03/11/05 (B322) Lettre ouverte d’un lecteur au Secrétaire Général de la Chancellerie de l’Ordre de la Légion d’Honneur, à propos de la décoration du Général Zakaria.

____________________ Note de l’ARDHD
Ceux qui le désirent, peuvent écrire à la Chancellerie, en s’inspirant, s’ils le souhaitent, du texte de cette lettre.
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Abdallah Deberkaleh

A
Monsieur Jacques CARRÈRE
Secrétaire Général
De l’Ordre national de la Légion d’Honneur
1, rue de Solferino
75007 Paris

Le 2 Novembre 2005

 

Lettre ouverte en recommandée avec AR

Monsieur le Secrétaire Général,

C’est en qualité de citoyen de nationalité française et djiboutienne, né à Djibouti, que je vous écris cette lettre ouverte, pour vous faire part de ma stupéfaction personnelle, qui est partagée par de nombreux amis français et djiboutiens, quand nous avons appris la remise de la Légion d’Honneur à trois officiers djiboutiens et en particulier au Général Ibrahim Zakaria, Chef d’Etat-Major adjoint des Forces armées djiboutiennes.

Puis-je me permettre d’attirer votre attention sur les risques d’un tel choix ?

Après avoir lu les informations dans la Presse djiboutienne et en particulier l’extrait du discours de Monsieur Jean-Paul Angelier, Ambassadeur de France à Djibouti qui a décoré les trois militaires, j’ai compris que cette décision avait été initié sur proposition du ministère de la défense français avec l’accord du Président de la République française .

Comme vous le savez, elle intervient dans un contexte particulièrement difficile, puisque :
1 les autorités djiboutiennes ont annoncé le 19 octobre, qu’elles dénonçaient unilatéralement les accords de coopération judiciaires avec la France,
2 des hauts dirigeants djiboutiens (dont le Procureur Général du Parquet de Djibouti) seraient impliqués dans le meurtre d’un juge français et qu’ils ont refusé de répondre aux convocations légitimes des juges d’instruction de Paris et de Versailles.
3 un procès en diffamation, qui a été intenté par le Général Zakaria devant la 17ème Chambre correctionnelle contre une Association humanitaire française, est en attente de délibéré au 22 novembre 2005,

Au cours de ce procès en diffamation, la personnalité du Général a été évoquée par six témoins, dont j’ai fait partie. Il est apparu que son passé suscite des controverses graves, puisque je suis personnellement engagé dans la dénonciation d’un massacre commis sous les ordres du Général Zakaria à la frontière djibouto-somalilandaise. Une soixantaine de vieillards et de malades ont été exécutés de sang froid le 2 Février 1991. Seules 10 personnes ont trouvé le salut dans une fuite épuisante : ils sont toujours en vie et ils déposent plainte actuellement.

Dans ce cadre, une plainte pénale contre le Général Zakaria et les responsables du massacre, est instruite par le Procureur de la République d’Ethiopie, qui pourrait prononcer, dans un avenir proche, des poursuites contre divers officiers djiboutiens, dont le Général et probablement le Chef de l’Etat en personne : Ismaël Omar Guelleh, qui rappelons-le, est invité, par ailleurs, même s’il a refusé de s’y rendre, par la Justice française à venir témoigner dans le cadre de l’assassinat du Juge Borrel qui a été commis sur le territoire de la République de Djibouti .

Ecrire que cette remise de décoration intervient au plus mauvais moment est un euphémisme !

Elle permet maintenant à des personnes sur lesquels reposent des soupçons graves et avérés de massacres sur civils en raison de leur appartenance ethnique, de tortures et de soutien d’organisations qui financent les térroristes de AL – ITIHADE de la Somalie, partenaire de la nébuleuse Al Qaeda (Cf les notes des services d’enquête de l’Armée française à Djibouti, qui ont été évoqués à l’audience par un témoin français), de se parer de la reconnaissance française et du respect que suscite la plus haute décoration de la République française. La presse djiboutienne n’est pas avare de compliments sur le sujet.

Tous les Djiboutiens et tous les Français qui suivent la situation à Djibouti se partagent entre éclat de rire, incompréhension et profond dégoût. Cela m’attriste beaucoup, car je suis fier d’être un citoyen Franco-Djiboutien et que je respecte nos traditions, nos institutions et nos règles d’Honneur.

Pour de nombreux observateurs, cette décision semble avoir été prise en urgence, pour assurer les dirigeants djiboutiens du soutien personnel du Président Chirac en dépit des graves interrogations sur les commanditaires du meurtre du Juge Borrel et pour tenter de pérenniser l’implantation de nos forces armées qui pourraient être remise en question, avec la présence plus récente de l’Armée américaine. Cela donne un parfum de raison d’Etat qui loin de convaincre, inspire une certaine dérision, qui serait vraiment dommageable à la réputation de l’Ordre de la Légion d’Honneur.

Puis-je me permettre de vous exprimer mon sentiment personnel ?

La décoration d’une personnalité qui entraîne dans son sillage, des présomptions de massacre, de détournements de fond et de financement d’organisation terroriste(*), par un Ambassadeur de France, parlant au nom du Président de la République est révoltante et elle nous interpelle. C’est une décision qui discrédite le profond respect que nous avions pour votre institution centenaire et pour ses récipiendaires.

Quelle serait ensuite la position de la Chancellerie, dans l’hypothèse où le Général serait prévenu, puis jugé pour crimes de guerres (guerre civile à Djibouti entre 1992 et 1994) et crimes contre l’humanité ?

J’ai pris la décision de vous écrire cette lettre ouverte, afin que vous soyez informés et que vous puissiez diligenter les enquêtes qui s’imposent certainement à votre niveau et surtout que l’on ne puisse pas dire, le jour venu, que la Chancellerie n’était pas au courant.

Ce n’est que pour garantir la sûreté de la distribution, que je vous envoie cette lettre par la voie recommandée.

Je vous prie de croire, Monsieur le Secrétaire Général, à l’assurance de ma plus haute considération.

 

Abdallah DEBERKALEH
Citoyen franco-djiboutien

(*) Aucun jugement n’étant encore intervenu pour ces faits – et pour cause : les trois pouvoirs : législatifs, juridiques et exécutifs sont dans les mains d’un seul homme à Djibouti -, je respecte la Loi et j’accorde au Général la présomption d’innocence. Il n’en reste pas moins que les faits ont été commis, qu’ils ont été évoqués pour la première fois devant une Cour pénale française et que ce n’est pas un secret ni pour de nombreux français, ni pour la majorité du peuple djiboutien.

Le devoir de précaution devrait néanmoins s’appliquer, surtout dans une institution aussi prestigieuse que la vôtre, dont la réputation indiscutable pourrait être entachée par cette remise de décoration particulièrement contestable.

P.S. Je joins un communiqué de l’Association Survie qui confirme ce que je viens de vous écrire et le sentiment de tous ceux qui sont informés de la situation à Djibouti..

Copies :
Monsieur Jacques Chirac, Président de la République française,
Madame Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense,
Monsieur Jean-Paul Angelier, Ambassadeur de France à Djibouti,
Monsieur Arnaud Montebourg, député,

GED – Gouvernement en Exil (Djibouti)
ARDHD – Association pour le Respect des Droits de l’Homme à Djibouti,
Association SURVIE,