21/02/03 (B186) France-Afrique: liaisons dangereuses (Tribune de Genève du 21/02/2003)

par JEAN-FRANÇOIS
VERDONNET

Si les discours et les actes coïncidaient, si la parole pouvait se faire
aussi action, le 22e Sommet France-Afrique qui s’est ouvert hier à
Paris marquerait une date décisive dans l’histoire politique du
continent africain. La rencontre, en effet, ne manque pas d’ambition:
aux 52 chefs de délégation présents, on propose un pacte
prometteur – rien moins qu’un « nouveau partenariat » qui fonderait
l’aide sur les progrès de l’Etat de droit.

Le projet n’est pas
inédit. Au sommet de La Baule, en juin 1990, François Mitterrand
subordonnait déjà la coopération à la démocratie.
La France, assurait-il, liera sa contribution « aux efforts qui seront
accomplis pour aller vers plus de liberté ». Treize ans plus tard,
et les modes langagières aidant, Jacques Chirac associe l’assistance
à « la bonne gouvernance ». L’ambition se veut plus modeste,
et plus technique: il s’agit moins d’exiger l’application immédiate
de règles parlementaires que de définir les conditions concrètes
d’un ordre stable: il faut, a précisé hier le président
français, « renforcer l’autorité de l’Etat, former
des forces de sécurité civiles, garantir l’honnêteté
des consultations électorales ». Prodiguée devant un parterre
composé de quelques despotes notoires, la leçon suscite une
double interrogation.

La première porte
sur la nature de la politique française: s’il se confirmait, l’engagement
de Jacques Chirac marquerait une rupture avec une tradition qui accordait
jusqu’ici plus de place aux connivences et aux compromissions, aux petits
et grands services, à tout un réseau opaque d’intérêts
croisés qu’à la promotion obstinée des valeurs démocratiques.

La seconde question a
trait aux convictions des dirigeants africains rassemblés à
Paris. A observer l’évolution intervenue ici et là au cours
des dernières années, les semonces faites à La Baule
n’ont guère ébranlé les Gouvernements auxquels elles
étaient destinées. Le Togolais Gnassingbé Eyadéma,
que le président Chirac a reçu mercredi à l’Elysée,
était déjà là en 1990, fidèle au poste
depuis 1967, tout comme Omar Bongo, installé la même année
à la tête du Gabon, ou Zine el-Abidine Ben Ali, qui de plébiscites
en consultations truquées prépare les Tunisiens à une
présidence à vie. Que retiendront-ils des admonestations de
leur hôte français? Pour quelles raisons accepteraient-ils de
Chirac ce qu’ils ont refusé de Mitterrand?

Enoncer la question, c’est
s’interroger sur les chances de la politique africaine du Gouvernement
français. Au temps de la cohabitation, Lionel Jospin s’était
voulu l’adepte du « ni-ni » « ni ingérence, ni indifférence »:
le « pré carré » perdait ses privilèges tandis
que se resserraient les liens avec des pays anglophones, à l’est
et au sud du continent. Jacques Chirac souhaite défendre à la
fois une vision continentale et une stratégie plus volontaire, un « réengagement »
affirmé auprès des anciens territoires.

La démarche ne
va pas sans contradictions comment concilier l’invitation lancée
à Robert Mugabe et la condamnation solennelle de tout ce que le président
du Zimbabwe représente? Elle s’inscrit surtout dans un paysage
désormais plus chaotique où la France ne peut pas prétendre
jouer seule. L’épreuve ivoirienne n’a pas d’autre signification.