04/07/05 (B305) Le Monde : Les militaires tortionnaires argentins seront poursuivis. La Cour suprême a déclaré inconstitutionnelles les lois d’amnistie (Info LDDH)

BUENOS AIRES
de notre correspondante ( Le Monde Hebdomadaire du 25 juin 2005)

Victoire historique des défenseurs des droits de l’homme en Argentine: mardi 14 juin , à Buenos Aires, la Cour suprême de justice a déclaré inconstitutionnelles les lois d’amnistie qui, depuis vingt ans, protégeaient les tortionnaires de la dictature, militaire (1976-1983). Elles avaient été annulées en août 2003 par le Parlement après que plusieurs juges fédéraux les eurent déclarées non conformes à la Constitution. Mais le dernier mot revenait au Tribunal suprême.

Ces lois dites du «  point final » (1986) et du « devoir d’obéissance (1987) empêchaient toute poursuite judiciaire contre des centaines de militaires responsables de la torture et de la disparition de 30 000 opposants pendant la dictature, selon les associations des droits. Elles avaient été adoptées sous le gouvernement du président Raul Alfonsin (radical, 1983-1989), sous la pression des forces aimées.

Les anciens chefs du régime avaient été condamnés à de lourdes peines de prison puis graciés en 1990 par l’ex-président Carlos Menem (péroniste, 1989-1999). Mais plusieurs d’entre eux sont de nouveau poursuivis par la justice pour appropriation illégale de bébés nés en captivité, un délit que l’Argentine considère comme imprescriptible et pour lequel ils n’avaient pas été jugés en 1985.

La Cour suprême a pris sa décision par une majorité de sept des neuf juges. C’est un important succès pour le président péroniste Nestor Kirchner qui, dès son arrivée au pouvoir e>x mai 2003, a fait des droits de l’homme une priorité de son gouvernement, lançant une vaste offensive contre l’impunité. La Cour suprême a été rénovée et quatre de ses membres ont été désignés par M. Kirchner. Le chef de d’Etat avait fait campagne pour l’annulation des lois d’amnistie, souhaitant que les responsables de violations des droits de l’homme puissent être jugés en Argentine plutôt que dans des pays européens.

M. Kirchner avait ainsi abrogé un décret interdisant les extraditions des criminels de la dictature. Quarante militaires et un civil avaient été arrêtés en Argentine, à 1a suite d’un mandat lancé par le juge espagnole Baltasar Garzon, qui souhaitait les juger à Madrid pour terrorisme d’Etat, génocide et tortures.

Parmi les prévenus figurent deux ex-membres de la junte militaire, l’ex-général Jorge Rafael Videla, auteur du coup d’Etat du 24 mars 1976, et l’ex-amiral Eduardo Massera, responsable de l’Ecule mécanique de la marine (ESMA), où fonctionna le plus important camp clandestin de détention et de torture. On estime que, parmi !es quelque 5.000 personnes qui sont passées par l’ESMA, ne restent que 200 survivants.

C’est dans ce camp que sévissait le capitaine de corvette Alfredo Astiz, surnommé « l’Ange blond de la mort ». Son extradition a été plusieurs fois réclamée sans succès par il France, où Astiz fut condamné par contumace, en 1990, à la prison à vie pour l’assassinat de deux religieuses françaises. En 2003, le Parlement argentin a également ratifié une convention des Nations unies déclarant, imprescriptibles les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

 

CONFIANCE RETABLIE

La décision de la Cour suprême va permettre de traduire devant les tribunaux la centaine de militaires inculpés depuis le vote du Parlement. Cette décision « redonne confiance et foi en la justice en abolissant les lois qui nous remplissaient de honte », a commenté le président Kirchner. Pour sa part, le ministre de la défense, José Pampuro, a reconnu qu’il existait « une certaine inquiétude » au sein de l’armée. La réouverture de procès contre les militaires, dont certains sont toujours en activité, risque en effet de renforcer la tension entre les forces armées et le gouvernement.

M. Kirchner, qui revendique son passé de militant de gauche pendant les « années de plomb », a été le premier président argentin, depuis le retour de la démocratie, à se rendre dans les locaux de l’ESMA pour marquer le dernier anniversaire, du coup d’Etat militaire, le 24 mars 2004. Il a annoncé que l’ESMA serait transformée en musée de la mémoire. Le 29 mai, il n’a pas assisté, comme lé veut, la tradition, aux cérémonie marquant l’anniversaire de l’armée.

Christine Legrand.