14/02/05 (B285) LIBERATION : Mauvaises ondes entre l’Afrique et RFI sous la plume de Thomas Hofnung (Article indiqué par un lecteur)

Les incidents entre
journalistes de la radio et pouvoirs locaux se multiplient ces dernières
semaines.

Lundi 14 février
2005 (Liberation – 06:00)

Le 7 février, deux
journalistes français se présentent au poste frontière
entre le Bénin et le Togo. Au pouvoir depuis trente-huit ans, le général-président
Gnassingbé Eyadéma, une figure de la «Françafrique»,
est mort deux jours plus tôt. A sa place, l’armée togolaise a
nommé son fils, Faure Gnassingbé (lire aussi page 10). L’un
des journalistes, Renaud Bernard, passe la frontière sans problème.
Il est de France Info. L’autre, Olivier Rogez, est refoulé par les
policiers togolais. Son tort ? Travailler pour RFI (Radio France internationale),
dont les émissions sur la bande FM togolaise ont été
suspendues après le décès du «vieux baobab».
La diffusion sera rétablie après deux jours.

Ces dernières semaines,
la radio accumule les déconvenues en Afrique. Début janvier,
un reportage consacré au dernier rebondissement dans l’enquête
sur la mort du juge Borrel à Djibouti, en 1995, a provoqué l’ire
du pouvoir local. RFI avait eu l’outrecuidance de signaler la décision
de la cour d’appel de Versailles d’ordonner l’audition du chef des services
secrets djiboutiens, un proche du chef de l’Etat, Ismaël Omar Guelleh.
Sanction immédiate : l’émetteur de RFI sur la FM est réduit
au silence. Et n’a toujours pas été rétabli.

Assassiné. En novembre,
même scénario, mais en Côte-d’Ivoire. Au moment où
son armée passait à l’offensive contre les rebelles du Nord,
le régime du président Gbagbo coupait RFI. RFI et la Côte-d’Ivoire:
une histoire dramatique. Le 21 octobre 2003, le correspondant de la radio,
Jean Hélène, était assassiné par un policier à
Abidjan, condamné par la suite à dix-sept ans de prison par
la justice ivoirienne. Depuis, la radio a fermé son bureau d’Abidjan
et plus aucun journaliste de RFI n’est retourné sur place.

La couverture de l’actualité
africaine n’a jamais été simple pour cette radio française
à vocation internationale. Mais, confie un membre de la rédaction
Afrique, les problèmes se sont accumulés avec la présence
croissante de RFI dans le «pré carré» francophone.
«Les auditeurs africains entretiennent une relation affective très
forte avec nous, mais aussi schizophrénique, confie un journaliste.
Ils se sentent proches de nous, car nous parlons de leurs problèmes
quotidiens et nous leur donnons la parole. Mais, dans le même temps,
nous sommes les Français et les Blancs.» Dans les rues de Kinshasa,
Bamako ou Cotonou, un journaliste de RFI peut être reconnu au son de
sa voix… Et vilipendé pour une peccadille.

Cette notoriété
se résume en un seul chiffre : en Afrique francophone, la radio compte
près de vingt millions d’auditeurs. Un véritable contre-pouvoir,
basé à Paris, qui a le don d’agacer les potentats locaux lorsqu’une
crise éclate ou quand les relations se tendent avec l’ex-puissance
coloniale. «Nous sommes un bouc émissaire commode pour les gouvernements
africains lorsqu’ils sont en délicatesse avec la France», estime
un responsable de la station. Radio de service public, financée aux
deux tiers par le Quai d’Orsay, RFI est souvent perçue comme «la
voix de la France» en Afrique.

Diffusion brouillée.
«Notre tutelle est uniquement financière, précise pourtant
Hervé Ladsous, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Nous n’intervenons pas sur le contenu éditorial.» Mais il n’en
a pas toujours été ainsi. En 2002, le général
Eyadéma, appuyé alors par l’ambassadeur de France, avait tenté
de bloquer la diffusion d’une interview de son ex-Premier ministre Kodjo,
passé à l’opposition. Devant la mobilisation de la rédaction
de RFI, le Quai avait cédé, mais, au Togo, la diffusion de l’entretien
avait été brouillée… «Depuis la mort de Jean
Hélène, notre travail est sacralisé, confie un journaliste.
On ne subit plus aucune pression à caractère politique.»

Dans les allées
du pouvoir à Paris, certains se plaignent même, à mots
couverts, de cette perte de contrôle. «Sur l’affaire Borrel, RFI
a clairement extrapolé en affirmant que l’enquête de la juge
française se resserrait autour du président de Djibouti»,
assure un diplomate. Une critique perçue comme un compliment par un
journaliste : «Si on déplaît, c’est que nous ne devons
pas être si mauvais que cela…»