique ?  »

Est-ce que les négociations seront des négociations à deux avec tous les risques du dialogue, au lieu des négociations globales ?

Il est facile de comprendre que dans une première phase, des négociations préalables, afin d’approfondir des points spécifiques, se déroulent uniquement entre le FRUD et le Gouvernement, mais, il serait difficile de comprendre que l’ensemble de l’opposition djiboutienne qui n’a pas pris les armes soit écarté des discussions, il serait aussi difficile de comprendre sur l’ensemble des négociations se passent à huis clos sans transparence aucune et débouche sur des décisions brutales et finales.

V- COMMENT SE DÉROULENT LES NÉGOCIATIONS DEPUIS LE RETOUR d’Ahmed Dini ?

1) Faits positifs

a) Présentation des condoléances au président de la République lors du décès de son père par une délégation unifiée de toute l’opposition djiboutienne conduite par le président Ahmed Dini.
b) Début des négociations par la rencontre de deux commissions Ad Hoc pour la désignation de 4 commissions co-présidées.
c) Répartition de différents points de l’accord entre les 4 commissions désignées et début de travaux.

2) Les observations

a) Pour le choix du président de la délégation gouvernementale, il serait plus souhaitable que la conduite des négociations soit confiée du côté gouvernemental, à  » la primauté  » entourée de certains ministres et des techniciens en charge des dossiers. A cet égard, la présence des députés, en particulier celle d’un président de l’Assemblée Nationale (lors des  » négociations  » de 1994) et actuellement du président de la commission permanente de l’Assemblée Nationale est inadmissible et contraire à l’article 20 de la Constitution sur la Séparation des Pouvoirs (il ne faut pas confondre le Gouvernement et l’Assemblée Nationale et plus exactement le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif).
b) Lors des déclarations successives des chefs des délégations, il est à noter, malheureusement l’emploi des termes dévalorisants, par le chef de la délégation gouvernementale (dans le journal télévisé en langue somali).
c) Partialité de l’organe officiel de la presse écrite : le Journal  » La Nation  » qui n’a pas, jusqu’à présent, publié le droit de réponse de l’autre partie, en l’occurrence celui du président de la délégation du FRUD.
d) Sur la disparité des libérations des prisonniers politiques la LDDH n’avait pas manqué de dénoncer les risques de dérapage et de faire des propositions concrètes, notamment la révision des procès.

VI- CONCLUSION GENERALE

La ligue djiboutienne des Droits Humains est convaincue de la nécessité d’une paix globale qui s’ouvre avec des accords entérinés par les signataires du Document Cadre et veillera scrupuleusement aux modalités d’application des dispositions prises en vue d’accompagner la fin de l’état de belligérance et le retour à la cohésion et la concorde civile.

La LDDH est consciente et soucieuse des difficultés et des embûches qui peuvent à chaque fois surgir. La Ligue déclare qu’à chaque fois, dans la mesure de ses moyens, elle sera toujours présente pour accompagner la Paix tant espérée.

La LDDH demande au Gouvernement de faire plus d’efforts durant les négociations vers une politique d’ouverture démocratique et surtout vers la réalité d’une Justice indépendante.