09/12/05 (B328) LDDH : Les harcèlements des travailleurs continuent. Intervention à Banjul de la LDDH. Résolution du Forum des ONG.


Le Président

NOTE D’INFORMATION
DU 8 DECEMBRE 2005
SUR LA COMMISSION AFRICAINE
DES DROITS
DE L’HOMME ET DES PEUPLES


La Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) avait mandaté le syndicaliste M. Adan Mohamed ABDOU, Défenseur des Droits de l’Homme, à la 38ème session ordinaire de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui s’est tenu à Banjul des 18 au 30 novembre 2005.

Ci-après :
– l’intervention de M. Adan Mohamed ABDOU ;
– la chronologie des évènements syndicaux ;
– Une Résolution du Forum ;

M. NOEL ABDI Jean-Paul

__________________________________________________________

COMMISSION AFRICAINE
DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

38ème session ordinaire
Banjul, novembre 2005

Intervention Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH)

Sous le point de l’ordre du jour :
“Situation des droits de l’Homme en Afrique”

Chers amis défenseurs des droits de l’Homme,

Je profite de cette occasion pour vous faire part de la situation extrêmement précaire des défenseurs des droits de l’Homme dans mon pays, la république de Djibouti.

En octobre 2005, plus de 100 défenseurs des droits humains qui manifestaient leur mécontentement à l’égard des violations répétées de leurs droits économiques et sociaux notamment du droit au travail garantis par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ont été arrêtés et détenus arbitrairement pendant plusieurs jours.

34 d’entre eux ont été abusivement licenciés et demeurent jusqu’à présent sans espoir de retrouver leur emploi.

Cette situation n’est malheureusement pas nouvelle. Depuis bientôt plus de 10 ans, les défenseurs des droits humains sont constamment harcelés, menacés, arrêtés, agressés, emprisonnés et licenciés pour le simple fait d’avoir dénoncé les violations de la Charte et les droits s’y rapportant.

Étant moi-même une victime de ces abus, de ces dénis de droits qui malheureusement perdurent, pour avoir été licencié en septembre 1995 avec une dizaine de mes collègues défenseurs des droits humains et, depuis lors interdit de travail tant dans le public que dans le privé, je suis aujourd’hui devant vous le plus fidèle témoin de ces violations des droits humains.

Le forum des ONG a en conséquence adopté une résolution sur cette situation préoccupante et je souhaite, vivement que la Commission africaine des droits de l’Homme et de peuples l’adopte également.

Par ailleurs, je me réjouis de l’entrée en vigueur du protocole additionnel à la Charte africaine sur les droits des femmes considérant qu’en Afrique et à Djibouti les droits de l’Homme sont souvent bafoués.

Je me réjouis également que mon pays, la République de Djibouti, fasse partie des quinze États ayant ratifié ce protocole mais je souhaite vivement que ces dispositions soient intégrées dans la législation interne djiboutienne et mise en application.

Espérant vivement que vous accorderez une attention toute particulière au cas très inquiétant de mon pays en matière de violations des droits de l’Homme et que la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples adoptera la résolution le concernant, je vous remercie de votre aimable attention.

Adan Mohamed ABDOU,
Ligue djiboutienne des droits Humains (LDDH),
organisation membre de la FIDH

Banjul, le 22 novembre 2005

__________________________________________________________

Diibouti : chronologie des événements

Septembre 1995: suite à un ajustement structurel unilatéralement décidée par le gouvernement, une grève générale des travailleurs affiliés à l’Union djiboutienne des travailleurs (UDT) et l’Union générale des travailleurs djiboutiens (UGDT) dans les secteurs privés et publics est déclenchée du 6 au 23 septembre pour protester contre la nouvelle loi de finances opérant une retenue de 40% sur les salaires.

Répression sévère: des centaines des syndicalistes sont licenciés notamment dans le secteur public.

Le Conseil des ministres ordonne aux entreprises publiques et para publiques de licencier (notamment dans les secteurs de l’enseignement, de l’énergie, de l’électricité et du transport).

Une intersyndicale est alors créée pour coordonner les actions des syndicats (UDT et UGDT). Celle-ci conteste la constitutionnalité de la loi de finances.

Le ministre des finances décide alors de retirer son projet de loi de finances

Les travailleurs licenciés voient leur situation régulariser mais pas les dirigeants des syndicats (Président, Secrétaire générale et membres du bureau exécutif) au nombre de 14 en 1995.

début novembre 1995 : une plainte est déposée auprès du Bureau International du Travail (BIT) par la Confédération Internationale des syndicats libres, l’organisation de l’unité syndicale africaine (OUSA) et par l’intersyndicale.

Une délégation du BiT se rend à Djibouti pour tenter une médiation entre le gouvernement et les syndicats. Le gouvernement s’engage alors à réintégrer les personnes licenciées et à régulariser la situation mais rien n’est fait. L’intersyndicale décide de porter plainte et les dirigeants syndicaux licenciés se constituent partie civile devant le Tribunal du travail. Des plaintes sont également déposées auprès de l’inspection du travail sans suite.

1996 : une délégation de la Confédération internationale des syndicats arabes (CISA) se rend à Djibouti Le ministère déclaré l’UDT et l’UGDT, organisations illégales.

1997 : le ministère du travail et des lois sociales décide de créer une nouvelle centrale, le Congrès djiboutien du travail (CODJITRA).
– interdiction de célébrer le 1er mai
– l’intersyndicale, appuyée par la CISL, porte plainte auprès de la Commission de vérification des pouvoirs du BIT qui invalide l’existence de la CODJITRA, lors de la conférence internationale du travail de juin 1997.

1998 : le BIT décide d’envoyer une mission de contact chargée de mener des enquêtes auprès du gouvernement et des syndicats et de tenter une médiation
Suite à cette médiation, le ministre du travail déclare que tous les dirigeants seront réintégrés sous un mois. Pas de suite.

L’UDT décide de convoquer son congrès. Le gouvernement s’y oppose en déclarant que la centrale n’existant pas, il est impossible d’organiser son congrès.
Une délégation de l’organisation régionale de la CISL (ORAF) se rend à Djibouti et tente une médiation Un rapport de mission de l’ORAF dénonçant les violations de la liberté syndicale par le gouvernement est rendu public.

Avril 1999 : élections : nouveau président et nouveau gouvernement.

Août 1999 : l’UDT tente à nouveau d’organiser un congrès à cette date

15/07/99 : le Ministère de l’emploi annonce la tenue d’un congrès conjoint de l’UDT et l’UGDT à la radio et désigne des dirigeants pour les centrales

Ce simulacre est dénoncé par l’intersyndicale, la CISL, l’OUSA et le CISA qui portent plainte auprès du service de la liberté syndicale du BiT pour violation des droits syndicaux et entraves manifestes à la liberté syndicale.

Septembre 1999 : mise sous scelles des locaux des centrales et confiscation de leurs biens.

Décembre 1999 : tenue de la 9ème réunion panafricaine de l’OIT à Abidjan. Le gouvernement djiboutien s’y présente accompagné des deux centrales clonées. Tous les syndicats du continent protestent et des pseudos syndicats sont expulsés de la salle.

Le Ministre invite alors une délégation du BIT à Djibouti pour constater l’existence des deux centrales créées en 1999. Dans le même temps, le ministre demande aux dirigeants licenciés de déposer des demandes individuelles de réintégration et décide que la réintégration sera accordée à condition que les dirigeants abandonnent leurs fonctions syndicales. Les syndicalistes refusent de se plier à ces exigences et la situation perdure.

2002 : l’UDT parvient à tenir son congrès fin septembre 2002

2005 : la situation est toujours la même pour les dirigeants syndicaux.
Répression en octobre 2005 contre les dirigeants et les militants du syndicat du Port et des chauffeurs affiliés à l’UDT suite à des revendications suivies de manifestations et de grèves

Conclusion
Malgré les pressions des organisations internationales des droits de l’Homme, de l’OIT, de syndicats depuis 10 ans bientôt,

Malgré les missions de contact et de bons offices de l’OIT, de l’OAT, de la CISA et de la CISL à plusieurs reprises durant cette dernière décennie,

Malgré qu’à chaque mission de contact ou mission de bons offices, le gouvernement de Djibouti promet de régulariser la situation notamment lors de la conférence internationale du travail de juin a Genève,

Le gouvernement de Djibouti se refuse à régulariser la situation syndicale et des syndicalistes licenciés et brave toutes les recommandations des institutions internationales.

La situation à Djibouti demeure préoccupante. Les défenseurs des droits humains et les syndicalistes en particulier continuent d’être harcelés et entravés dans l’exercice de leurs activités respectives.
____________________________________________________________

LE FORUM DE PARTICIPATION DES ONG A LA 38EME SESSION DE LA
COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
Kairaba Hotel, Banjul, Gambie, 18-20 Novembre, 2005

Résolution sur la liberté syndicale en République de Djibouti
NGO/Res/0003-1 105

Le Forum de participation des ONG à la 38ème session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples,

Rappelant que la liberté syndicale est un droit fondamental reconnu par l’article 15 de la Constitution de la République de Djibouti et les conventions internationales du travail de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) notamment la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948,

Considérant que la non reconnaissance par le gouvernement de la République de Djibouti de syndicats libres et indépendants constitue une violation des droits syndicaux,

Profondément préoccupées par les arrestations, persécutions et repressions policières de syndicalistes djiboutiens et les violations repetées des conventions de l’OIT relatives à l’exercice des libertés syndicales par le gouvernement djiboutien,

Considérant que, depuis septembre 1995, la plupart des dirigeants syndicaux de l’Union djiboutienne des travailleurs et de l’Union générale des travailleurs djiboutiens ont été licenciés en raison de leurs activités,

Préoccupées par le projet du nouveau code de travail adopté en Conseil des ministres en 2004, contrevenant aux dispositions des conventions internationales du travail de l’OIT,

Demande à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples d’adopter une résolution appelant le gouvernement djiboutien à :

1. mettre un terme à toute forme de harcèlement et de représailles à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme y compris des dirigeants syndicaux et syndicalistes, afin qu’ils puissent mener leur activité de défense des droits de l’Homme sans entrave,

2. réintégrer sans délai les syndicalistes sanctionnés pour leurs activités,

3. respecter les droits syndicaux garantis par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les Conventions de l’Organisation Internationale du Travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948 et sur le droit d’organisation et de négociation collective de 1949 et la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples,

4. plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement à son article 1 qui dispose que «Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveau national et international », et son article 11 qui stipule que «chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, d’exercer son occupation ou sa profession conformément à la loi ».

Fait à Banjul, le 20 Novembre 2005