08/04/05 (B293) LIBERATION : A Djibouti, une présidentielle à candidat unique : Omar Guelleh est sûr d’être réélu aujourd’hui, au grand dam de la France.

Par Christophe AYAD
et Thomas HOFNUNG

vendredi 08 avril 2005
(Liberation – 06:00)

En Afrique, les élections
sont souvent cousues de fil blanc. Mais le scrutin présidentiel
organisé aujourd’hui à Djibouti sort tout de même de l’ordinaire
: un seul candidat est en lice, le président sortant, Ismaïl Omar
Guelleh.
Estimant que les conditions n’étaient pas réunies
pour une élection «honnête, libre et transparente»,
l’ensemble de l’opposition a appelé au boycott de la présidentielle,
la troisième de l’histoire de ce petit pays aride de la Corne de l’Afrique,
qui a introduit le multipartisme en 1992. Lors des dernières législatives,
il y a deux ans, le parti au pouvoir ­ l’Union pour la majorité
présidentielle (UMP) ­ avait raflé la totalité des
65 sièges…

En octobre 1999, Omar
Guelleh, aujourd’hui âgé de 58 ans, avait affronté un
candidat de l’opposition. Ce qui ne l’avait pas empêché de l’emporter
haut la main, avec 75% des suffrages. Il succédait alors au premier
chef d’Etat du pays, Hassan Gouled, après avoir été son
homme de confiance. Durant son règne de vingt-deux ans, Ismaïl
Omar Guelleh a notamment dirigé les services de renseignements.

La mort du juge. Pour
Paris, sa victoire annoncée n’est pas forcément une bonne nouvelle
tant les relations se sont dégradées avec son ancienne colonie,
indépendante depuis 1977. La «faute» au juge Bernard Borrel,
dont le corps calciné avait été retrouvé, en octobre
1995, au pied d’une falaise. Dans un premier temps, l’enquête djiboutienne,
à laquelle avaient participé des gendarmes français,
avait conclu à un suicide par le feu du magistrat, à l’époque
conseiller du ministre djiboutien de la Justice. Une explication aussitôt
entérinée par la justice française. Mais, en 2004, les
experts nommés par une nouvelle juge d’instruction, Sophie Clément,
concluaient à l’assassinat probable du juge Borrel. L’enquête
se concentre désormais sur l’entourage du président djiboutien.

Début janvier,
nouveau rebondissement : la justice française demande l’audition du
chef des services secrets djiboutiens, Hassan Saïd, un proche du chef
de l’Etat. C’est le début de la crise ouverte avec Paris, Omar Guelleh
étant persuadé que les autorités françaises sont
derrière cette décision. Les émetteurs de Radio France
International, qui a évoqué l’affaire, sont coupés et
n’ont pas été rétablis depuis. Dans la foulée,
six coopérants militaires sont expulsés. Paris fait le dos rond
et, pour prouver sa bonne foi, promet de transmettre le dossier d’instruction
de la juge Sophie Clément à Djibouti, comme le demande la justice
djiboutienne.

Expulsion. Mais rien ne
semble pouvoir apaiser la colère de Guelleh. En mars, le patron français
d’une filiale de la BNP à Djibouti a dû faire ses bagages (1).
Guy Cazenave avait eu l’indélicatesse de demander l’origine des fonds
que le président djiboutien souhaitait déposer sur un compte
ouvert pour financer sa campagne électorale. Et, mercredi, Omar Guelleh
a déclaré à l’AFP : «Si demain quelqu’un tombe
dans sa salle de bains, on va me dire que c’est moi qui l’ai tué. Il
vaut mieux qu’ils [les coopérants français] rentrent chez eux
avec leur famille, comme ça ils n’auront pas d’autres Borrel sur la
conscience…»

Chantage du faible au
fort ? La France paie à prix d’or la location de sa principale base
militaire en Afrique, forte de 2 800 hommes. Le loyer a même été
doublé récemment et se monte désormais à 30 millions
d’euros par an. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, Djibouti fait jouer
la concurrence : les Américains se sont également installés
à la pointe orientale de l’Afrique, ce qui permet de surveiller la
Somalie voisine, la mer Rouge et le golfe d’Aden, autant de repaires possibles
d’Al-Qaeda. Au moment où les partisans du président ivoirien
Laurent Gbagbo exigent le départ de l’armée française
de Côte-d’Ivoire, la perte de cette base stratégique serait catastrophique
pour Paris.

Ce regain d’intérêt
géostratégique s’est doublé d’un afflux d’investissements,
en provenance de Dubaï notamment. «Malgré cet argent, rien
ne s’améliore, s’indigne l’écrivain Abdourahman Waberi, un compagnon
de route de l’opposition installé en France. Tout le pays est géré
par un seul homme.» L’opposition, dont les principaux leaders vivent
en exil, appelle aujourd’hui à un rassemblement devant l’ambassade
de Djibouti à Paris. Omar Guelleh devrait apprécier.

(1) La Lettre de l’océan
Indien, 19 mars 2005.