16/11/02 (B172) A lire sur Afrique-Asie un excellent article sur la dégradation de la situation de Djibouti, qui pose la vraie question : quelle est la pérennité du régime ?

Le
président Guelleh n’a jamais fait de son pays qu’un Etat quasi féodal,
vassal des grandes puissances gouverné à coup de répression.
En butte à des difficultés croissantes tant à l’extérieur
qu’à l’intérieur, combien de temps ce régime va-t-il
durer ?

Lien avec l’article
:

Un Etat
en déliquescence

PAR HAMESSO BORODA

« Pas de rébellion,
multipartisme et réformes institutionnelles garantis, excellentes relations
avec la France, rien à faire dans l’assassinat du juge Borel, les droits
de l’homme respectés, plus de femmes violées par des soldats »
,
etc.

Ecouter le président
de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh, faire son propre éloge au cours
d’une conférence de presse, le 3 octobre à Paris, devant une
audience minuscule, est une expérience rare.

Entouré de ses hommes de presse affidés, qui manifestaient leur
loyauté par des sourires et des mouvements de tête admiratifs,
le Président a refusé de répondre clairement à
des questions pointues – au sujet, par exemple, de son rôle présumé
dans l’assassinat du juge Borel, un « coopérant » à
Djibouti, en octobre 1995, ou encore au sujet des accusations fondées
sur des faits précis portées par des femmes djiboutiennes violées
par des soldats. Il a coupé court à la conférence avant
que les questions ne le dérangent trop.

Mais tout ne va pas bien
à Djibouti même si, cette fois, Guelleh a été reçu
par le Président français et le Premier ministre (il a été
ignoré au temps de Lionel Jospin) et a été décoré
de la Légion d’honneur (« Légion du déshonneur »,
ont dit certains Djiboutiens). Guelleh était venu pour soutirer le
maximum de concessions à la France après avoir demandé
à son bon ami, le journaliste de l’AFP à Djibouti, des papiers
de complaisance au sujet d’investissements américains, allemands et
autres à Djibouti.
Disons d’ailleurs que les Français n’ont
jamais manifesté de troubles particuliers à l’annonce d’autres
prétendants, et n’ont pas pour autant mis la main à la poche,
comme le demandait Guelleh. L’accord de défense entre les deux pays
n’a pas non plus été révisé (la France maintient
quelque trois mille soldats de la Légion étrangère sur
le sol de Djibouti) en dépit de la présence de huit cents hommes
de troupe américains et de mille huit cents soldats et marins allemands.

Quelque peu tenu à
l’écart, Guelleh essaie de jouer une nouvelle carte, cherchant à
tirer parti des attentats du 11 septembre et de la présence du réseau
Al-Qaïda dans la région. Sous le prétexte de la lutte contre
le terrorisme, des troupes américaines et allemandes ainsi que quelques
Italiens et Espagnols ont été stationnés à Djibouti,
et Washington construit un aéroport et une base près du port
de la capitale. L’espoir de voir la présence de troupes étrangères
apporter plus d’argent ne s’est pas, jusqu’à présent, concrétisé,
bien que certains hauts fonctionnaires, comme Elmi Obsieh Wais et Abdurahman
Boreh, aient su en tirer des bénéfices. L’alliance de Djibouti
avec les Etats-Unis, donc contre l’Irak, ne peut que causer de graves problèmes,
dans un avenir proche, à cette petite République de sept cent
mille habitants – en majorité Afars et Issas.

Et Guelleh a plus de problèmes
qu’il ne peut en résoudre. La signature, en mai 2001, d’un accord de
paix avec le Frud, dirigé par Ahmed Dini, n’a abouti à rien.
Les réformes institutionnelles promises par l’accord ne se sont pas
matérialisées et Guelleh, renforcé par son alliance avec
Washington, est retourné à ses pratiques politiques habituelles,
fondées sur la répression et le clanisme. La prétendue
base sociale de Guelleh chez les Issas s’est trouvée réduite
par une série de problèmes politiques. La mort en prison du
chef de la police, le général Yassin Yabé, le 19 juillet
2002, a aliéné le sous-clan des Issas, les Fourlabas, auquel
appartenait le général. Les fonctionnaires doivent supporter
de longs retards dans le versement des salaires. Récemment, la garde
présidentielle a tout simplement tué trois soldats qui, mutilés
au cours de la guerre contre le Frud, manifestaient pour recevoir de meilleurs
soins, ce qui a aliéné toute une partie de l’armée. En
dépit des allégations de Guelleh, la rébellion n’est
pas terminée, une section du Frud maintenant toujours des groupes armés
au nord et au sud-ouest du pays. De surcroît, l’opposition, lors d’une
conférence à Bruxelles en juillet 2002, se positionne en faveur
d’une réelle alternative pour Djibouti.

Omar Guelleh risque encore
plus : l’ancien commandant de la garde présidentielle, Iftin, qui a
fui en Belgique, l’accuse d’être impliqué dans le meurtre du
juge Borel (accusation validée par certains membres des renseignements
français), et d’avoir envoyé des armes et des hommes dans la
région afar en Ethiopie pour provoquer des troubles et déstabiliser
le Somaliland. Iftin, tout comme Omar Guelleh, étant un Mamassan (sous-clan
des Issas), ses accusations ont du poids et vont sans doute peser contre Guelleh
aux yeux de l’Union européenne. En outre, les relations de Djibouti
avec ses grands voisins se sont dégradées. L’Ethiopie l’accuse
de servir de site de lancement de missiles (dont un a récemment détruit
l’hôtel Tigrai à Addis-Abeba), et de base aux guérillas
armées déterminées à renverser Meles Zenawi. De
son côté, le Somaliland accuse Guelleh d’essayer de le déstabiliser,
ainsi que le reste de la Somalie. Tout cela ne promet rien de bon pour l’avenir
du régime de Guelleh.

Le « dossier »
distribué au cours de la conférence de presse parisienne de
Guelleh donne une image positive de l’économie de services pourtant
bien chaotique, de Djibouti, pays pauvre qui a désespérément
besoin d’argent et d’investissements. Au niveau politique, l’annonce faite
le 4 septembre de l’instauration du multipartisme a déjà perdu
toute valeur, tout le monde voyant dans les élections législatives
à venir une farce organisée par une commission électorale
contrôlée par le gouvernement avec pour but de réinvestir
le parti au pouvoir, le Rassemblement populaire pour le progrès.

Certes, Djibouti a trouvé
une importance stratégique nouvelle dans le contexte d’une guerre contre
Al-Qaïda, mais ce n’est en rien pour Guelleh une protection contre ses
ennemis internes et externes, comme l’Ethiopie ou l’Irak, qui veulent sa démission.
Encore une fois, Guelleh a raté l’occasion de mettre fin au règne
des clans et à la domination des puissances étrangères,
laissant passer une chance de ramener la paix dans un pays en plein désordre.
Légion d’honneur ou pas, les résultats de son règne sont
pitoyables et il ne lèguera à son pays que le souvenir d’un
chef de mercenaires dans un port de garnison.

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Note de l’ARDHD

Que la revue Afrique-Asie
et le signataire de cet article précis et fort bien documenté
nous pardonnent d’avoir diffusé l’intégralité du texte. (Nous les remercions à l’avance de leur compréhension.
Nous avons essayé d’en sélectionner des extraits, mais il est
si dense que cela aurait fait perdre des informations importantes.

De plus nous avons toutes
les raison d’imaginer (conformément aux habitudes locales) que la revue sera censurée à Djibouti
et qu’elle n’y sera pas diffusée. Il aurait été dommage
d’en priver les Djiboutiens, qui auront au moins un réconfort : celui
de savoir qu’ils ne sont pas oubliés avec leurs malheurs et que l’image
de Guelleh se dégrade de façon exponentielle … dans l’opinion
publique internationale.

Nous renouvelons tous nos compliments à l’auteur de cet article.