11/01/03 (B180)A Djibouti, les premières élections réellement multipartites ont eu lieu dans le calme.(le Journal Le Monde – Edition du 12/01/03 )

L’instant d’avant, il
n’y avait qu’une scène banale de quartier pauvre au cour de l’après-midi
djiboutien, à l’heure où la chaleur étouffe jusqu’aux
velléités de disputes. Des passants, quelques attroupements
d’hommes bavardant à l’ombre, mais aussi le silence inhabituel de la
grand route au bitume ravagé qui monte vers l’Ethiopie.

Vendredi 10 janvier, les
frontières terrestres de cet petit Etat de 23 200 km2 sont restées
fermées, simple mesure destinée à protéger le
calme d’élections législatives historiques, les premières
vraiment multipartistes depuis l’indépendance en 1977.

Les huit partis
en présence sont regroupés en deux coalitions.

BREF AFFRONTEMENT

A Balbala, illusion de
quartier en baraques de tôle, aux marges de la ville, où s’entassent
dans une misère commune les pauvres djiboutiens ou somaliens, les sympathies
sont acquises à la coalition de l’opposition, l’Union pour l’alternance
démocratique (UAD), emmenée par Ahmed Dini, vétéran
de la politique djiboutienne, ancien chef de la rébellion armée
et actuel chef de l’opposition, contre l’Union pour la majorité présidentielle
(UMP) du chef de l’Etat, Ismaïl Omar Guelleh.

Aussi, lorsqu’Amin Daher
Hassan, au milieu d’un groupe d’hommes attablés à une buvette,
se met à défendre l’UMP à voix trop haute, la tension
monte : « Pourquoi voulez-vous voter pour l’opposition ? La France a donné
de l’argent, et les fonctionnaires ont touché deux mois d’arriérés
de salaire. Les Américains ont installé une base et ils vont
embaucher des Djiboutiens. Le pays va démarrer. Le parti au pouvoir
a mis vingt ans pour en arriver là.

Les politiciens de l’opposition
vont tout détruire. » Les militants des deux groupes s’empoignent
presque aussitôt et échangent des coups. Les pierres volent,
évitant les têtes de justesse, avant de frapper la tôle
des maisons avec un bruit sourd. L’affrontement est bref mais révélateur
de l’intensité du débat.

Pour la première
fois dans l’histoire du pays, des élections ont permis à l’opposition
de remettre en cause, publiquement, la gestion clientéliste du pouvoir
et l’opacité de ses comptes. Depuis l’indépendance, sous des
noms variables, c’est la même formation politique qui est au pouvoir.

Le multipartisme a bien
commencé à être instauré en 1992 mais avec des
réserves limitant le nombre des partis à quatre pour une durée
de dix ans. Un multipartisme bien édulcoré puisqu’au terme des
élections législatives de 1997, la coalition au pouvoir, avait
raflé tous les sièges. Depuis, les partis politiques ont éclaté,
les plus radicaux produisant des clones attirés dans l’orbite du pouvoir.
Le « multipartisme intégral » ne sera instauré qu’en
septembre 2002.

Accaparé par cette
stratégie d’engluage, le pouvoir en place a-t-il mesuré l’accablement
des quartiers populaires, exclus du système de redistribution du régime
? Pendant la campagne électorale, des dignitaires, arrivant en 4X4,
ont été accueillis par des jets de pierre. Dans le centre ville
décrépit, où les murs cloquent sous l’effet de la chaleur
et de l’humidité, Sabri Fami Abdallah, vendeur à la sauvette
de cartes postales touristiques dans un pays sans touristes, résume
le sentiment général : « Tous les jeunes sont pour l’opposition,
sauf les richards.

La raison est simple.
On arrête l’école en sixième, faute d’argent, et ensuite,
il n’y a que le chômage. Nous voyons les politiciens se faire construire
des palais qui n’ont même pas de route pour y arriver, et nous n’avons
rien. » Sabri Fami Abdallah, cependant ne votera pas. Comme beaucoup d’autres,
il n’a pas pu obtenir sa carte électorale.

Vendredi 10 janvier, on
a cependant voté dans le calme à Djibouti, sans incidents sérieux
ni fraude massive, comme l’a reconnu l’opposition en début de soirée.

Jean-Philippe
Rémy

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Premiers résultats
provisoires

Selon les premiers résultats
provisoires publiés samedi matin 11 janvier par le ministère
de l’intérieur, les partis de la mouvance présidentielle rafleraient
les 37 sièges de Djibouti-ville où réside la moitié
de la population du pays.

Ils sont donc d’ores et
déjà assurés de conserver le contrôle de l’Assemblée
nationale qui compte 65 sièges. Le mode de scrutin retenu (majoritaire
à un tour) explique ce raz-de-marée alors que l’opposition peut
d’ores et déjà se prévaloir de 45 % des suffrages dans
la capitale (contre 55 % pour le pouvoir), avec une participation de 50 %.

Le cas de Djibouti risque
de se répéter dans les quatre autres circonscriptions du pays
au vu des premieres tendances, et conduire à une Assemblée nationale
où, comme dans la précédente, l’opposition serait totalement
absente. Une élection présidentielle doit avoir lieu en juillet
2005.

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Un avant-poste de la
France

Depuis longtemps, Djibouti
s’est habituée à son particularisme de petit pays à grande
valeur stratégique ajoutée. Installé sur le Bab El Mandeb,
face au Yémen, ce détroit qui commande l’accès à
la mer Rouge et au canal de Suez, l’une des voies maritimes les plus fréquentées
du monde, Djibouti est aussi un avant poste de la France, qui en a fait à
la fois son porte-avions, avec sa plus importante base militaire à
l’étranger, et son bac à sable pour y entraîner les troupes
d’élite.

Djibouti, d’abord pays-caserne,
échappe au vent des indépendances qui, dans les années
1960, souffle sur le continent. La rupture formelle avec l’ancienne puissance
coloniale n’interviendra qu’en 1977, après cent quinze ans de présence
française. – (Corresp.)