30/09/04 (B265) LIBERATION : neuf ans après les faits, un procureur et un bâtonnier convoqués en France.(Article de Brigitte VITAL-DURAND) (Info lecteur)


 

Mort
du juge Borrel: Djibouti «dans l’oeil du cyclone»

jeudi 30 septembre 2004
(Liberation – 06:00)

Jusqu’où ira
l’embarrassante affaire Borrel ?
«Il est temps de savoir si l’Etat
français aura le courage de connaître la vérité
sur l’assassinat d’un de ses magistrats, ou si l’on refuse, pour de basses
raisons diplomatiques, d’aller jusqu’au bout».
Olivier Morice, avocat
d’Elisabeth Borrel, veuve du juge assassiné en 1995 à Djibouti,
affirme qu’au stade actuel de l’enquête, le président de la République
de Djibouti, Ismael Omar Guelleh, est «dans l’oeil du cyclone».

Le procureur de la
république de Djibouti, Djama Souleiman Ali, est convoqué aujourd’hui
au palais de justice de Versailles, comme témoin assisté. Le
1er octobre, c’est au tour du bâtonnier des avocats de Djibouti, Me
Martinet, à être entendu.
Tous deux sont suspectés
d’avoir voulu influencer des témoins djiboutéens qui affirmaient
que l’assassinat avait été commandité en haut lieu.

Dans le même temps,
le président de la Commission consultative du secret de la défense
nationale, Pierre Lelong, vient d’être mandaté par la juge d’instruction
Sophie Clément, pour mener l’enquête en personne. Il devra se
rendre aux ministères de la Défense et de l’Intérieur.
Et là se livrer «à toutes les investigations utiles à
la recherche des documents relatifs à la disparition du juge Borrel
et à l’éventuel rôle des autorités djiboutéennes».

Expertises. Pendant
des années, l’enquête sur la mort de Bernard Borrel s’était
enlisée tant à Djibouti qu’en France, où la version officielle
était que le magistrat s’était suicidé. Le corps ayant
été retrouvé calciné au fond d’un ravin, à
80 kilomètres de la capitale, les autorités locales­ puis
les enquêteurs français ­ avaient expliqué que le
juge se serait dévêtu sur la route où l’on a retrouvé
sa voiture, qu’il aurait enjambé des barrières, se serait aspergé
d’essence et aurait sauté dans le vide. Malgré l’invraisemblance
de ces modalités, il a fallu attendre 2002 qu’un nouveau juge d’instruction
ordonne des expertises sérieuses : en fait, le corps du magistrat portait
la trace d’un coup mortel au niveau du crâne et d’un autre dit «de
défense» sur le bras. Dans leur rapport définitif, en
2003, les experts notent encore que l’on n’a retrouvé qu’un seul bidon
sur les lieux, alors que le corps avait été enflammé
avec deux liquides. Ils ont enfin relevé les traces d’une «mise
en scène» orchestrée par les tueurs.

Neuf ans après
la mort du juge, les preuves de l’assassinat étaient réunies.
Reste à en connaître les motifs, et les commanditaires. A Djibouti,
Bernard Borrel détaché par le ministère français
de la Justice, était censé avoir un rôle mineur d’aide
à la refonte du code de procédure pénal du pays. En fait,
il se confirme depuis peu que ce magistrat donnait aussi des coups de main
sur des dossiers plus chauds.

Il a collaboré
à l’enquête sur l’attentat du 27 septembre 1990 au Café
de Paris, rendez-vous des résidents français à Djibouti.
Affaire dont le juge d’instruction Roger Leloire était en charge. Dix
ans plus tard, on retrouve ce même Leloire, mais cette fois aux côtés
de Marie-Paule Morracchini, pour instruire le dossier sur la mort de Borrel.
Tous deux en ont été dessaisis en juin 2000 pour ne pas avoir
convié Elisabeth Borrel et ses conseils à un déplacement
sur les lieux. Ces deux magistrats ne doutaient pas de la thèse du
suicide.

Trafic. Dans ses courriers
de saisine de la Commission consultative, la juge d’instruction Sophie Clément
insiste sur ce point: «Le juge Roger Leloire (…) était en relation
avec Bernard Borrel à la date du décès de celui-ci».
«Il a été retrouvé, poursuit-elle (…) copie
d’une Commission rogatoire Internationale délivrée par monsieur
Leloire et annotée de la main de monsieur Borrel»
(1). De
plus, ajoute la juge d’instruction, «un témoin (…) déclare
que Monsieur Borrel a plusieurs fois sollicité et obtenu l’autorisation
de venir adresser des fax au juge Leloire intéressant l’enquête
menée sur les circonstances de l’attentat du Café de Paris dans
les locaux de la Mission». Autrement dit, contrairement à ce
que laissaient entendre les autorités françaises, le petit juge
Borrel semblait enquêter aussi sur des affaires sensibles. Soupçonnait-il
un trafic d’armes entre Paris et Djibouti ? La juge relève en tout
cas que «les policiers (…) ont mis à jour l’hypothèse
d’une manipulation de l’enquête par les Services spéciaux djiboutéens
dirigés par Ismael Omar Guelleh»
. L’actuel Président,
qui était alors chef du cabinet de l’ancien Président.

(1) Interrogé
hier au téléphone, le juge Leloire confirme qu’il était
«en relation avec M. Borrel : il m’a aidé dans le cadre de mes
fonctions, il faisait l’interface pour mes commissions rogatoires internationales».
Il assure cependant que les annotations sur la CRI sont de sa propre main
et non de celle de son collègue.