27/11/04 (B274) Reprise d’un article paru sur Libération en Août 2004 / La justice française fait fuir les leaders africains

LIBERATION : Visés par des
juges français, des chefs d’Etat évitent les commémorations.

Par Thomas HOFNUNG
et Renaud LECADRE

jeudi 12 août
2004 (Liberation – 06:00)

La «Françafrique»
n’est plus ce qu’elle était : avant de fouler le sol français,
les chefs d’Etat africains y réfléchissent à deux fois,
de peur d’être rattrapés par la justice. Au grand dam des autorités
françaises qui tentent de les convaincre qu’ils n’ont pas le choix.
Seize présidents d’Afrique francophone ont annoncé leur participation,
le 15 août, au 60e anniversaire du débarquement des Alliés
en Provence.

Parmi
eux, le Djiboutien Ismaël Omar Guelleh. A la veille de son arrivée,
le ministère français des Affaires étrangères
a rappelé qu’il bénéficierait de «l’immunité
diplomatique (…), un principe fondamental du droit international».
Les avocats de la veuve de Bernard Borrel, magistrat français détaché
à Djibouti dont le corps a été retrouvé carbonisé
en octobre 1995, le soupçonnent d’avoir commandité le meurtre,
sur la foi d’un ancien membre de la garde présidentielle. Au printemps,
Ismaël Omar Guelleh, dont l’avocat, Me Francis Szpiner, est aussi celui
de la Chiraquie, avait dénoncé un complot fomenté par
la France contre son pays. Après de plates excuses du Quai d’Orsay,
pour qui l’affaire ne serait qu’élucubrations de la presse, Djibouti
a considéré que l’incident était clos. Pas pour la partie
civile, toujours décidée à éclaircir les conditions
du décès du juge Borrel.

D’autres, comme le président
ivoirien Laurent Gbagbo ou son homologue congolais Denis Sassou Nguesso, ont
préféré rester chez eux. Ces dernières semaines,
l’enquête du juge Patrick Ramaël sur la disparition à Abidjan,
depuis la mi-avril, du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer,
s’est resserré autour des proches du Président, sans pour autant
le mettre personnellement en cause.

De son côté,
Denis Sassou Nguesso est aux prises avec la justice française dans
l’affaire des «disparus du Beach». En mai 1999, 350 Congolais
rapatriés par l’ONU avaient disparu au port fluvial de Brazzaville.
Selon des survivants qui ont saisi la justice française au nom du principe
de compétence universelle, ces sympathisants présumés
d’un rival de Sassou auraient été liquidés par les forces
gouvernementales. En septembre 2002, un juge avait souhaité, sans succès,
entendre le chef de l’Etat congolais à Paris.

Face à l’activisme
de la justice et au risque de détérioration des relations bilatérales,
les politiques français évoquent devant leurs amis africains
la séparation des pouvoirs. Avec des résultats mitigés
: «Pour eux, soit nous jouons un double jeu, soit nous sommes incompétents,
car incapables de mettre au pas nos juges», confie un ancien ministre.