23/02/02 NOUS SOMMES TOUS RESPONSABLES ! (Lecteur)

Les années
passent et n’arrêtent pas de donner raison aux détracteurs
de cette façon typiquement djiboutienne de faire de la
politique. Cette politique d’accaparement et d’utilisation du
pouvoir au profit d’intérêts particuliers, cette
politique de confusion et d’hémorragie des caisses publiques
vers les comptes privées, cette politique de la médiocrité
et du nivellement par le bas, cette politique sans grand dessein
nationale. On a beau vouloir trouver des boucs émissaires,
d’aborder la question sous divers angles, on n’en arrive pas
moins à la conclusion que la source de nos malheurs se
confond dans une sorte de responsabilité diffuse entre
nos hommes politiques et les mauvais citoyens que nous sommes.

C’est vrai
qu’il est de bon goût et surtout aisé de mettre
tout sur le dos des politiciens véreux et corrompus.
Ne pourrions nous pas dire qu’ils sont, après tous, le
reflet de notre propre image. Ils ne viennent pas d’une autre
planète. Nous avons souvent vécu dans les mêmes
quartiers qu’eux, nous nous sommes souvent assis sur les mêmes
bancs d’école qu’eux. Ils sont nous et nous sommes eux.
Certes, leur responsabilité est grande. Elle est d’autant
plus grande et encore plus inexcusable qu’ils ont choisi de
servir la collectivité en vertu d’un mandat, d’un pacte
de confiance qu’ils n’ont pas hésité à
violer allègrement et dans l’impunité la plus
totale.

A qui
la faute ?

Peut être
à notre passivité coupable et certainement à
notre faiblesse d’âme et de caractère face à
la compromission et aux avantages faciles tirés par certains.
Au fil des années, la démission s’est mue en un
réflexe de survie pour ne pas dire en une règle
de vie et quant à la résistance, elle est devenue
l’apanage des inconscients et des fous. Ceux qui presque volontairement
se mettent en marge de la société. Ils sont montrés
du doigt. On s’apitoie sur leur sort en chuchotant avec un air
condescendant "quel inconscient. " Ce n’est certainement
pas un DAF qui viendrait me contredire !

Quant à
notre responsabilité en tant que citoyen et en tant que
membre de la société civile, elle est aussi grande
et restera à jamais grevée d’une lourde dette
vis-à-vis des générations futures.

Comment
pourrions expliquer à nos enfants et arrière enfants
le gâchis et l’état de faillite de leur pays ?

Au lieu
de leur laisser une richesse dont ils seront fiers, nous leur
léguons une succession minée par les dettes, un
patrimoine friable et rongée de l’intérieur tel
une habitation par les termites. En somme, nous avons laissé
hypothéquer leur avenir sans dire un mot et sans lever
le moindre petit doigt pour dire stop.

Nous avons
failli en tant que citoyen, failli en tant membre de la société
civile, failli en tant que parents, failli sur toute la ligne.

Non, il
ne faudra pas avoir peur des mots. Nous nous sommes comportés
comme des citoyens et comme des parents hypnotisés, dont
le discernement et la vigilance ont été anesthésiés
par des psychotropes ou tout autre matière de ce genre.

Vous
me direz que le mot est lâché. Oui, nous sommes
un "pays drogué" dont le principal dealer est
l’État ou du moins le régime qui le sert.

Oui, notre
horizon est obstrué par cette herbe qui nous rend euphorique
le temps d’une séance de khat et par la suite "zombifié"
en attendant la prochaine livraison.

Oui, on
broute des heures durant. Pendant ce temps, les murs se fissurent

autour de nous, la barque prend l’eau de partout, nos enfants
se noient, notre avenir se rétrécie. . . . et
on continue à brouter passif, oisif sans espoir et sans
grande ambition pour le lendemain.

Quels mots
trouver pour expliquer aux générations futures
que nous sommes entrain d’ entamer leur avenir en reculant ;
qu’à l’inverse de ce qui se passe dans les reste du monde,
ils vont certainement vivre beaucoup moins bien que leurs parents
et peut être encore moins bien que leur grands parents
?

Je ne pense
pas qu’ils seraient en mesure de comprendre cet anachronisme
et cette marche en reculant vers le progrès. Et, ils
auront raison.

Comment
leur expliquer que nous avons contribué à les
enferrer dans une voie sans issue et à faire d’eux des
assistés ad vitam æternam ?

Pourquoi
continueront ils à croire en un pays, une classe politique
et même une famille qui ne leur offre comme horizon que
misère et asservissement. Après tout, ils auront
peut être raison de partir, d’aller là où
l’herbe sera plus grasse, là où leur dignité
sera préservée et là où ils auront
foi en l’avenir.

Comment
leur dire soyez fiers de votre pays, de ses réalisations
et de ses "grands hommes". Ils n’auront ni un Gandhi,
ni un Mandela pour en être fier. Ils n’auront que de piètres
références. D’abord, un Gouled sans grande conviction
et sans grand talent – quinze années de pouvoir et un
triste héritage – et aujourd’hui, un Ismail Omar Guelleh,
qui lui excelle dans un tout autre art que vous n’aurez pas
grande peine à deviner.

De grâce,
un sursaut et une ultime mobilisation pour rejoindre les grands
peuples de ce monde.
Ces
peuples qui ont su prendre leur destin en main.

Ces peuples
qui lèguent à leurs générations
futures des raisons d’être fier de ce qu’ils sont et fiers
d’être là où ils sont.