24/10/04 (B269) Le Monde : La légiste des affaires Borrel et Alègre rudement contredite par ses collègues.


LE MONDE | 02.10.04 |

Le médecin de
Toulouse avait conclu à des suicides, ce qui a contribué à
retarder l’élucidation de ces dossiers criminels

Médecin légiste
à Toulouse, Danièle Alengrin a officié dans bon nombre
d’affaires sensibles : la mort de Bernard Borrel, ce juge français
retrouvé mort à Djibouti, en 1995, ou encore le dossier Alègre,
et les cadavres découverts dans le sillage du tueur en série.
La légiste ne souhaite pas s’exprimer dans la presse, et n’a pas voulu
répondre au Monde. Mais aujourd’hui, son travail est critiqué,
et ses collègues battent en brèche ses conclusions initiales.

Dans l’affaire Borrel,
il est prouvé, grâce à de nouveaux examens ayant décelé
des fractures sur le cadavre, neuf ans après les faits, que le magistrat
français n’avait pu se suicider en s’immolant, comme les conclusions
des docteurs Alengrin et Telmon le laissaient penser, le 15 février
1996.

Dans leur rapport, ces
légistes toulousains, confrontés à l’état de putréfaction
majeure du corps, n’avaient pu que se montrer évasifs : « Les brûlures
constatées (…) peuvent représenter la cause de la mort. »
Pas un mot sur les fractures décelées huit ans plus tard, révélatrices
de l’intervention d’une tierce personne. Interrogé par la juge Sophie
Clément le 3 février, Patrice Mangin, le nouvel expert, s’est
montré peu diplomate.

Pourquoi ses collègues
n’avaient-ils pas découvert ces fractures ? « Je pense que cela
tient à la qualité du travail réalisé par les
experts, a répondu M. Mangin. Si on ne va pas regarder quelque chose,
on ne voit pas. » Le commentaire est un peu lapidaire : dans les années
1990, les légistes ne disposaient pas de scanner, travaillaient à
deux, et ne s’entouraient pas forcément de spécialistes multiples.

Le travail du docteur
Alengrin a aussi été mis en pièces dans le cadre de l’affaire
Alègre. Le 19 septembre 1990, une femme de 22 ans, Edith Schleichardt,
se rend à Toulouse en faisant de l’auto-stop. Son corps est retrouvé
le 23 septembre 1990. Son tee-shirt est remonté, ses collants descendus,
une bombe lacrymogène fichée entre ses cuisses. Le cadavre est
autopsié par les docteurs Danièle Alengrin et Pierre-Marie Bras.
Leurs conclusions : « Le décès d’Edith Schleichardt est
en rapport avec une intoxication médicamenteuse. »

Le dossier est oublié,
puis exhumé fin 2003, à la faveur de l’affaire Alègre.
Il fait depuis l’objet d’une nouvelle information judiciaire, confiée
au juge Fabrice Rives, pour « homicide volontaire » contre le tueur
en série. Le magistrat a entendu, depuis, les deux médecins
légistes et fait procéder, le 18 mars, à une nouvelle
autopsie. Réalisé par le service médico-légal
de Bordeaux, cet examen souligne les carences du premier examen. Les médecins
bordelais jugent que « l’interprétation des dosages toxicologiques
est péremptoire » et estiment également que leurs collègues
toulousains auraient dû procéder à des analyses « plus
importantes ». Ils assurent enfin que l’hypothèse d’une intoxication
médicamenteuse leur semble « très peu vraisemblable ».
« Les conditions de découverte du corps, notent-ils, une dénudation
partielle du corps, notamment au niveau des fesses et de la région
génitale, l’existence d’une « bombe » au niveau vulvaire doivent
orienter vers une intervention d’une tierce personne avant toute autre chose. »
Pour eux, l’hypothèse « la plus probable est une mort violente ».
Une dentiste, nommée par le juge Rives, estime aussi que la victime
a « été frappée violemment ».

L’autopsie initiale des
docteurs Alengrin et Bras n’a donc plus lieu d’être. On retrouve aussi
ces deux experts dans d’autres dossiers controversés liés à
l’affaire Alègre. Comme celui de Hadja Benyoucef, retrouvée
morte chez elle, à Toulouse, le 30 novembre 1987. Elle avait la gorge
traversée par un « couteau de part en part », une « cordelette
blanche » autour du cou, une couche en plastique pliée en huit
entre les dents. Les deux légistes indiquaient après autopsie,
le 1er décembre 1987, que « la défunte, après avoir
essayé dans un premier temps de s’entailler la gorge avec un couteau,
avait pu tenter de se pendre à l’aide de la cordelette, puis, n’y parvenant
pas, de se planter le couteau de cuisine à travers la gorge ».
Pour la couche-culotte, ils estimaient que le bridge de la morte n’était
« pas cassé, ce qui se serait vraisemblablement passé si
l’enveloppe plastique avait été mise de force dans la bouche
de la victime ». Les enquêteurs concluaient ainsi à une mort
par « raptus suicidaire ». Dix-sept ans plus tard, vendredi 1er octobre,
le corps de Hadja Benyoucef a été exhumé, afin de procéder
à une nouvelle autopsie.

Gérard
Davet
(Le Monde)